lundi 30 juillet 2012

Juin 2012












APRÈS LONGTEMPS DE FIANÇAILLES











Vendredi 1er juin

Quatre heures. – Malgré le changement de mois, tout demeure en l'état, ce qui a un côté rassurant, si l'on veut. Résumons-nous : hier, au sortir de la conférence dite par moi “des chefs”, il m'a été confié deux travaux. Un article sur cette pauvre Ségolène R. qui ne sera jamais Première dame (ce qui en soi n'est pas grave puisqu'il n'y a pas de Première dame en France, mais passons), et un autre, proposé par moi-même à partir du livre de Louis Bozon sur Marlène Dietrich (Marlène et la haute couture, pour faire bref). J'ai commencé tout de suite par celui-ci, parce qu'il était à la fois le plus facile et le plus amusant à écrire. Je m'y suis mis vers onze heures et demie et, à une heure, je me trouvais à la tête de 8300 signes – ce qui est trop mais on s'en fout : le rewriting n'est pas fait pour les chiens. Là-dessus, je suis rentré à la maison, en me disant que les quatre mille ou quatre mille cinq cents signes que l'on me réclamait à propos de la quakeresse poitevine (merci à Gabriel Matzneff) seraient aisément faits demain matin, c'est-à-dire, désormais, ce matin. Et, bien entendu, on l'a déjà deviné, je n'ai rigoureusement rien fait ce matin, ni davantage cet après-midi. Comme Catherine doit s'en aller vers cinq heures et demie et que j'ai prévu de tondre le jardin en son absence, puis de m'accorder en attendant son retour le petit apéritif que je me suis refusé hier, pour cette raison même, il apparaît évident que Ségolène devra attendre demain, pour mettre les choses au mieux.

Huit heures et demie. – J'ai toujours eu davantage de sympathie, de tendresse, et même d'admiration pour les catholiques de naissance que pour les convertis ; pour ceux qui ont reçu de leurs parents la Connaissance et la Foi, et qui les ont conservées, voire transmises. Il y a aussi que les convertis, surtout si leur découverte intervient dans leur âge adulte, ont souvent tendance à exhiber leur foi neuve comme en bandoulière, à la ramener un peu plus qu'on ne le voudrait. D'un autre côté, je suppose que ces convertis, ces gens qui ont pris leur religion en marche, doivent toujours avoir à s'expliquer. Dès que leur conversion est connue, les questions affluent : Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Etc. Et, trop souvent, ces questions sont posées sur le mode ironique, de haut. Alors qu'on ne demande rien aux croyants de naissance, considérant que leur foi est une simple part de leur héritage génétique, comme leurs cheveux roux, leurs yeux noisette, ou cette petite tache lie-de-vin qu'ils ont au creux de l'omoplate.

– J'éprouve toujours un petit plaisir de sale gosse, les soirs d'apéro, parce que je crains de l'oublier ensuite, à faire passer mon comprimé anti-diabète avec une franche gorgée de Ricard.

– Je viens de reprendre le Journal d'un voyage en France, de Renaud Camus. C'est un livre que j'aimerais bien offrir à Nicolas ; je suis sûr qu'il pourrait lui plaire, s'il prend la peine de passer outre ses préventions à l'endroit de l'auteur – et je l'en sais capable, tout à fait. Du reste, il n'y a pas plus franco-français que Nicolas. Voilà cinq ans que je le connais, jamais il n'a manifesté, dans ses blogs ou lors de conversations privées, la moindre curiosité pour ce qui n'est pas la France, la plus petite velléité de pousser une incursion en Espagne, en Italie, sans même parler de la Corée du Sud ou  des pays baltes. Et c'est comme cela, reprenant le livre de Camus en question, et repensant à ses itinéraires de vacances, que je me suis dit que, etc.

