dimanche 1 mai 2011

Mars 2011







LA VIE EN CDI









Mardi 1er

Deux heures. – Ce pauvre type qui bombe le torse devant son clavier : un blogueur.

Trois heures. – Et au moment où je comptais mettre en veille cet ordinateur pour retourner lire à la maison (une très bonne biographie de Wagner dont le nom de l'auteur – un Allemand – m'échappe obstinément), voilà que Catherine débarque à fins de repassage. La moindre des solidarités voulant que je ne l'abandonne point en ces circonstances tristement ménagères, et donc aliénantes, je reste rivé à ce clavier. Avec le deuxième acte de Lohengrin.

– Le plus bête est que je n'ai absolument rien à écrire ici. Catherine vient de me demander si j'ai fait le petit mail que je dois envoyer à Philippe B., de FD, afin de tenter de lui soutirer le double de l'argent prévu (4000 € au lieu de 2000) pour cette sempiternelle série sur la cour de Versailles. Eh bien non, je ne l'ai pas fait, et n'en prends pas le chemin. Je sais pourquoi, j'ai même deux raisons : la première est que je déteste négocier, j'ai horreur de réclamer de l'argent, ayant toujours peu ou prou l'impression de mendier ; la seconde est qu'il se pourrait bien que Philippe accède à ma demande et que je n'aurais plus, alors, la moindre excuse pour ne pas me mettre à ce travail, que j'ai pourtant de moins en moins envie de faire.

D'un autre côté, ces 4000 € constituent ma seule voie d'accès vers la boutique Weston la plus proche : pas de série, pas de bottines…

(Double message électronique d'Amazon à l'instant, pour me signaler l'envoi de la Walkyrie de (par, plutôt…) Karajan et de deux récitals de Lauritz Melchior, le premier dans des airs wagnériens, donc sans surprise notable par rapport à ce que je connais de lui, mais le second où il interprète les “standards” de l'opéra belcantisant et vériste, de la Donna e mobile à Vesti la giubba en passant par l'inévitable e lucevan le stelle. J'ai hâte de voir ce qu'il donne dans ce répertoire-là.)

– Dehors, tout contre le mur arrière de la Case, les trois chiens jouent ensemble, en grognant comme des fauves. Et la respiration asthmatique du fer à repasser se mêle au chant plaintif de Senta, ce qui produit un ensemble assez curieux. (Et Catherine, qui vient de jeter un coup d'œil, m'assure que les chiens ne sont nullement derrière la Case, mais bien sur sa terrasse, donc devant. Malgré cette rectification, mon oreille persiste à les entendre derrière.)

– Ai-je dit qu'il était question d'aller passer une semaine en Auvergne, probablement à l'automne ? Nous louerions un gîte que Christine et Jean-Marc Castor connaissent, parce qu'il est tout près de leur résidence d'été et qu'ils sont amis avec son propriétaire, à une période où eux-mêmes seraient là, de préférence. Et nous serions sans doute aussitôt repris par notre prurit immobilier et déménageur.

– En attendant, nous allons passer deux jours à Sedan au début du mois d'avril si je me souviens bien (c'est Catherine qui s'occupe de l'intendance et des dates de campagne). Je suppose que, dans les mois qui viennent (les années ?), nous allons multiplier ces petits séjours à Sedan.

– À propos d'Ardennes, il est question qu'Ygor Yanka et sa femme québécoise quittent précisément le Québec (alors qu'ils viennent tout juste de se rendre propriétaires en Gaspésie) pour venir s'installer en Belgique (revenir, dans son cas à lui), et probablement à Bouillon, ville qui se trouve à sept ou huit kilomètres à vol d'oiseau de Sedan. Très égoïstement, j'approuve tout à fait ce projet. Cela étant, je me demande comment ils pourront s'arranger de la différence de prix des maisons entre la Gaspésie et la Wallonie.


Quatre heures. – J'ai parlé au mois de janvier (entrée du 31, dans ce journal) d'une jeune femme libanaise qui tient un blog dans lequel elle laisse s'exprimer son désarroi et ses sombres pressentiments face à l'avenir de son pays. Elle se prénomme Hala. Je viens de recevoir ce mail d'elle, auquel je compte répondre demain.

Je ne sais pas si le hasard fait bien les choses. Au point où j’en suis, croyez-moi, je m’en fous. Je suis plantée devant mon ordinateur depuis des jours, guettant la moindre approche amicale pour que je puisse vider tout ce que j’ai sur le cœur. Je vous permets non seulement de me traiter en amie, mais aussi de me tutoyer. Je ne sais pas ce qui me prend, et pourquoi je suis là à rédiger ces lignes.

Peut être est ce l’envie de vous faire découvrir, non seulement mon pays, mais aussi ma personne, et tout ce qui vient avec.

Qu’aimeriez-vous savoir ? Vous attendiez vous a trouver une jeune femme maitrisant votre langue de cette manière ?

Il fut un temps, ou écrire, était uniquement un exutoire. Aujourd’hui, il en va de ma survie. Je veux écrire pour qu’on m’écoute quelque part. Mais je ne sais pas comment m’y prendre, à part vous déranger pour l’instant.

Je suis née à Beyrouth, et je vais mourir à Beyrouth.

J’aime tout ce qui vient avec cette ville, et il m’arrive de maudire chaque instant que je passe ici, à trainer et à me languir.



Il y a quelques jours… tout s’est arrêté. On attend…. J’ai l’impression d’être un caméléon au soleil. Justement… à attendre.

Un gouvernement ? Un abruti de Michel Aoun qui me fait penser à Kadhafi ? Au Hezbollah qui nous manipule comme bon lui semble ? Un courant du futur qui ne vaut rien ? Les partis politiques qui n’ont aucun programme, si ce n’est que de suivre un homme et non une idée ?

Un emploi ? Un projet ?



Oui… j’attends. J’attends la paix, ou la guerre… j’attends de récupérer une part de ce que je voulais devenir, en attendant je ne sais pas ce que je deviens.

On m’avait dit un jour que j’avais un potentiel énorme. Je ne sais plus quoi en faire. J’ai des histoires à raconter et à partager. Mon expérience de jeune femme libanaise ayant tout vécu. Les guerres, les départs, les retours, les crises économiques… vraiment tout.



Je suis désolée de vous déranger avec mes mots. Et puis je ne sais pas si c’est juste le hasard qui se joue de moi.

Je ne vais pas vous déranger davantage. J’ai été heureuse de vous lire. Vous m’avez offert un bouquet d’espoir. Je serai heureuse de répondre à vos questions si vous en avez. Je vous remercie encore une fois de tout cœur, cher ami.



En attendant,



H*


Elle écrit, on le voit, d'une manière très heurtée parfois, les mots se bousculent au sens le plus littéral du verbe. Mais il me semble comprendre ce désespoir qui se roule lui-même, se ressasse, s'auto-nourrit en quelque sorte ; et cette attente qui n'en est plus une ou qui n'ose plus en être une.


Mercredi 2

Sept heures et demie. – Je suis arrivé à FD peu après onze heures, ce matin. Comme il n'y avait pas de travail, j'ai eu tout le temps de faire mon petit tour des blogs quotidiens. À une heure, lorsque Nathalie est rentrée chez elle (parce qu'il n'y avait toujours pas de travail) et que Brice est parti déjeuner, j'ai moi-même mis ma tambouille à chauffer dans le four à micro-ondes (le reste des lentilles au saucisson de Lyon et au jambon de la ferme que nous avons eues à déjeuner, Catherine et moi, il y a deux jours (ou hier ?)) : je n'avais toujours rien fait. J'ai déjeuné en prenant connaissance des articles du jour sur Atlantico, le méchant nouveau média.fr de droite. Ensuite, la biographie de Wagner dans une main, mon iPod dans l'autre et un gobelet de café dans la troisième, je suis allé passer une heure ou une heure et quart dans l'un des deux canapés de la salle de conférence.

Je suis revenu à mon bureau vers trois heures : il n'y avait pas toujours pas de travail. Enfin, vers trois heures et demie ou quatre heures moins le quart, sont arrivés les “lus pour vous” : trois petites recensions de 350 signes chacune, faites à partir de la 4ème de couverture – disons vingt minutes de travail, une demi-heure en comptant très large. Ensuite, plus rien. Je me suis occupé comme j'ai pu jusqu'à cinq heures moins le quart, où j'ai repris mon livre et mon petit bento pour repartir vers la maison.

Avant ce départ, je me suis enquis auprès de Brice de savoir jusqu'à quelle heure devait durer l'espèce de conférence qui va avoir lieu demain matin et à laquelle j'ai fermement annoncé que je n'assisterais pas, ayant passé l'âge et l'enthousiasme de me préoccuper encore des souhaits, attentes et désirs des femmes de plus de 40 ans (c'est le sujet, ce qui est compréhensible puisque c'est aussi notre fameux “cœur de cible”). Il m'a répondu : “Midi et demie, je crois.” Dans un premier temps, je lui annoncé que j'arriverais donc vers une heure. Juste ensuite, je me suis aperçu que, sortant du pensum, toute la rédaction allait s'égailler dans toutes les directions pour déjeuner et qu'il ne se passerait rien avant trois heures en mettant les choses au mieux. Par conséquent, sachant que cette chère Anne serait elle présente au rewriting, j'ai suggéré à Brice que, peut-être, je pourrais envisager de faire du télétravail (c'est-à-dire sans doute rien), de manière à ne pas griller de l'essence pour rien sur l'autoroute (je suis très préoccupé de mon empreinte carbone, dès qu'il s'agit de venir ou non à Levallois). Il m'a bien volontiers donné son accord, et voilà pourquoi je ne bougerai pas d'ici demain, consigné que me voilà devant ce clavier, tel un moussaillon à sa tourelle de guet. Il n'est pas beau, mon “métier” ?

– J'ai commandé il y a un instant le livre que vient d'éditer (lui-même si j'ai bien compris) le Pélicastre jouisseur. Son titre : Manifeste nauséabond. Alléchant programme, d'autant plus qu'il fait partie, ce Pélicastre, de mes blogueurs préférés, et j'ai bien hâte de voir s'il a su, dans ce livre, dépasser justement sa condition de blogueur pour donner autre chose qu'une compilation de billets plus ou moins heureusement raboutés. Cela dit, la qualité de ses billets étant ce qu'elle est, ce ne serait déjà pas si mal. Et puis, il faut bien soutenir financièrement la jeune garde…

– Ces journées de non-travail, comme celle de demain, lorsqu'elles se décident ainsi, au dernier moment, me donnent toujours la même sensation : celle que je vais disposer d'un temps immense, dilatable presque à l'infini, et que je vais par conséquent le remplir d'une quantité d'activités impressionnante. Bien entendu, il n'en est jamais rien.