– Ce qui vient d'être lu a été noté, tout à l'heure, sur la terrasse. J'y étais seul et il m'a semblé plus simple de prendre le stylo et le carnet plutôt que l'ordinateur (de Catherine ou le mien). J'ai donc noté à la main ce qui précède. Le transcrivant ici, je tombe sur le recto (ou le verso) de cette feuille à spirales. Il y est noté ceci (par moi, indubitablement) :

P. Q. : il lui restait une lame dans sa manche. [Là, je sais très bien quand j'ai noté cela et ce que j'ai voulu dire. Catherine le sait aussi, je le lui ai dit. P.Q. veut dire : Petit Québec.]

Voilà bien deux ou trois ans déjà que j'ai plongé dans cette uchronie sentimentale et rêveuse. [Une “uchronie sentimentale et rêveuse” ? Fichtre ! Je devais être assez saoul, je pense. Je ne comprends rien.]

Juste en dessous, ceci : ----> Il aurait été beau d'habiter cette langue (titre) [Pas plus compréhensible que ce qui précède.  Comment suivre les méandres d'une pensée qui, visiblement, se laisse aller dans le flot de l'alcool ?]

Puis : Langue de campagne, idiome secondaire. [À ce stade, on se demande si on n'est pas plusieurs. En tout cas on se dit qu'on aurait intérêt à noter les choses moins succinctement, si l'on voulait qu'elles conservent un semblant d'intelligibilité, plus tard.]

Et enfin : Terres inconnues <----> terre d'exil. [Et voilà comment on se retrouve furieusement étranger à soi-même.]

Je jette ces feuilles, tout de suite. Voilà, c'est fait. Néanmoins, on a raison de noter : je me souviens pourquoi j'ai écrit qu'il restait à P.Q. une lame dans sa manche. Et la lame en question, hein, elle n'a pas raté sa cible.

Dix heures moins cinq. –  Mail de Nicolas pour m'apprendre que la blogueuse dont le pseudo était “La Pecnaude” vient de mourir. Ça ne me surprend pas trop : depuis plusieurs jours, chez les Rrums, on sentait bien qu'il lui était arrivé quelque chose de grave,  même si aucun d'entre eux ne disait finalement rien de concret. Assez bizarrement, la nouvelle me touche. Je ne connaissais pas cette femme, elle était l'une de mes lectrices les plus assidues, mais comme moi-même je le suis chez les Rrums vis-à-vis d'un ou deux d'entre eux : une lectrice qui me détestait, pour faire bref. En tout cas, pour qui je représentais tout ce dont elle avait horreur, idéologiquement parlant. Néanmoins, je l'aimais bien – et je ne dis pas cela parce qu'elle est morte : je l'aimais déjà bien avant.


Samedi 2 juin

Cinq heures et demie. – En procédant, hier, à une première relecture de mon journal de mai, j'ai vu qu'il y a une dizaine de jours je disais avoir envie de relire le Journal d'un voyage en France, de Renaud Camus. J'avais ensuite dû oublier cette envie, je suppose. Je l'ai donc repris et j'ai fort bien fait, car c'est un livre éblouissant, dans sa forme particulièrement, mais je n'ai pas trop le temps de développer maintenant (je dois aller monter une mayonnaise pour les asperges de ce soir…). De plus, la halte clermontoise que fait l'auteur presque dès le début de son périple, contraint et forcé (il a attrapé la jaunisse) m'a poussé à relire l'Élégie de Chamalières, ce que je viens de faire avec grand plaisir. J'avais oublié que ce livre avait été écrit en quatre jours de mars 1988, et qu'il l'avait été à l'hôtel Radio, où Catherine et moi avons fait escale plusieurs fois, il y a quelques années.

– Inutile de préciser, je pense, que mon article sur Ségolène est toujours dans les limbes. Ce sera pour demain (là, plus le choix).

– Ce soir, parce qu'il y a une messe au Plessis, ce qui est rare, Catherine a décidé de s'y rendre et je serai donc seul entre six heures et demie et sept heures et demie en gros. En ayant déjà pris un hier soir, et massif, je comptais me passer d'apéritif durant ce temps. Et ce d'autant plus facilement qu'il ne me restais rien à boire ici. Mais ce matin, prise de pitié dit-elle, Catherine est remontée de Pacy avec une flasque (20 cl, pas la mer à boire…) de Ricard. C'est d'ailleurs pourquoi je suis venu dans ce journal plus tôt que d'ordinaire : gouverner c'est prévoir.


Dimanche 3 juin

Sept heures et demie. – J'ai évidemment attendu cet après-midi pour me mettre enfin à l'article sur Ségolène Royal que je traîne après moi depuis jeudi. Une fois la documentation dépouillée, écrire les quatre feuillets m'a pris exactement cinquante minutes : cela valait vraiment la peine de tourner autour pendant trois jours.

– En dehors de cela, poursuivi la (re)lecture du Journal d'un voyage en France et écrit un billet sur le blog-mère, composé en grande partie d'un extrait de L'Élégie de Chamalières, relue hier. Et nous sommes repassés en mode eau minérale – ce qui est une façon de parler puisque nous ne consommons, à table, que celle du robinet.

– Rien de particulier à faire demain. Ah, si, je pourrais écrire le petit article sur La Varende que je dois au bulletin paroissial. Avant cela, il faut que je vérifie quels sont les livres de lui que l'on peut se procurer facilement : il ne s'agirait pas que je chante les louanges d'un titre introuvable.


Mardi 4 juin

Six heures. –  Il y a tout de même des gens curieux. Hier, un commentateur régulier du blog-mère, et qui a même tendance à y prendre un peu beaucoup ses aises, me fait soudain la remarque suivante : « Dites DG: je trouvais plus convivial quand vous aviez à coeur de répondre à vos commentateurs.
Je sais bien que vous pouvez les trouver lassants, à côté de la plaque bien souvent, ridicules aussi parfois. Mais enfin ils sont le sel de votre blog, et vous auriez tort de faire le bel esprit, de les prendre de haut. »

Déjà, il me semble que lorsqu'on sollicite quelque chose de quelqu'un, à plus forte raison si on le fait de façon indue, comme ça me semble être le cas ici, on devrait éviter de lui reprocher de “faire le bel esprit”, d'autant que l'on voit mal ce que ce reproche a à faire avec mon relatif silence. Ensuite, avancer que les commentaires sont le sel de mon blog me paraît signifier que les billets, eux, en manquent particulièrement, de sel, ce qui est tout aussi peu aimable, même et surtout si c'est vrai. Enfin, si l'on veut conserver quelque chance d'être entendu et de se voir accorder une réponse, je crois que l'on devrait éviter des phrases du genre de celle qui suit : « Vous qui devez vous ennuyer à cent sous de l'heure dans votre pluvieuse Normandie, vous n'avez plus trente secondes à leur accorder ? »

 Après cela, je suppose qu'il va se formaliser de l'obstination de mon silence et se trouver conforté dans la médiocre opinion qu'il semble avoir de moi et de mon blog, blog où, pourtant, il est présent pratiquement du matin jusque tard le soir. Curieux.

Sept heures dix. – On dîne vraiment de plus en plus tôt, dans cette maison. Il est vrai que rien n'est plus vite vidé qu'une assiette de soupe à la tomate, même si les fils produits par le fromage râpé alentissent un peu l'opération.