Jeudi 3

Six heures. – Anniversaire de mon frère : 51 ans.

– J'ai donc télétravaillé, aujourd'hui, environ de cinq heures à cinq heures et demie (un article sur Jean Ferrat, mort il y a un an et, bien entendu, pas mort “comme on l'a dit” : dans l'imaginaire de FD, personne n'est jamais mort comme on l'a dit…). D'où l'heure inhabituelle pour venir visiter ce journal : je pourrais très bien être déjà retourné à la maison mais je fais un peu traîner les choses afin que ce soit Catherine qui, croyant que je n'ai pas fini de travailler, aille nourrir les chiens : gamin indécrottable. Elle serait sans doute effondrée si elle savait ça, et doublement effondrée puisque j'ai meublé le temps en commandant chez Amazon deux nouveaux coffrets wagnériens : Les Maîtres chanteurs dirigés par Fritz Reiner, en 1953 à New York, avec Victoria de Los Angeles, et le Tannhäuser d'André Cluytens. Ensuite, je pense que je vais m'arrêter là dans mes dépenses wagnériennes.

Je suis du reste en train d'écouter Rienzi pour la première fois : ce n'est probablement pas l'opéra de Wagner que je récouterai le plus souvent à l'avenir.

(Et voilà Catherine qui sort de la maison pour aller nourrir les chiens : ma délivrance est proche…)

– Ludovic arrive ce soir (très tard, a-t-il précisé) et repart pour Paris avec moi demain matin. Puis, lundi, s'envole pour Montréal où il a l'intention de retourner vivre, je crois. C'est-à-dire que lui-même ne semble pas très certain de ce qu'il entend faire. Il doit se rendre compte que ses espoirs de “percer” dans la voie qu'il avait choisie (le spectacle comique, pour faire très bref) sont en train de s'écrouler l'un après l'autre, et il est probable que, consciemment ou non, il se cherche une porte de sortie, honorable à ses propres yeux.


Vendredi 4

Quatre heures et demie. – Mais quelles journées d'une insondable stupidité on peut arriver à passer ici ! Lorsque les quarts d'heure s'étirent comme de vieux caoutchoucs fatigués, et que le travail n'arrive pas, ou bien qu'il arrivera au moment où les nerfs seront rompus de l'avoir trop attendu. J'en arrive à ne même plus pourvoir lire rien. En ce moment, grâce au ciel, je suis seul dans le bureau, ce qui me permet au moins d'échapper au bavardage et aux décibels… J'ai mis les bitonios dans mes oreilles et je tente d'écouter le premier acte de Parsifal. Mais cela même est impossible : trop de dissonances de tous ordres entre la musique et le reste.

Pour couronner le tout, Ludovic que j'ai amené jusqu'ici ce matin finalement repart avec moi pour passer le week-end à la maison. Je ne dis pas que ce soit sa faute, que ce soit tout le temps sa faute, mais enfin il est frappant de constater à quel point, avec lui, rien ne se passe jamais, ou presque jamais, comme il l'avait annoncé.

Avec cela qu'il n'est que quatre heures et demie, que je ne suis donc ici que depuis six heures alors que je jurerais y avoir déjà passé deux ou trois éternités. Et je vais arrêter de parler de tout cela car je sens bien que ça suffit à faire monter artificiellement la pression, à encombrer les canaux de ma mauvaise humeur.


Dimanche 6

Sept heures et demie. – Deux premiers jours d'un week-end que je qualifierais de “gris extrême”, notamment en raison d'une sorte de débâcle sur le front de la santé. En réalité, j'ai l'impression de n'avoir jamais été aussi égrotant que depuis mon arrêt de l'alcool et, plus encore, du tabac. Sans même parler de mon cancer de la gorge – lequel ne trouvera sa confirmation éventuelle que mardi, et en attendant reste putatif –, je souffre d'une oreille, la gauche, mais d'un type particulier de souffrance qui me fait dire que je dois avoir une sorte de petit bouton purulent à l'intérieur du pavillon, lequel empêche toute opération de nettoyage et rend la mastication assez douloureuse et empruntée. Mais ce n'est pas le mieux. Un autre bouton (gros et indubitable celui-là) m'a poussé hier entre les fesses, à la périphérie la plus rapprochée de mon trou du cul (tellement rapprochée que je parviens à souffrir lorsque j'expulse un vent, par le seul passage de celui-ci sur le bubon en question (ce qui a bien fait rire Catherine lorsque je le lui ai expliqué). – Et ce journal bascule définitivement dans le glamour, comme on voit. En réalité, je ne note ces détails que pour donner à mes Ruminants une raison en or de se foutre de ma gueule lorsque ceci paraîtra, fin avril, et que Dame Pecnaude se sera fait un plaisir de leur signaler l'affaire.

Bref, toujours est-il que non seulement j''éprouve mille difficultés à m'asseoir, et à changer de position lorsque je le suis, assis, mais voilà qu'en plus j'ai une vague fièvre, depuis hier après-midi, qui me rend tout cotonneux, somnolent et incapable de faire quoi que ce soit de suivi.

– Sinon, Ludovic, à l'instant même, vient de quitter la Case avec son sac à dos : sa mère l'emmène à la gare d'Évreux, puis, il s'envolera pour Montréal où il doit, dans un premier temps si j'ai bien compris, passer trois semaines, afin de préparer là-bas sa reconversion (reconversion à quoi ? Mystère…). Mais comme, avec lui, tout est toujours effroyablement compliqué, mieux vaut ne pas trop se soucier de la suite. Je crois bien n'avoir jamais connu quelqu'un d'autre que lui capable de donner autant de détails sur ses projets les plus immédiats, pour finalement faire tout autre chose (et avec le même luxe de détails a posteriori…).

– Anniversaire de Carlos aujourd'hui : il a les 55 ans que j'aurai moi-même dans 13 jours.


Lundi 7

Sept heures vingt. – Au fond, j'éprouve une espèce de tendresse, fortement teintée d'amusement, pour tous ces athées que la religion rend littéralement amok. Même pas la religion, d'ailleurs, mais simplement les mots qui se rattachent à elle. Vous prenez un garçon qui, dans les circonstances habituelles de l'existence fait montre de réactions à peu près normales, et vous lui glissez à l'oreille Dieu ou église, ou péché, ou prêtre ou n'importe quel autre vocable courant ressortissant à ce domaine particulier ; aussitôt, vous allez voir sa figure virer au violacé, ses tempes ruisseler d'une sueur aigre, sa bouche se tordre, la bave lui venir aux lèvres, des propos sans suite et d'une insigne bêtise s'échapper de sa gorge, etc. : il est devenu fou. Comme ça, d'une seconde sur l'autre, simplement parce que vous avez actionné son ressort secret : la religion. La religion catholique, naturellement. Car, les gens atteints de cette pathologie étant très majoritairement de gauche, il va sans dire qu'ils sont tout mansuétude et indulgence pour l'islam, le bouddhisme, l'hindouisme, les gris-gris des nègres, etc.

Peut-être faut-il chercher le secret de cette haine toujours prête à se dégueuler elle-même dans la conscience plus ou moins nette que ces amusants personnages ont de leur incurable infériorité par rapport aux croyants qu'ils espèrent en vain atteindre (aussi en vain que Goudurix frappant sur le crâne du chef dans Astérix et les Normands) et qui se moquent bien de leurs prévisibles éructances. Penser que jamais ils ne pourront démontrer que ce sont eux qui ont raison, se dire que personne (à part les croyants eux-mêmes peut-être) ne pourra infirmer cette foi qui les fait trépigner de fureur, on comprend bien que cela doit leur être insupportable. Et c'est pourtant ainsi : si Dieu existe, les athées militants auront l'air de cons au moment de leur mort ; et s'il n'existe pas, nul n'en saura rien et personne ne viendra détromper le croyant, qui raflera donc la mise. Pour de petits jeunes gens qui, comme Modernœud, sont habitués à avoir toujours raison simplement parce qu'ils l'ont décrété, il y a là quelque chose de fort douloureux, pour ne pas dire d'inacceptable.

Se retrouver cocu devant l'éternité quand on l'est déjà politiquement avec une belle régularité, vous avouerez…


Mardi 8

Sept heures. – Eh bien voilà, le cancer de la gorge que je traîne depuis maintenant deux semaines est mort de sa belle mort (contrairement à moi) tout-à-l'heure, entre quatre heures et quatre heures et demie, à l'hôpital du Perpétuel Secours de Levallois-Perret, où le docteur Coquille, après m'avoir fait passer le scanner cervical réclamé par le docteur Durand, m'a annoncé que je n'avais nul cancer (en tout cas à cet endroit-là…), des cordes vocales en parfait état de marche et même plus tellement rouges. Mon existence devrait donc logiquement continuer un peu plus avant sur ses rails. Ce qui veut dire, accessoirement, qu'il va me falloir reprendre la marche régulière, m'occuper de mes problèmes de champignons récalcitrants aux orteils, ainsi que de celui de mes gencives douloureuses, qui se rétractent comme des crétines. Putain, la vieillesse !

Néanmoins, comme j'ai abandonné ce cancer sans aucun regret, et que nous sommes conviés ce soir à je ne sais plus quelle petite sauterie catholique dans un village voisin du nôtre, je pense que je vais m'autoriser quelques verres de vin, afin de fêter dignement mon retour parmi les vivants en CDI (Vivant en CDI : titre possible…). S'il y a du vin : sont encore bien capables de ne servir que cette pisse plusieurs fois bue que Normands et Bretons appellent du cidre.

Depuis le 20 décembre dernier, je crois n'avoir jamais eu autant envie d'une cigarette que dans les deux ou trois minutes qui ont suivi ma sortie de l'hôpital. Je ne suis même pas sûr que ç'ait duré autant que je viens de dire – mais c'était intense. Et, en même temps, je ne me sentais pas du tout disposé à craquer, à céder à cet appel. Au point que si j'avais eu un paquet dans ma poche à ce moment-là, je ne crois pas que j'y aurais touché. Mais enfin, il était tout de même préférable de n'en pas avoir.