– Ce matin, ayant quitté la maison peu avant dix heures moins le quart, je m'attendais à un trajet sans encombre. Je venais d'atteindre l'autoroute A 13, à Chaufour, lorsque Roselyne se mit à arborer un petit sigle signifiant qu'une route était coupée sur mon trajet. Le temps de vérifier par une rapide manipulation de quelle voie il s'agissait (c'était l'A 14), le sigle avait disparu et le temps prévu pour me mener jusqu'à Levallois redevenait tout à fait normal. Bien. Sauf que, un peu plus loin, un panneau de signalisation prévenait, lui, que l'A 14 était bel et bien fermée à la circulation, “suite à un incendie de voiture”, était-il précisé. Je fis un effort pour me résigner à la corvée consistant à suivre l'A 13 jusqu'à son terme, avant de remonter jusqu'à Levallois, en longeant la Seine d'un côté et le bois de Boulogne de l'autre ; ce qui n'aurait été qu'un moindre mal. Car j'étais environ mi-chemin entre Mantes et l'embranchement de l'A14 lorsque Roselyne m'a soudain signalé un bouchon de 45 mn, lequel, d'après elle, commençait là, maintenant, tout de suite, quasiment sous mes roues avant. Je l'ai traitée avec une condescendance amusée, dans la mesure où la circulation était parfaitement fluide. Environ cinq cents mètres plus loin, lorsque j'ai vu une douzaine de feux de détresse s'allumer en même temps en avant de moi, ma condescendance et mon amusement se sont évanouis. En effet, la seconde d'après, nous étions tous arrêtés (mais alors, tu vois : arrêtés d'chez arrêtés, hein !) sur trois files. L'arrêt a duré plusieurs minutes sans que nous bougions d'un mètre. Ça commençait à bien sentir le cramé – je parle métaphoriquement. Comme le hasard avait voulu que je fusse bloqué une cinquantaine de mètres avant la sortie de Bouafle et d'Ecquevilly, j'ai hardiment coupé les deux files qui me séparaient de la bande d'arrêt d'urgence, emprunté celle-ci et grimpé sur la bretelle, si je puis dire. Petit arrêt sur le bas-côté, le temps de reprogrammer Roselyne pour un trajet jusqu'à Levallois, avec l'option “éviter les autoroutes” ; et me voilà reparti, sur une petite sente campagnarde bien tranquille et néanmoins goudronnée. Laquelle, un peu plus loin, n'a pas manqué de déboucher dans une autre, beaucoup plus importante, et nettement plus encombrée ; tellement que, un kilomètre plus loin, tout le monde était de nouveau arrêté, en rase campagne, à 4,8 km de l'innocent rond-point qui, je n'en ai pas douté un seul instant, provoquait à lui seul notre interminable défilongée (comme diraient ma grand-mère et ma mère) de voitures. Pour être déjà passé par là en d'autres circonstances à peine moins pénibles, je savais bien que franchir ce premier rond-point signifierait retomber dans un autre bouchon provoqué par le feu suivant, puis un autre, puis encore un rond-point, etc. J'ai donc opéré un demi-tour serré (et fuck la ligne blanche continue !) et appuyé résolument sur la touche “maison” de Roselyne. Catherine a eu un léger sursaut en me voyant réapparaître, mais comme son amant était soit déjà reparti, soit pas encore arrivé, elle s'est vite remise. Je n'avais plus qu'à téléphoner à FD pour expliquer mes malheurs et demander à ce qu'on m'envoie mon travail par mail si c'était chose faisable : ce l'était. J'avais tout de même passé une heure et demie dans la voiture pour finalement me retrouver à mon point de départ. Je sais bien que les jours sont censés se suivre et ne point se ressembler, je n'ai pourtant pas trop hâte d'être à demain matin.


Mercredi 6 juin

Sept heures et demie. – Dieu que je suis content de moi, presque fier ! En fin de matinée Gabriel, le chef des informations de FD, m'a donné un fait divers à écrire pour le numéro prochain (j'ai trouvé assez drôle que ma principale source documentaire, pour ce faire, soit le dernier numéro d'Enquêtes : j'attends le moment, si jamais Rochechouart consent à me rendre un jour du travail, où je devrai écrire pour FD un article à partir de celui que j'aurai rédigé la semaine précédente pour Enquêtes…). J'ai d'abord pensé me le garder au chaud pour vendredi, comme je l'ai déjà fait plusieurs fois sans que personne y trouve quoi que ce soit à redire. Puis, dans la voiture, sur le chemin du retour, m'est venue l'idée que je pourrais m'en débarrasser sitôt à la maison, mais en me le conservant sous le coude tout de même, une fois écrit. De façon d'une part à ne plus avoir à y penser, et d'autre part pour me garder, en ne le rendant pas dès aujourd'hui, une bonne raison de ne pas faire l'aller-retour à Levallois vendredi. Et c'est ce qui fut fait, impeccablement. Dès arrivé, café avalé et cigarette fumée, je suis venu ici, à ce clavier ; et, une heure et demie plus tard, les 7500 signes étaient écrits. Tactique nouvelle qui, en outre, m'évitera de traîner cet article jusqu'à dimanche après-midi, et de passer l'essentiel de mon week-end à y penser toujours et à ne l'écrire jamais. Cela dit, maintenant que j'y repense, à la faveur du paragraphe précédent, je me dis qu'il n'y a peut-être pas lieu d'être bien fier de cet arrangement, qui sent un peu son boutiquier. M'en fous : je suis content quand même.

– Trajet assez pénible ce matin (une heure et demie au lieu d'une simple), mais comme c'est le cas à peu près tous les mercredis, vu les heures matinales auxquelles je me mets en route, je ne vais pas m'amuser, chaque semaine, à en détailler les mornes péripéties. D'autant que ça ne m'amuse pas plus que ça.


Vendredi 8 juin

Quatre heures et demie. –  Pas d'entrée hier, pour cause d'apéritif hebdomadaire d'abord (il fut fort raisonnable, du moins si on le compare aux extrémités où je me porte parfois), et ensuite parce que je ne tenais pas à manquer le début de Les Hommes préfèrent les blondes. Ce film est cruel pour cette pauvre Jane Russell, qui doit sans cesse subir la comparaison avec Marilyn : elle a des épaules de déménageur, bouge comme un sac, chante de façon presque mécanique et n'est aucunement sensuelle, en tout cas de mon point de vue – moi qui, pourtant, en principe, préfère nettement les brunes.

– Aujourd'hui, journée somme toute assez productive. Dès huit heures et demie ce matin, j'ai lu en diagonale le dernier livre de Jean-Pierre Foucault (La Couleur des souvenirs : quel mauvais titre !), dans lequel il se contente de compiler les souvenirs d'enfance et de jeunesse qu'il avait déjà racontés dans le précédent. J'ai néanmoins réussi à en extraire un sujet (Jean-Pierre Foucault dans l'enfer de la drogue ! Limite fout-la-trouille…), qui a été validé par mes instances dirigeantes et écrit dans la foulée. J'ai également fait un peu de rewriting bénévole pour le père Éric, curé de Pacy-sur-Eure de son état, en même temps que je dialoguais (si l'on peut appeler comme cela notre échange…) avec cette blogueuse à moitié folle (mais elle en a autant à mon service, je crois bien) qui signe Rosaelle. Tout cela va très bientôt être récompensé par un apéritif surnuméraire (un extrapéro…), dans la mesure où Catherine va m'abandonner sur les coups de six heures pour aller 1) chez le kiné, 2) à la messe. Ensuite, dîner, puis L'Argent de la vieille de Comencini.

– Demain, ou à la rigueur dimanche, il faudrait bien que j'écrive les 1500 signes que j'ai promis au prochain bulletin paroissial (on peut faire une promesse à un bulletin ?) et qui doivent être consacrés à Jean de La Varende. Mais ça, c'est plutôt un amusement qu'un travail – ne serait-ce qu'en raison de son aspect bénévole…


Samedi 9 juin

Sept heures et demie. – Que peut-on bien noter dans un journal lorsqu'on n'a strictement rien fait d'autre de sa journée que de relire – et encore, très paresseusement… – d'anciens livres, en l'occurrence les journaux 1987 et 1988 de Camus ?  En ce qui me concerne, rien, d'évidence.


Dimanche 10 juin

Six heures. – Journée presque en tous points semblable à celle d'hier, à ceci près que, sitôt fini le déjeuner, nous sommes allés voter. UMP (Bruno Le Maire) sans le moindre enthousiasme en ce qui me concerne, et pareil pour Catherine, qui a hésité jusqu'au dernier moment et ne semble s'être finalement décidée que dans l'isoloir, bulletins en main. Peu avant, retour de Pacy, elle s'était plainte : « Je n'arrête pas de changer d'avis ! Là, par exemple, je suis dans mes cinq minutes UMP… » Et si j'écris dans ce journal à une heure aussi peu avancée, c'est que, bien entendu, je tiens à être devant le poste de télévision avant huit heures, comme le veut la tradition.