Demain, à midi, rendez-vous avec le docteur Durand à qui je vais apporter les résultats du scanner de cet après-midi. Et lui demander d'essayer de régler mon problème d'encombrement de gorge. Car, cancer ou pas, il existe bel et bien, celui-là, et commence à m'énerver un peu. Ah, oui, parce qu'en plus le docteur Coquille (ancien fumeur, lui aussi) m'a averti que l'arrêt du tabac pouvait aussi m'occasionner des sinusites, même si je n'en avais jamais eu jusqu'à maintenant. J'espère au moins que ces divers désagréments sont provisoires…

– Hier soir, sur France 2 (je le note en courant, Catherine m'attend pour aller au pince-fesse paroissial), je suis tombé sur l'émission Mots Croisés, animée par Yves Calvi, où débattaient, à propos de Zemmour et Galliano, Élisabeth Lévy, Dominique Sopo, Didier Porte et Arno Klarsfeld. Eh bien, il y avait très longtemps que quelqu'un ne m'avait pas autant donné envie de lui démonter la tronche à coups de beignes que ce Klarsfeld-là, justement. Quel pitoyable clown ! quel ignoble tartufe ! À vomir. Si ce type représente l'antiracisme, alors je prends ma carte de raciste dès demain matin. Même Sopo devenait supportable (Soportable…), presque reposant, à côté.


Mardi 9

Huit heures et quart. – La visite chez le docteur Durand confirme le diagnostic du docteur Coquille, hier : état de ma gorge et de ses pièces annexes tout à fait satisfaisant.

Sinon, pas très envie d'écrire ici ce soir. Peut-être tout simplement parce que l'heure est passée. Ou bien parce que, tout compte fait, je n'ai pas vraiment réussi à me réveiller de la sieste que j'ai faite dans le canapé de la salle de conférence, entre trois heures et quatre heures moins le quart. Même pendant le trajet de retour, je somnolais à demi. Et, ayant déjeuné trop copieusement et trop tard, je viens de sauter le dîner. Ce qui, sans avoir pris d'alcool, ne m'étais encore jamais arrivé.

Un jeune zélé normand, sur son blog, fait un billet indigné, par lequel il exige l'interdiction du Front national. Fred Quillet, il s'appelle. La vertu républicaine incarnée…


Jeudi 10

Huit heures. – On s'agite ferme, dans la gauchosphère, autour de Marine Le Pen. Mais on le fait à la façon d'un canard cou coupé qui effectuerait son dernier tour de piste dans la cour de la ferme, c'est-à-dire dans le plus grand désordre, en mettant du sang partout et sans bien entendu arriver nulle part. Même les plus raisonnables, comme Nicolas, deviennent parfaitement déraisonnables, dès que ce sujet arrive sur le tapis. Ils en sont au mantra indéfiniment répété, à l'incantation mécanique : il faut réfléchir, il faut poser nos différences, il faut… Sauf que ces soldats ifokon n'envisagent jamais d'aborder le seul sujet qui serait une clé efficace pour ouvrir cette porte contre laquelle ils s'écrasent le nez depuis plusieurs jours (et en fait depuis bien plus longtemps) : l'immigration et les proportions énormes qu'elle a prises. Et tout ce petit monde de s'interroger gravement pour savoir comment le peuple a pu se laisser prendre aux “sirènes” du Front national, sans s'aviser jamais que c'est en fait le Front national qui s'est contenté d'exprimer les refus et les craintes de ceux qui désormais votent pour lui.

N'importe quel parti “de gouvernement” qui prendrait l'engagement solennel (et en précisant comment…) de fermer le robinet de l'immigration, de suspendre toute naturalisation, mais aussi de mettre fin aux scandaleux privilèges dont les étrangers jouissent en France, ce parti-là serait absolument certain de remporter les élections. Enfin, avec un programme économique à la clé, tout de même, et deux ou trois autres babioles…

– Depuis deux jours, j'éprouve une gêne à l'œil gauche, lequel est un peu rouge et, le matin, à demi collé par des résidus de larmes nocturnes. J'espère que cela ne va pas dégénérer en une méchante conjonctivite, vu le mal qu'il y a désormais à obtenir un rendez-vous chez les ophtalmologues, ex-oculistes (à l'époque où, justement, il était tout simple d'en trouver un disponible, en cas de besoin).

– Demain arrivent Adeline et ses deux enfants, rejoints par Élodie samedi, avant de repartir tous ensemble dimanche. Je concentre mon attention et mes esprits sur la journée de lundi, première d'une semaine de vacances très judicieusement choisie…

– Dans son Manifeste nauséabond, que je suis en train de terminer, le Pélicastre jouisseur (qui signe son livre L'Ubiquiste) pose clairement comme avérée non seulement l'existence des races (qui me paraît en effet aller de soi) mais également leurs inégalités, ce qui est beaucoup plus sulfureux. Et, le lisant, je m'aperçois que j'ai toujours professé que je trouverais idiot de préjuger de l'intelligence (ou de toute autre caractéristique) d'un individu en fonction de la couleur de sa peau. Bien. En cela, j'étais parfaitement conforme. Aujourd'hui, j'en suis à me dire ceci : si des groupes d'homme, ayant vécus séparés et sans contact durant des dizaines, des centaines de milliers d'années, ont développé durant ces laps de temps des caractéristiques physiques, morphologiques si différentes, pourquoi leurs cerveaux, eux, auraient-ils suivi des chemins rigoureusement semblables ? Ce n'est pas logique. C'est possible, mais ce n'est pas l'hypothèse la plus probable. Il semble qu'il y ait bien plus de chances pour que les intelligences des divers groupes humains, des diverses races humaines aient au contraire divergé, ce qui a produit des civilisation, des réalisations, des découvertes, des inventions différentes. Seulement, là, on met le doigt dans un engrenage mortel, socialement mortel. Car si on compare ce que l'humanité doit à l'homme chinois avec ce qu'elle doit à l'homme blanc et à l'homme noir, on n'est pas long à constater que les remerciements mérités par chacun ne sont pas égaux, et même très loin de l'être. Et puisqu'on en est à énoncer des choses désagréables, voire nauséabondes, on pourrait même se contenter d'observer ce qu'apportent aujourd'hui au monde un Chinois, un Européen et un Africain. Mais non, finalement, il ne vaut mieux pas.


Samedi 12

Onze heures du matin. – Adeline est à la maison depuis hier, avec ses deux enfants. Très agréable surprise concernant ces derniers : Gaston (3 ans ? 4 ?) est un petit garçon charmant et Maléna (8 ans je crois) s'est nettement améliorée, gagnant beaucoup en calme. Ou disons en moindre agitation. De toute façon, la soirée fut fort brève en ce qui me concerne car, ayant replongé dans le pastis alors que je ne suis plus habitué à boire, je me suis retrouvé HS en un temps record. D'après ce que m'a dit Catherine ce matin car, pour ce qui est de moi, je ne me souviens de rien du tout.

– Mon œil gauche me pique toujours un peu mais le mal me semble en régression par rapport à hier. Je pense que cela devrait se passer tout seul, ce qui est une chance vu les délais pour obtenir un rendez-vous auprès du moindre oculiste, que ce soit ici, à la campagne, ou désormais dans la région parisienne.

– Me voilà en vacances pour une semaine (c'est-à-dire onze jours en fait). Pour bien faire il faudrait que j'en ressorte avec un synopsis BM entièrement fait. Je n'ai pour l'instant pas la moindre idée. Je vais, à partir de demain, refeuilleter les anciens numéros afin d'y trouver une idée qui puisse être facilement transposée, ainsi que je l'ai déjà fait plusieurs fois. Le tout est de trouver une histoire qui ne soit pas trop fortement liée à un site géographique particulier, ou à un milieu socio-professionnel, etc. Sinon, je cours le risque qu'un ou plusieurs lecteurs s'avisent de la supercherie. Mais si on déplace une histoire, même en en gardant intacts les ressorts et péripéties, personne ne voit rien. Celui qui se passait à Saint-Malo, dans lequel j'avais mis Élodie comme héroïne, devrait être utilisable, je crois bien. Et puis, il a déjà vingt ans d'âge… C'est dans ces moments-là que je regrette de n'avoir pas conservé ceux écrits par Muray, et notamment vers la fin de sa participation à la série : comme il écrivait à peu près toujours la même histoire, je pourrais m'en resservir très facilement.


Cinq heures. – Élodie devrait arriver de Saint-Malo d'un instant à l'autre. (Je m'avise seulement en l'écrivant que, 20 ans après le BM où je lui avais fait vivre des aventures très déplaisantes à Saint-Malo, elle y habite effectivement…). En l'attendant, je me suis replié dans la Case : les enfants d'Adeline sont certes plus calmes qu'ils ne l'ont été – et principalement Maléna –, mais ce n'est pas une raison pour abuser de leur compagnie. D'autant que la télé, lorsqu'ils sont là, est branchée en quasi permanence sur une chaîne de dessins animés ou une autre, ce qui a tendance à me hérisser le poil et me paralyser le cerveau.

Demain, retour à la vie normale.

– Histoire d'attendre plus confortablement, je viens d'aller me chercher une bière dans le frigo : effectivement, la télé est allumée, et je suis vite revenu me terrer ici, sans céder aux suppliques de Catherine qui aurait voulu me voir rester dans la maison avec elle.


Dimanche 13

Quatre heures et demie. – Retour à la vie normale depuis ce matin, neuf heures et demie : lecture et silence. Ce matin également, repassé sous la barre des 110 kg (109). À compter de demain, j'ai prévu de 1) reprendre la marche quotidienne, 2) travailler au synopsis du prochain BM. Maintenant que l'hypothèque cancer-de-la-gorge est levée, il faut bien se remettre à dresser des plans d'avenir.

– J'ai abandonné Fukuyama aux alentours de la centième page. Non seulement je trouvais son livre assez emmerdant, mais en plus écrit beaucoup trop petit dans l'édition de poche que j'ai. J'ai ensuite lu les huit ou dix premières pages des Deux Corps du roi de Kantorowicz, avant de l'abandonner au profit du Frédéric II de Benoist-Méchin.

– Malgré le fait que j'aie bu pas mal hier et avant-hier soirs, je n'ai pas eu de tentation particulière en ce qui concerne le tabac. Pourtant Élodie fume et sa sœur lui avait apporté deux cartouches d'Espagne, lesquelles trônaient insolemment dans la Case, juste sous mon nez. À propos de tabac, je ne sais plus si j'ai noté ici l'arrêt complet du champix, voici dix ou douze jours maintenant. Lequel arrêt n'a entraîné aucun changement – je veux dire : pas de recrudescence de l'envie de fumer.


Lundi 14

Sept heures et demie. – J'ai bien fait de ressortir du rayonnage de mes œuvres complètes le BM qui se passe à Saint-Malo, écrit il y a tout juste vingt ans : l'histoire en est parfaitement réutilisable. Je vais transposer l'intrigue aux salines royales d'Arc-et-Senans et, au prix de quelques petites adaptations, le tour sera joué. Je n'aurai donc aucun mal à boucler ce synopsis pour la fin de la semaine et vais donc, en principe, pouvoir me mettre à l'écriture dès le week-end du 26 mars. Sauf que je me demande si nous n'allons pas à Sedan précisément ce week-end-là. Et le 10 avril chez les Crevette, mais là ce n'est que le dimanche, donc rien ne m'empêche (à part moi-même, veux-je dire) d'y travailler les samedi, lundi et mardi. Et, en tout état de cause, je peux ajouter quatre jours de travail le week-end du 2 avril. Ensuite, deux semaine pleines, les deux dernières d'avril. Par conséquent, cette fois-ci, enfin, pour la première fois, je devrais pouvoir arriver à écrire un BM en n'y travaillant que les matinées et en le rendant à l'heure. Je devrais

– La lecture du Frédéric II de Benoist-Méchin m'a donné envie de reprendre ensuite, le Dimanche de Bouvines, livre écrit par Duby pour cette collection dont je faisais mes délices il y a 25 ou 30 ans : Trente journées qui ont fait la France. Je viens d'ailleurs de le sortir de son étagère pour le rapporter à la maison. Ayant sous les yeux la quatrième de couverture, je constate que seuls 28 volumes ont à l'époque paru, depuis Le Baptême de Clovis (496) jusqu'à La Libération de Paris (1944) par Emmanuel d'Astier. Ne sont jamais sortis, L'Avènement de Hugues Capet (dernières années du Xe siècle, mais je ne saurais être plus précis… vers 980 ou 85, au doigt mouillé.) et Le Coup d'État du 2 décembre, promis par un certain François Mitterrand. À qui on ne pouvait décidément faire confiance sur rien.

Consultant cette même liste, je m'avise que le baptême de Clovis et le couronnement de Charlemagne ont eu lieu tous deux un 25 décembre. Hasard ? Ce serait fort étonnant. Il y a également deux 24 février : le désastre de Pavie et la première résurrection de la République en 1848 ; il y aurait deux 2 décembre si Mitterrand avait fait son boulot ; deux 27 juillet : notre dimanche de Bouvines et la conjuration du neuf thermidor (juillet est d'ailleurs le mois le mieux représenté avec sept volumes) ; enfin, novembre réalise un beau brelan avec les 9, 10 et 11 (18 brumaire, Journée des dupes, armistice de Rethondes).


Mardi 15

Huit heures. – Les choses semblent vraiment aller de mal en pis au Japon. Adrien a finalement quitté Tokyo pour Kyoto, moins par crainte de la radioactivité que pour avoir un semblant de paix du côté de sa mère et sa tante, qui valent bien un tsunami à elles deux, quand elles s'y mettent – et justement elles s'y sont mises, depuis quelques jours. Je les comprends, bien entendu, et surtout Nathalie, mais je me mets aussi à la place d'Adrien.

Moi, je reste d'un calme olympien, non par indifférence au sort d'Adrien mais parce que la conscience que j'ai de ne pouvoir absolument rien faire me coupe toute velléité d'énervement ou d'inquiétude. Et il me semble que je ferais preuve du même fatalisme si j'étais sur place et au premier chef concerné. Mais il se peut que je m'illusionne gravement, bien entendu.

Néanmoins, il faut que je confesse à ce journal une chose dont je ne suis pas spécialement fier, dont je sais même fort bien que je devrais avoir très honte au regard des critères d'humanité en vigueur : les catastrophes qui frappent en ce moment les Japonais me touchent infiniment davantage que, par exemple, celles qui ont atteint les Haïtiens il y a un an, lesquelles m'ont laissé pratiquement amorphe, il faut bien que je le reconnaisse. Parce que j'éprouve de l'admiration pour les Japonais et une complète indifférence pour les Haïtiens ? Je ne vois pas d'autre explication, même si celle-ci n'est guère valorisante pour moi. De même, je crois qu'une catastrophe naturelle meurtrière me touchera toujours bien plus si elle a lieu en Chine ou au Vietnam plutôt qu'en Afrique. Je crains que les êtres humains aient encore beaucoup de chemin à parcourir avant d'être égaux dans mon esprit… Mais je suis tout prêt à admettre qu'il n'est pas très noble – et peut-être même le contraire de noble – de n'accorder sa compassion aux peuples qu'en fonction de la plus ou moins grande admiration que l'on éprouve pour eux, leur civilisation, leur culture, leur histoire, etc. Et c'est pourtant bien le critère, je crois, qui déclenche ou non ma pitié, ce qui explique mon indifférence à peu près totale pour les malheurs qui touchent les Africains, lesquels sont pourtant parmi les moins épargnés des occupants de cette saloperie de planète : je tiens ce qu'ils ont apporté à l'humanité en général pour parfaitement négligeable.

Tout cela n'est pas très agréable à s'avouer noir sur blanc (!), mais le moyen de faire autrement, une fois que l'on en a pris conscience ?


Mercredi 16

Sept heures et quart. – Décidé de me remettre à la marche dès demain. Le fait d'être repassé en quelques jours de 109 à 112 kg n'y est évidemment pas pour rien.

Et puisqu'on est au chapitre des décisions, signalons à cet impavide journal que la journée d'aujourd'hui a vu se réaliser tout ce qui devait l'être – chose rarissime en ce qui me concerne. Je devais tout d'abord prendre rendez-vous chez le dentiste pour moi et chez le garagiste pour ma voiture : les RV sont pris. Il me fallait ensuite ramasser dans le jardin tous les morceaux de branches d'arbustes qu'Elstir y a joyeusement épandus durant tout l'hiver, avant de procéder à la première tonte de l'année : les deux tâches furent exécutées l'une à la suite de l'autre (préalablement, Catherine s'était chargée de ramasser les merdes de chiens…). Je devais enfin commencer le synopsis du prochain BM : il est en effet sur rail. Titre provisoire : Les Orgies des salines royales, le livre se passant à Arc-et-Senans, où nous fûmes en visite, Catherine et moi, voilà quelques mois. Bref, je suis très satisfait de moi ce soir. En plus, Catherine m'a coupé les cheveux ce matin ; ce qui fait que nous en sommes, elle et moi, à une tonte partout.

– Sur le front japonais, rien n'a bougé. J'ai l'impression qu'Adrien a déjà plus ou moins pris la décision de ne pas quitter le pays mais que, pour des raisons stratégiques d'évitement du conflit, il fait mine d'atermoyer vis-à-vis de sa mère (et accessoirement de Catherine). Cela étant, je serais bien en peine d'étayer cette impression. Peut-être est-elle simplement due au fait que je me suis mis dans la tête que c'est ce que je ferais si j'étais à sa place. (Mais quelle phrase horrible !). Naturellement, je n'ai aucun moyen de savoir avec certitude ce que je ferais à sa place. Déjà, pour m'imaginer partant volontairement vivre si loin de France, et dans un pays aussi radicalement étranger, il me faut faire un très gros effort cérébral.

– Appel de Brice en début d'après-midi, pour m'apprendre qu'Olivier Baumann est mort d'une crise cardiaque la nuit dernière. Il était arrivé à FD quelques mois avant mois, donc fin 1981 ou courant 1982. Désormais, de plus ancien que moi – et si l'on ne compte pas ma “désertion” de 1998 à 2000 –, il ne reste que Dominique Préhu. Encore elle aussi n'est-elle entrée au journal que quelques mois avant moi. Or je me souviens comme d'hier de la période où j'étais le petit jeune de cette rédaction ; celui à qui les patrons et les hommes d'âges, qui étaient en partie les mêmes, passaient ses frasques et ses embardées langagières parce qu'elle ne tiraient nullement à conséquence, du fait de son âge à peine adulte à leurs yeux. Et aux miens aussi, maintenant.

Je n'étais pas ami avec Olivier, nous n'avions à peu près aucun centre d'intérêt commun, nous ne nous sommes, je crois, jamais vus une seule fois en dehors du journal. Mais enfin, nos rapports étaient détendus, il nous arrivait de rire ensemble, notamment à partir de la période où on s'est retrouvés ensemble au pied de l'immeuble pour y fumer nos cigarettes. Il devait avoir deux ou trois ans de plus que moi, je crois.

Non seulement Dominique, Olivier et moi étions devenus les plus anciens, mais nous étions également les plus vieux, si l'on excepte François, qui a 60 ans, ou 61, mais dont je n'ai jamais pensé, depuis que son cancer l'a éloigné du journal, qu'il y reviendrait un jour. Néanmoins, il fait toujours partie de la rédaction – il en est même le chef en titre –, il y est sans y être. Bref, Dominique et moi sommes désormais le couple d'ancêtres de ce journal, lui-même vénérable puisqu'ayant dépassé les 65 ans d'âge. Limite momies. (Ce pourrait être le titre du mois, ça, tiens : Limite momies.)


Jeudi 17

Cinq heures vingt. – Si Denise, ma grand-mère paternelle avait été Jeanne Calment, elle serait toujours vivante et fêterait aujourd'hui ses 109 ans. Dois-je regretter qu'elle ne l'ait pas été ? Certainement pas, et encore moins depuis que je vois dans quel état est Suzanne, mon autre grand-mère, le poids qu'elle représente pour ma mère et sa sœur Annie, elle qui vient d'avoir 101 ans il y a quelques jours.

– Tout à l'heure, Roselyne me signalait qu'elle apprécierait beaucoup que je lui mette ses cartes routières à jour. Fort bien. J'ôte la carte SD du GPS, je la déverrouille, l'introduis dans l'ordinateur (ou plutôt dans le petit boitier relié à l'ordinateur), je lance la mise à jour, laquelle s'effectue après deux ou trois ratés tout de même. Je reverrouille la carte SD, l'introduit dans le GPS de la voiture… et constate que toutes mes adresses mémorisées ont de nouveau été perdues dans la manipulation, comme la fois dernière. Ce n'est pas très grave dans la mesure où je n'en avais pas plus de trois ou quatre, mais enfin c'est extrêmement irritant, sur le moment.


Vendredi 18

Sept heures vingt. – Pauvre Catherine ! elle venait de passer plus d'une demi-heure à rédiger son journal (ce que déjà elle se reproche de ne pas faire assez régulièrement ; et je suis d'accord avec elle : c'est d'autant plus dommage que, contrairement à ce qu'elle croit, il est très bien, son journal) lorsque, au moment de le publier (elle le tient sur un blog privé, comme je le fais moi-même) un bug s'est manifestement produit chez Blogger et elle a tout perdu. Je parle d'un bug plutôt que d'une fausse manœuvre car, dans ce deuxième cas, elle n'aurait perdu que les dernières lignes écrites, tout le reste ayant été sauvegardé automatiquement au fil de l'écriture.

– Terminé Le Frédéric de Hohenstaufen de Benoist-Méchin, remarquable biographie en effet, sans doute moins profonde que celle de Kantorowicz, mais également d'une lecture moins… rugueuse, dirons-nous. Non, “rugueuse” ne va pas. Disons alors : d'une écriture plus séduisante ; plus immédiatement séduisante. Bref, au lieu de m'attaquer à ma P.A.L. (Pile à lire), comme dit Catherine, je suis venu recherché ici, dans la Case, le Dimanche de Bouvines de Georges Duby, car Frédéric II m'a donné envie de réviser un peu mon Philippe Auguste. Et j'ai, pour après, ressorti également le volumineux et dense Saint Louis de Le Goff. Bref, me voilà en pleine crise médiévale.

– À propos de crise, il est possible que celle qui m'a poussé à ne rien écouter d'autre que du Wagner durant plusieurs semaines soit en phase de résolution : depuis ce matin, je suis revenu à Mahler. Mais ce peut être l'effet passager du documentaire que j'ai vu par hasard sur la Cinquième, hier soir, et qui lui était consacré entièrement.

– Désormais, lorsque des bandes ethniques s'affrontent et se massacrent à coups de couteau ou de tournevis au point de nécessiter plusieurs nuits de couvre-feu, comme ce fut le cas à Asnières et Gennevilliers ces jours derniers, le consternant et risible Erwan Manac'h, de Politis, parle de “guerre de clochers” et même de “guerre des boutons”. À chaque fois on se demande avec incrédulité comment ils vont pouvoir, la fois prochaine, pousser le déni un peu plus loin – tout en sachant qu'ils y arriveront. Est-il nécessaire de préciser qu'à aucun moment ce Manac'h-là ne croit utile d'interroger l'origine ethnique des “adolescents” qui se sont “chamaillés” (on ne pourra bientôt plus écrire autrement qu'en bardant deux mots sur trois de guillemets). J'en ai fait un billet.

– Mon œil gauche continue de larmoyer et d'être rouge, sans amélioration mais non plus sans aggravation. Catherine me met du collyre dedans, mais comme il s'agit d'un produit vendu sans ordonnance par le pharmacien, il ne doit pas valoir beaucoup plus que la foi que je mets en lui. Je commence à en avoir un peu assez de passer d'un rendez-vous médical à l'autre sans presque plus de solution de continuité. Mais enfin, je suppose qu'il vaudrait mieux que je m'y fasse.

– La situation semble plus ou moins se stabiliser au Japon. En tout cas, Adrien ne parle plus de rentrer. Sauf bien entendu s'il ne peut pas reprendre son travail à l'université de Tokyo. Dans ce cas, privé de son moyen de subsistance, il faudra bien qu'il revienne en France.

– Il m'avait déjà semblé, un jour que je lui parlais de l'état de santé de François qui s'était brutalement aggravé, que Philippe B. avait un rapport très étrange à la mort ; que sa simple évocation lui était comme une atteinte personnelle, presque une offense. Et qu'il surjouait l'affliction, un peu comme une pleureuse méditerranéenne. Or, non, il ne semble pas surjouer, mais ça n'empêche qu'il a des réactions pour le moins bizarres, disproportionnées. Ainsi, parce que les obsèques d'Olivier auront lieu mardi prochain, quelque part dans le Berry, non seulement il a avancé le bouclage de FD à lundi pour que tout le monde puisse s'y rendre, mais il a même affrété un autocar afin que tout le monde s'y rende ensemble. Outre le fait que c'est une manière peu délicate de forcer la main aux uns et aux autres, c'est bien du chambardement pour un homme que, au fond, peu de gens appréciaient vraiment et, à ma connaissance, Philippe pas plus qu'un autre. Mais je crois qu'en réalité, dans l'esprit de Philippe, ce n'est pas Olivier qui est en cause, mais la mort elle-même, indépendamment de qui elle frappe. Et qu'il tente, en lui rendant ces hommages si disproportionnés qu'ils en deviennent suspects, de l'apprivoiser, de se garder de ses coups – il fayote avec la mort.

Il faut que je pense à laisser des instructions très claires : si je meurs “dans l'exercice de mes fonctions”, je refuse que se pointe à mon enterrement une procession de crétins ennuyés d'être là et convoyés par car presque de force. Déjà, il y a quelques années, François, Brice et moi nous sommes fait le serment (un midi, à L'Ambiance d'à côté, vers la fin du repas…) que si l'un d'entre nous venait à mourir, les deux autres veilleraient à ce qu'il NE soit PAS fait mention de cette mort dans FD. Pour ma part je compte fermement tenir ce serment, si je ne suis pas le premier à replier mon ombrelle.


Samedi 19

Quatre heures et demie. – À l'heure qu'il est, Catherine n'a toujours pas réalisé que nous étions le 19 mars et que c'était donc mon 55e anniversaire aujourd'hui. Je suppose qu'elle va s'en rendre compte lorsque ma mère appellera tout à l'heure, aux alentours de sept heures, moment de ma naissance. À moins qu'elle aussi oublie.

– Grâce à Pascale Gilbert qui a donné le lien vers l'INA sur le forum de la SLRC, je viens de regarder les deux Apostrophes du début des années quatre-vingt où Renaud Camus était invité, une fois pour son Journal d'un voyage en France et l'autre pour Roman Roi. Et, ce faisant, le voyant si à l'aise face aux caméras (contrairement à ce qu'il croit lui-même), parlant très bien de ses deux livres, répondant avec verve aux questions de Pivot, je me demandais par quelle malédiction il était resté à ce point inconnu du public. Dans l'une des émissions, il n'est entouré que de gens qui, jeunes alors, se sont tous plus ou moins “fait un nom” (Rouart, Perrault, etc. il faudrait que je retourne voir qui d'autre encore), et lui rien. Pourtant, Roman Roi (dont Frédéric Tristan, durant l'émission, dit le plus grand bien) aurait dû trouver un public. Et le Voyage en France aussi. Que s'est-il passé ? Sans doute si, en faisant un minimum d'effort sur lui-même, Camus s'était plié à la discipline journalistique, sa carrière aurait-elle été lancée – et les portes de l'Académie se seraient alors assez facilement ouvertes. Maintenant, il est sans doute trop tard, et ce ne sont pas les palinodies de l'In-nocence qui vont l'aider, bien au contraire. Candidat à la présidence de la République, franchement… Le pis est peut-être que, trouvant cette candidature plutôt bouffonne, je vais tout de même voter pour lui, si par miracle il parvient à franchir la barre des cinq cents signatures.

Le résultat est que j'ai envie de relire Roman Roi – au moins le début. Comme je viens de terminer Le Dimanche de Bouvines, je pense que je ne vais pas résister à cette envie. Et il n'est pas impossible que j'enchaîne avec Voyageur en automne.


Dimanche 20

Sept heures dix. – Tout à l'heure, juste après le déjeuner, j'ai donc mis fin à trente ans d'abstention (à un mois près !) en allant voter à la mairie du Plessis. Et, finalement, sans nous consulter avant l'isoloir, ni Catherine ni moi n'avons glissé dans l'urne une enveloppe vide. Mais je reviendrai sur mon vote demain ou après-demain, lorsque j'aurai plus de temps (là je n'en ai pas pour cause de début de soirée électorale à la télé).

– Sinon, à part cet acte “citoyen”, journée tout à fait habituelle : un peu de blogage, beaucoup de lecture. Le Saint Louis de Le Goff est décidément très intéressant. Encore n'en suis-je qu'à sa première partie, celle qui est purement biographique. En revanche, je n'ai pas touché au synopsis. Mais il me reste deux jours et plus guère de travail à faire dessus. Il sera donc prêt à l'emploi dès le week-end prochain.

– Les bombardements (frappes aériennes, dans cette novlangue de mongoliens que mes chers confrères journalistes ont tous adoptée comme un seul homme) français ont commencé sur la Libye, et c'est une belle jouissance que de voir mes amis gauchistes se tortiller de rage impuissante, tels des vers coupés par le milieu, sous la morsure d'un insoluble double bind : se trouver du côté du peuple (évidemment) et contre Kadhafi, mais en même temps ne rien approuver, jamais, de ce que peut faire Nicolas Sarkozy. Vrai bonheur que d'admirer leurs poses de contorsionnistes perclus. Du reste, je ne sais pas trop que penser de tout cela et j'ai bien du mal à me faire une opinion nette et tranchée sur guerre ou pas guerre. A priori j'aurais plutôt été contre (que chaque peuple se démerde avec son dictateur, nous ne sommes pas les gendarmes ni les directeurs de conscience du monde, etc.). Mais une fois que Sarkozy a pris fait et cause pour les rebelles, et nous a donc mis ce malade de Kadhafi à dos, il importe de le dézinguer le plus rapidement possible afin de l'empêcher de nuire. Je veux dire : de nous nuire. S'en donnera-t-on les moyens ? J'en doute. J'ai comme l'impression qu'on est bien parti pour foirer le truc, comme dirait l'autre.


Lundi 21

Onze heures du matin. – Donc, hier, au dernier moment, déjà dans l'isoloir, j'ai pris le bulletin Front national et l'ai glissé dans l'enveloppe. Je n'étais pas sorti de la mairie depuis dix minutes que je me demandais déjà pourquoi. J'ai, depuis hier, passé en revue un certain nombre de raisons que j'avais de faire ce geste (car c'est bien moins un choix qu'un geste), pour ne pas dire : ce mouvement d'humeur. Ma conclusion est que les vraies, de raisons, sont sans doute les moins nobles, voire les plus stupides.

Commençons par la candidate : j'ai déjà oublié son nom (ah, si : Braconnier !) et je la croiserais dans les rues de Pacy sans que son visage ne m'évoque rien. Quant à son absence de programme pour le canton, j'ai déjà dit ce que j'en pensais. Mais il est vrai aussi que je me fous à peu près complètement du canton où je réside.

Le parti : ai-je envie de voir le FN s'installer aux commandes, qu'elles soient régionales ou nationales ? Évidemment non : je crois ce parti incapable (pour le moment en tout cas) de gouverner. Ce qu'ils ont d'ailleurs prouvé amplement lorsqu'ils ont remporté quelques mairies importantes il y a plusieurs années : tous ont piteusement échoué. Il est vrai qu'“on” n'a pas dû les aider beaucoup. D'un autre côté, personne n'a envie non plus, je pense, de voir Cécile Duflot arriver à l'Élysée, ni même une majorité de députés écolos tenir le Palais Bourbon. Pour autant, personne ne tente jamais d'enfermer les électeurs des Verts dans ce type de faux dilemme. Mais bon.

Alors ? Aurais-je voté FN par simple exaspération contre Modernœud et ses hérauts ? Mon bulletin de vote comme antidote dérisoire contre les flots de moraline de plus en plus épais et surdosés que l'on nous injecte de force ? Oui, c'est à l'évidence la raison principale, en quoi je rejoins sans doute la majorité des électeurs votant FN – ce qui n'est guère valorisant, mais il fallait y réfléchir avant, gros con. On peut y ajouter aussi le désir de faire éclater la droite ou, au moins, de forcer celle-ci à prendre enfin en compte les aspirations anti-immigration, anti-européennes, anti-laxistes, etc. de la majorité des Français, et à cesser de vouloir mécaniquement coller à la roue de la gauche dans ce qu'elle a de plus stupide et de plus délétère.

C'est pourquoi j'espère ardemment que le second tour de la présidentielle de 2012 verra s'affronter Marine Le Pen et le candidat du PS. Bien sûr, il faudra alors en passer par cinq ans de gouvernement socialiste, ce qui ne fera qu'accélérer la décrépitude de la France. Mais on peut espérer que cela fera aussi voler en éclats la droite actuelle et que l'on assistera alors à une recomposition donnant leur vraie place (c'est-à-dire à mon sens la première) aux questions primordiales que je viens d'évoquer. En un mot, ce sera l'occasion pour la droite de le redevenir, de droite, et de rompre avec les discours mortifères qui sont désormais en situation de quasi monopole dans les journaux, sur les ondes et à la télé.

Si je voulais résumer au maximum (en caricaturant un peu au passage…), je dirais que voter FN a été pour moi une manière symbolique d'éparpiller façon puzzle tous les Guillon et les Balasko de la Création. Je cite les deux noms emblématiques de mon dégoût qui me sont venus en premier à l'esprit : il y en a d'autres bien sûr, et chacun a les siens.

Il reste que ce n'est pas un motif de vote bien intelligent…


Sept heures vingt. – Mais les motifs des autres, de ceux qui votent pour les partis “tout-venant” sont-ils réellement plus intelligents ? Plus finement politiques ?

Il reste que je ne crois pas vraiment à la capacité qu'aurait Marine Le Pen de mettre fin à l'immigration suicidaire, ni même à son désir sincère de s'y attaquer. Pas plus que son père n'en avait le désir ni la capacité. D'abord parce qu'elle est, elle aussi, et malgré qu'elle puisse en avoir, un pur produit du fameux établissement. Elle est née dans le sérail, y a grandi, c'est l'héritière type. D'un autre côté, on peut parfaitement comprendre les problèmes et les souffrances sans jamais les avoir soi-même affrontés ou ressenties. Et puis, je ne vais tout de même pas me mettre à flétrir ces pauvres héritiers sur lesquels il est de bon ton de tomber à bras raccourcis – surtout si on est de gauche bien sûr, mais pas seulement –, en essayant de camoufler son ressentiment et ses aigreurs de pauvre derrière une soif imaginaire de justice sociale, laquelle n'existe pas comme chacun sait.

J'ai comme dans l'idée que, passée l'élection présidentielle de l'année prochaine, je retournerai à mon abstention habituelle. Dont je discerne déjà de moins en moins pourquoi j'en suis sorti.

– Pas travaillé du tout au synopsis aujourd'hui, alors que j'aurais eu tout le temps de le faire. Il serait bon que je le termine (que je le terminasse…) demain, afin d'être en accord avec le planning que je me suis fixé. Car si je trébuche dès la première marche, ce ne sera même pas la peine de faire semblant de continuer.


Mardi 22

Sept heures et demie. – Synopsis bouclé ! Certes, ce n'était pas un bien grand exploit puisqu'il ne s'agissait que de démarquer un roman déjà existant, mais tout de même : comme dans une transcription musicale (j'imagine), il fallait faire face à un certain nombre d'impossibilités harmoniques dues au changement d'instrument. Je crois que ça tient debout et que personne n'y verra rien, même si j'ai laissé la conclusion pour plus tard : elle s'imposera d'elle-même – enfin, disons qu'elle a intérêt à le faire – lorsqu'on en arrivera au dénouement.

Je vais donc pouvoir me mettre à l'écriture dès samedi prochain, comme je l'avais prévu.

– Mes petits amis blogueurs, ceux de gauche en première ligne comme il se doit, tentent de relancer la quinzaine anti-Le Pen (réduite à une semaine) mais j'ai l'impression que le cœur n'y est plus. Qu'il y est moins qu'en 2002 en tout cas. Ce qui reste hautement distrayant, c'est de les voir remâcher les mêmes deux ou trois questions (comment enrayer la montée du FN ? Comment convaincre ses électeurs ? Etc.) en prenant bien soin de ne jamais regarder du côté où se trouve la réponse. De toute façon, ils sont coincés dans un double bind dont ils ne sortiront pas vivants. Ou alors dans un état que je ne préfère pas imaginer. Comme le disait drôlement (mais sans intention d'être drôle), tout à l'heure, un commentateur de L'Hérétique : « Donc en fait, pour battre le FN, il faudrait être le FN. » Rapidement dit mais pas faux. Il faudrait au moins accepter de prendre en compte sérieusement, sans mépris ni ironie, les aspirations et les craintes de cet électorat – craintes d'ailleurs partagées, j'en suis certain, par de plus en plus de gens qui se refusent à voter FN pour différentes raisons, dont la fidélité à un autre parti, mais qui, sur ces thèmes-là, n'en pensent pas moins. Je reste persuadé que les Français n'en pouvant plus de cette invasion à jet continu, ceux qui voient très bien le lien entre immigration et violence, qui savent que l'ensauvagement de notre pays et de nos mœurs vient directement des Africains qui s'installent ici en nombres de plus en plus élevés, eh bien je reste persuadé qu'ils sont très largement majoritaires. Pour en avoir la preuve il suffirait d'organiser deux ou trois référendums “à la suisse” sur des questions judicieusement choisies. Mais on s'en gardera bien. Et de toute façon, le répugnant Cohn-Bendit – et pas seulement lui – viendrait ensuite nous expliquer tout sourire dehors qu'il convient de revoter, que la démocratie doit avoir ses limites, etc.

– Je suis décidé, demain, à faire le siège du docteur Rivière jusqu'à ce qu'elle consente à me recevoir : depuis près de deux semaines maintenant, l'état de mon œil gauche ne s'est pas amélioré (mais pas aggravé non plus bizarrement), il est rouge, pleure et me pique. Et voilà que le mal a gagné l'œil droit. il est temps par conséquent d'y mettre un collyre un peu plus efficace que le produit en vente libre que l'on m'a refilé à la pharmacie.


Mercredi 23

Six heures et demie. – Toujours à FD, pour cause de mort de Liz Taylor et, donc, de repiquage de cinq pages du numéro bouclé hier soir. En presque trente ans, j'en ai vécu beaucoup, des repiquages de ce type, et dont un certain nombre nettement plus acrobatiques que n'aurait dû l'être celui-ci (plus tardifs, plus de pages à casser, etc.). Eh bien je ne crois pas en avoir jamais vu d'aussi merdique. La rédactrice en chef m'a annoncé la mort de Taylor lorsque je suis remonté, à trois heures. Il est actuellement sept heures moins le quart et pas une seule des cinq pages repiquées n'est encore arrivée au secrétariat de rédaction, alors que tous les papiers sont écrits depuis près de deux heures (par nos soins, à Brice et à moi, est-il besoin de le préciser ?)

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Jeudi 24

Sept heures et demie. – Mais enfin, qu'est-ce qui m'a pris, hier, de me lancer dans cet historique interminable de FD ? Certes, il y a eu ce repiquage, chose qui ne m'était plus arrivée depuis des années. et aussi le fait que j'ai éprouvé l'envie d'un apéritif une fois rentré à la maison. Mais enfin, tout de même… Je ne sais pas pas si tout cela demeurera en place au moment de la publication. Ce doit être à peu près imbitable, je suppose. Je n'ose même pas aller relire…

– Sinon, rien.


Vendredi 25

Huit heures dix. – J'ai finalement abandonné le Saint Louis de Jacques Le Goff après le premier tiers purement biographique de ce volumineux ouvrage (900 pages tout de même), pressé que j'étais de passer à Philippe Auguste puis à Philippe le Bel dont les biographies respectives sont arrivées hier ou avant-hier. Moyennant quoi j'ai finalement commencé de lire Les Américains d'André Kaspi, après avoir failli prendre l'Histoire de la papauté que Catherine a abandonné au bout d'une centaine de pages la semaine dernière. Bref, c'est un peu n'importe quoi. Et puis, il y a encore les trois volumes de l'Histoire des croisades de René Grousset. Je ne m'en sortirai jamais.

– Demain, donc, je suis censé commencé à écrire le BM qui doit être rendu le 15 mai : il y a fort longtemps que je ne me suis pas accordé autant de temps pour un roman. Logiquement, là, pour une fois, je devrais arriver à le boucler en n'y travaillant que le matin.

– Je suis définitivement (je le crains) devenu incapable de lire après le déjeuner : je m'endors invinciblement au bout de cinq pages, non seulement lorsque je suis ici mais même à Levallois lorsque je vais lire dans la salle de conférence. Tant que nous étions rue Thierry-Le Luron et que je lisais dans le hall, je suppose que le fait d'être vu par tous les gens qui passaient suffisait à bloquer le sommeil. Rue Anatole-France ce barrage a sauté et je pique invariablement du nez au bout de dix minutes. Ce qui m'agace beaucoup car je tenais à cette heure de lecture que je m'octroyais, seul îlot (comment écrit-on ce mot ?) d'intelligence dans la mare de crétinerie qu'est une journée à FD. En fait, je ne redeviens à peu près capable de lire que vers le milieu de l'après-midi, lorsque la digestion est déjà bien avancée. Mais alors, il n'est plus temps car le travail se profile. Et, s'il tarde à se profiler, l'énervement qui en résulte empêche de se concentrer sur un livre.

– J'ai accepté d'aller travailler en pige mardi prochain et je suis furieux d'avoir dit oui à Brice : aller se farcir un bouclage à Levallois et y passer la journée entière pour finalement gagner à peine une centaine d'euros net, c'est vraiment stupide. Je peux évidement toujours me dire que je l'ai fait pour ne pas laisser les trois filles dans la panade, mais je sais très bien que ce n'est pas vrai ; que j'ai dit oui à Brice simplement parce que je n'ai jamais su dire non à qui ou à quoi que ce soit, en tout cas jamais assez rapidement ni avec suffisamment de naturel. C'est vraiment pénible, d'être comme ça. Sans parler du fait qu'on finirait facilement par passer pour une chiffe molle à ses propres yeux.


Samedi 26

Sept heures et demie. – Eh bien voilà, j'ai commencé mon week-end de travail… par une journée chômée. Ce n'est pas grave, évidemment, mais symboliquement c'est du lourd.

– Ce matin, le détestable Begouen gratifiait ses lecteurs (dont moi, par conséquent) d'un billet sur la Commune de Paris. Je me demande toujours, à chaque fois ou presque que ce vieux machin révolutionnaire – ou qui se croit tel – prend la plume, comment on peut avoir l'esprit aussi faux et le postillonnage aussi aigre. Cette fois-ci, en plus, je l'ai pris en flagrant délit de raconter n'importe quoi sans savoir, puisqu'il attribuait des sentiments anti-communards à Baudelaire, mort depuis quatre ans au moment de l'insurrection. Mais ce type, comme tous ses pareils, est totalement inaccessible à la honte, puisqu'il est pour jamais installé dans le camp du bien, du beau et du bon, c'est-à-dire du révolté.

Mais ces types sont abjects, au fond ! Je dis “types” par commodité de langage car, en réalité, quand elles s'y mettent, les harpies révolutionnaires sont presque pis que leurs mâles. Elles sont plus agressivement haineuses, alors qu'eux conservent toujours un côté “grand benêt” qui les sauve plus ou moins, ou en tout cas fait voir qu'ils sont et restent parfaitement inoffensifs. Inoffensifs mais abjects néanmoins, avec cette façon qu'ils ont d'enrôler les gens et les peuples sous la bannière de leurs idées de déments, pour les laisser tomber, les repousser négligemment du bout de la botte dès lors que gens et peuples s'écartent un tant soit peu de ce qu'on leur avait enjoint de faire et de proclamer. Ou bien, même, simplement lorsqu'un autre peuple ou d'autres gens se présentent à l'avant-scène de leur petit théâtre historico-politique et leur semblent plus séduisants, plus aptes à faire reluire leurs vieux fantasmes fourbus de révolution mondiale et d'égalité vert-de-gris.

Mais pourquoi je m'énerve comme ça, moi ?

– Petit mail de la Crevette, tout à l'heure, pour me dire qui sera présent à la petite réunion dominicale que Damien et elle organisent chez eux le 10 avril. Je suppose qu'elle a compris que j'aimais bien savoir à l'avance qui j'allais rencontrer (j'ai failli écrire affronter, ce qui aurait été stupide – néanmoins j'ai failli…). C'est que j'ai toujours plus ou moins dans l'esprit cette angoisse de ne pas reconnaître des personnes déjà rencontrées, ou de ne pas être capable de les nommer – ce qui est d'autant plus facile, hélas, que tous ces gens ont des pseudonymes bloguesques… Pour cette fois, ça devrait aller : les cinq jeunes hommes qu'Axelle m'a présentés comme “sûrs” d'être présents sont déjà connus de moi – sauf le pseudonommé Blueberry, mais il paraît que, dans son cas, même le mot sûr ne veut rien dire…

Malheureusement, nous ne pourrons pas réaliser le petit gag prévu, à savoir faire manger à Hervé (XP) des fromages fabriqués par Antoine, les deux hommes faisant profession de se détester, notamment en commentaires sur le blog-mère. C'est en effet la morte saison pour les fourmes et les tommes, dont Antoine est totalement dépourvu à l'heure qu'il est. D'après lui, la production doit reprendre d'ici quelques semaines. (En fait, si je veux que la plaisanterie fonctionne lors d'un prochain déjeuner, chez les Crevette ou ici, je devrais bien effacer ce qui précède avant de publier ce journal de mars, le 30 avril prochain, au cas où Hervé viendrait à le lire. Mais je ne crois pas qu'il le fasse.)

– Mon œil gauche continue de rougeoyer, piquer, larmoyer, et il va tout de même falloir que je me décide à consulter, avant de devenir borgne voire aveugle. Ce qui me déplairait prodigieusement : Proust lu par Dussolier c'est bien, mais au bout d'un moment ça doit tout de même lasser. Mais consulter qui ? Et surtout quand ? Il en va désormais de la région parisienne comme de la province, concernant les médecins spécialisés : plus moyen d'obtenir un rendez-vous à moins de trois semaines. Je vais finir, le premier de chaque mois, par prendre sept ou huit rendez-vous médicaux (oculiste, dermatologue, dentiste, etc.) répartis sur les trente jours suivants. Il ne me restera plus, ensuite, qu'à les annuler au fur et à mesure de mes non-besoins, avant de recommencer le premier du mois suivant. Bien sûr, il faudrait changer régulièrement de spécialistes, sous peine de se faire très vite envoyer bouler.


Dimanche 27

Sept heures et quart. – Commençons par signaler aux aimables foules en délire que je n'ai pas encore aujourd'hui commencé le ci-devant Brigade mondaine n°325. Grâce à une excuse confondante de mauvaise foi : le passage à l'heure dite d'été, qui m'en a fait perdre une, d'heure, et par là a rendu la matinée trop courte pour qu'il vaille la peine de se mettre au travail. « Et demain, comme tu dois aller à FD mardi, ça ne vaudra pas non plus la peine ! » s'est scandaleusement moquée Catherine – j'ai démenti mollement, mais avec un certain agacement d'être aussi facilement percé à jour. Car, bien sûr, je serais le premier surpris si le moindre feuillet sortait demain des rotatives.

– Poursuivi la lecture des Américains d'André Kaspi : lecture passionnante mais frustrante, frustrante car passionnante : on a envie de plus de détails, et de commander illico trois, cinq, dix livres supplémentaires, traitant de tel et tel aspect que cette histoire que l'on a entre les mains ne fait qu'effleurer. Par exemple, juste avant le dîner m'est venue l'envie un peu saugrenue de lire une biographie de John D. Rockfeller ou d'Andrew Carnegie – voire des deux. Est-ce que de tels ouvrages existent en français ? Et, s'ils existent, mon bizarre désir survivrait-il aux délais habituels de livraison ? Je vais tout de même aller voir si ça existe : on ne peut pas vivre avec une incertitude pareille.

– C'est un thème du second mouvement de la septième symphonie de Bruckner – écoutée cet après-midi en relisant mon journal de février – qu'Olivier Greif utilise, cite dans l'une de ses œuvres, mais je ne sais plus laquelle. C'est soit dans la Sonate de requiem, soit dans le trio pour piano, violon et violoncelle, mais je n'ai pas le temps d'écouter le disque maintenant.

(Cela me fait penser que Jérôme Vallet ne m'a jamais dit ce qu'il avait pensé de la musique de Greif, justement. Je suppose qu'il n'a pas dû aimer du tout et qu'il a préféré se taire plutôt que de me dire que j'écoutais de la daube…)

– Il sera bientôt huit heures, et il fait encore grand jour, et ça m'énerve – comme chaque année.


Lundi 28

Sept heures et demie. – Bizarre journée. J'ai commencé par écrire ce matin un billet pour le blog-mère à propos de cette manifestation grotesque dont je venais de trouver l'écho sur le blog Cultural gang bang : à Lyon, place de la République va être installé un côlon géant de vingt mètres de long, dans lequel les gens pourront circuler, afin d'y être sensibilisé sur la campagne de dépistage du cancer concernant cet organe. On imagine sans peine la tonalité de mon billet, d'autant que, sur Rhône.fr, l'auteur de l'article parlait de démystifier le dépistage et se croyait obligé de préciser que le boyau exposé n'était pas un vrai côlon. Bref, je trouve une photo du boyau en question, j'écris le texte, je trouve un titre, je corrige le tout et clique sur “publier le message”. Là s'affiche, comme parfois, une page intercalaire de Blogger, me demandant de fournir mon identifiant et mon mot de passe. La première idée que j'ai eue fut de revenir d'une page en arrière afin de sauvegarder mon billet. Comme l'idée était fort raisonnable je ne l'ai pas suivie. J'ai entré mon mot de passe et provoqué de ce fait un gigantesque court-circuit qui m'a fait perdre la quasi totalité de mon billet, ce qui m'a d'abord légèrement décontenancé et, tout de suite après, pas mal agacé. C'est à ce moment, je crois, que je me suis dit que j'aurais mieux fait de commencer à écrire le premier chapitre du prochain BM ; mais que là, vraiment, après un coup pareil, je n'avais plus goût à rien et surtout pas au travail.

– En fait de travail j'ai tout de même profité de ce que le temps est resté ensoleillé toute la journée pour passer la tondeuse dans le jardin, ce qui fut bel et bien ma seule activité constructive de la journée.

Non, j'ai également revu le DVD que JV m'avait envoyé il y a déjà plusieurs mois, consacré aux grands chefs d'orchestre du XXe siècle. J'ai été une fois de plus très impressionné par Fritz Reiner dont le visage immobile et les yeux subsistant à l'état de fentes mais laissant passer des regards extraordinairement intenses lui donnent quelque chose de plus tout à fait humain ; de saurien.

– Demain, mais je l'ai déjà noté je crois bien, journée de travail supplémentaire à FD, pour cause de deux absences conjointes au rewriting venant s'ajouter au long arrêt maladie de Véronique. Je m'en veux d'avoir dit oui lorsque Brice m'a demandé si j'étais intéressé par cette pige. Car, en fait, non je ne le suis pas, intéressé. Mais alors pas du tout. Aller passer toute une journée rue Anatole-France pour, au bout de compte, me trouver plus riche d'à peine cent euros, ça ne vaut vraiment pas le coup. Car ce doit être à peu près cela, mais je peux préciser, juste pour voir. La pige journalière est actuellement de 161,50 € brut (à quelques centimes près). Sur quoi il faut enlever les charges, ce qui nous amène à un net d'environ 125 € en étant très généreux. Les péages d'autoroutes : 17 €. L'essence : 13 €. Ce qui nous mène à 95 € de bénéfice net. Eh bien, je les leur abandonne très volontiers, si on veut bien en échange oublier que j'existe et me laisser chez moi demain. Mais c'est trop tard évidemment, il aurait fallu me montrer ferme dès que Brice a ouvert la bouche – je suis trop con, aussi.


Mardi 29

Cinq heures. – L'honnêteté m'oblige à rectifier, vérification faite, ce que j'écrivais hier à propos de la pige journalière au rewriting : elle est de 163,41 €. Ce qui ne change rien au fond de la question.

– Ludovic est rentré ce matin du Québec où il vient de passer trois semaines afin de poser les jalons de sa réinstallation là-bas. Apparemment, d'après sa mère qui l'a eu au téléphone tout à l'heure, il ne songe plus à rien moins qu'à ce rapatriement. Débarqué ce matin à Roissy, il a filé directement à Rennes afin d'y retrouver Solène.

– La secrétaire du docteur Rivière, l'oculiste de la place Pompidou chez qui je fréquente, m'a appelé ce matin pour me proposer un rendez-vous demain à sept heures du soir. Je l'ai pris tout en sachant que je n'irai pas, à moins d'une brutale aggravation de l'état de mon œil gauche. D'abord parce que c'est beaucoup trop tard et ensuite parce que, justement, depuis hier soir, il me semble qu'il va plutôt mieux.

– Catherine ayant, avant de partir pour le presbytère, ce matin, omis de me poser mon bento bien en vue sur la table, j'ai naturellement oublié celui-ci dans le frigo. J'ai donc une fois encore saucissonné et… (on ne dit pas fromagé, dommage…), bref, j'ai absorbé un nombre de calories dont je n'ai nul besoin, et même bien au contraire. C'est rendu au point que, dans la salle de bain, je fais un large détour lorsque j'aperçois le pèse-personne. Qui, en effet, ne pèse personne.

– Je suis d'autant plus furieux d'être ici, à Levallois, que les trois filles ne m'y attentaient nullement et qu'elles auraient pu très facilement se passer de moi, vu la quantité de travail à faire. Je crois que je vais aller me réinstaller dans la salle de conférence, avec les Américains de Kaspi et l'iPod. À tant faire que d'être coincé ici…

Neuf heures vingt. – Fauteuil, musique (Philippe Hersant pour l'heure), Ricard. J'ai décidé, aux alentours de six heures du soir, que j'allais annoncer à Brice mon refus de changer mes jours de travail, contrairement à ce que je lui ai dit lorsqu'il me l'a demandé. Je refuse de bosser le mardi, jour de bouclage. Non parce que la journée se termine plus tard, ni parce qu'il y a plus de travail à fournir (ce n'est même pas vrai du reste), mais parce que je ne supporte pas (encore moins qu'il il y a dix ou vingt ans) le manque de professionnalisme, la nullité satisfaite, les abrutis (on peut mettre au féminin) qui font chier une rédaction entière - et ça suffira comme ça. Bref, j'ai expliqué aux filles, en fin d'après midi, que je vais finalement signifier à Brice mon refus d'être là les jours de bouclage. Cela étant, si on me dit : c'est ça ou la porte ? Eh bien, ce sera ça, évidemment. Mais je demanderai qu'on consigne dûment mon manque d'enthousiasme.

– La question de la frappe quand on a bu. J'en ai déjà parlé, je crois. Rin de plus pénible lorsque, relisant le journa du mois précédennt avant publication, on tomber sur ces passages où il est notoire que l'auteur avait picolé avant d'écrir : ça se voit non seulement au décousu de ce qu'il dit, mais surtout, surtout, aux fautes de frappe qu'ils laisse dans son texte. Et qu'il est obligé d'effacr ensuite. Et dont il dit souvent qu'il mériterait de les laisser pour que, à fin de flagellation, qes lecteurs voient àquel point il était (o devait être) saoul.

Eh bien, là, j'ai trouvé. Lorsqu'il s'agira de publier ce journa de mars – fin avril donc –, je vais évidemment reprendre toute cette partie qui précède. Mais, comme dans une édition bilingue, je donnerai en dessous une édition diplomatique pouyer que rtout le monde sache comment je claviote quand j'ai bu. (Et je garde le verbe clavioter, pour plus tard, dans la sésie “Didier Goux invente des mots”.)

– Merdalors, je voulais dire autre chose et j'ai un peu oublié quoi. Ah, si, tout de même : il va de soi que, depuis “neuf heurs vingt”, j'ai continué à boire (sans rouler à terre toutefois), et que, peut-être on pourra le voir à la multiplication des fautes:



Mercredi 30

Cinq heures. – Finalement, pour ma logorrhée d'hier soir, je pense que je vais réécrire (et beaucoup caviarder…) la majeure partie mais laisser un ou deux paragraphes avec les fautes de frappe et les phrases filandreuses d'origine : ça m'apprendra.

– Je n'ai aucun travail à faire et, s'il s'en présentait, je suis fermement décidé à le laisser reposer une nuit pour ne m'y attaquer que demain. Pourtant je reste là, seul dans ce bureau, uniquement parce que j'ai la flemme de bouger mon cul afin de descendre au troisième sous-sol récupérer ma voiture et nous emporter tous les deux ailleurs.

Il est vrai que j'ai passé cette journée à courir d'un cabinet médical à l'autre, ou peu s'en faut. Le dentiste a ouvert les hostilités à onze heures. J'y allais pour ce que je croyais être un problème de gencives. En fait, non : d'après le quenottologue, cette sensibilité au froid que je pensais gingivale serait en fait purement dentaire, voire racino-dentaire, et viendrait de ce que je me brosse les dents avec trop d'énergie. J'ignorais qu'on pouvait se niquer les dents en les brossant trop fort, mais il paraît qu'oui.

Ensuite, juste après le déjeuner, je me suis rendu au cabinet de radiologie pour me soumettre au “panoramique dentaire” réclamé par le praticien précédent (que je dois revoir mercredi prochain). Et, enfin, à trois heures et demie, visite à la médecine du travail où je ne m'étais pas rendu depuis quatre ans. L'ancien médecin, une femme horripilante à force de bavardage continuel, est parti et a été remplacée par une Malgache minuscule, affublée d'un nom à rallonge impossible à retenir, comme le veulent ses origines. Lorsqu'elle m'a vu torse nu, elle m'a déclaré tout net que j'avais l'air d'être enceint de six mois. Il m'a semblé qu'elle minimisait : huit aurait sûrement mieux correspondu à la bedaine que je traîne depuis l'arrêt du tabac.

– Bon, cette fois, il est tout de même temps de rentrer à la maison.


Jeudi 31

Quatre heures. – Mise en ligne ce matin du journal de février. Apparemment, je n'ai trompé personne avec mon histoire de cancer de la gorge, c'en serait presque vexant : comme si on ne me jugeait pas capable, voire pas digne, d'attraper un cancer.

– Billet répugnant de l'ancêtre Begouen, chez les Ruminants, à propos d'Israël et de la prétendue Palestine. Tissu de mensonges éhontés, mais auxquels je suis presque sûr qu'il croit lui-même, tant il est intellectuellement et moralement gangrené par des idéologies toutes plus cadavéreuses les unes que les autres. Je voulais en faire un billet, mais j'y ai finalement renoncé : ce vieillard obscène commence à avoir l'haleine vraiment trop fétide pour que je le laisse entrer chez moi. Dans la foulée, j'ai supprimé leur charnier de mes liens, tout à fait décidé à n'y plus mettre les pieds. Et, moi, contrairement à l'autre andouille de b.mode, je suis bien décidé à tenir cet engagement, sur lequel je termine ce mois de mars, qui est mon troisième entièrement tobacco free.

– Presque achevé la lecture de L'écologie en bas de chez moi. Le livre est drôle, réjouissant même pour qui considère les écolos comme de pitoyables guignols, mais enfin ce n'est pas non plus un chef-d'œuvre. Disons que c'est très léger : ça pétille un moment dans le verre, c'est frais en bouche, et hop ! c'est déjà oublié.

– Je ne sais plus si j'ai noté ceci. Alors que je pensais être entré à FD quelques mois après Dominique P., j'ai appris, de l'intéressée elle-même, qu'en réalité elle n'était arrivée qu'en 1984, alors que j'étais déjà là depuis deux ans. Depuis la mort d'Olivier Baumann, il y a deux semaines, je suis donc bel et bien devenu le plus ancien salarié de ce vénérable journal, sa mémoire vivante, comme diront les amateurs de clichés – et Dieu sait qu'il n'en manque pas en milieu journalistique. Mémoire vivante pourrait d'ailleurs être le titre de ce journal, dans sa livraison du mois de mars.