– Poursuivi ma lecture des anciens journaux de Camus (j'en suis à 1989 : Fendre l'air), tout aussi paresseuse et picorante que celle d'hier. Mais il y a des effets induits et difficilement résistibles. Ainsi, voilà-t-y pas que l'auteur se décide enfin, en ce début d'année 1989, à lire L'Œuvre des mers de son ami Eugène Nicole ? Immédiatement, impérieuse, m'envahit l'envie de m'y replonger à mon tour – et d'autant plus que Camus est fort enthousiaste de sa propre lecture –, mais aussi de fomenter un petit voyage à Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui serait à la fois absurde et déraisonnable, et sans doute davantage ceci que cela. En revanche, relire le livre de Nicole, au moins les cent ou deux cents premières pages, reste un plaisir tout à fait à portée.

– Avec cela, mon petit article sur La Varende reste à écrire, même si j'ai en quelque sorte préparé le terrain pour lui cet après-midi, en vérifiant de quels livres de lui je pourrais parler, en fonction de leur disponibilité à l'achat.

– Court mail d'Ygor Yanka pour m'annoncer qu'il a désormais un travail (contrat de deux ans, précise-t-il), ce qui devrait lui permettre de s'acheter une voiture d'occasion, chose en effet presque indispensable lorsque l'on vit dans un village des Ardennes, si l'on ne veut pas avoir l'impression de s'enterrer vivant.

– Ce soir, Sept ans de réflexions. Nous sommes depuis une semaine ou deux, dans Marilyn jusqu'au cou. Hier, c'était Comment épouser un millionnaire ?, film assez insignifiant de Jean Negulesco, que ne parvenait pas à sauver la présence de Marilyn ni celle de Lauren Bacall. Et puis, cette hallucinante “intro”, dès avant le générique, qui donne à voir pendant sept à huit minutes, en plan presque fixe, un orchestre symphonique jouant une musique sans le moindre intérêt, voire pénible, et n'ayant pas le plus petit rapport perceptible avec ce qui va être montré ensuite.


Lundi 11 juin

Sept heures et quart. – Je ne sais plus si j'ai dit ici que j'avais eu l'idée de commander directement à Renaud Camus deux livres de lui qui me manquaient (Outrepas et Éloge du paraître, prêtés et jamais rendus…) et que je savais se trouver en réserve dans la pièce du premier étage que Catherine et moi appelions la librairie, simplement parce que, à tant faire que de débourser quarante ou cinquante euros, je préférais qu'ils aboutissent intégralement dans la poche de l'auteur que dans celles des deux éditeurs qui venaient de lui signifier son congé. Il s'en trouva d'accord, les livres sont arrivés ce matin (en étant partis de Plieux samedi, ce qui nous a stupéfiés autant l'un que l'autre, la poste étant ce qu'elle est devenue). Le second des deux livres cités s'agrémente d'une fort gentille dédicace, adressée à Catherine autant qu'à moi. Bien entendu, tenant le volume entre les mains, je n'ai pas pu m'empêcher, cet après-midi, de relire l'Éloge, ce qui n'est pas un exploit en soi dans la mesure où il ne compte qu'une centaine de pages bien “aérées” et de petit format. Mais je ne suis pas sûr de résister à Outrepas (Journal 2002), qui est, lui, plutôt une navigation au long cours, et qui se trouve être le tout premier livre que j'ai lu de son auteur, en 2006. Mais il attendra un peu, cet Outrepas, puisque j'ai plus ou moins décidé de relire les volumes du journal jusqu'en 1993, année de l'installation à Plieux, et que je n'en suis qu'à 1989. Ma lecture est d'ailleurs alentie par le fait que je résiste difficilement à aller au moins feuilleter (refeuilleter) les différents livres de Camus dont il est question dans le journal, à mesure qu'ils s'écrivent ou paraissent. Et pendant ce temps les Scandinaves piaffent au fond de leur fjords…

– Je trouverais extrêmement drolatique que Ségolène Royal, après s'être présentée aux Rochelais avec l'arrogance d'un Savorgnan de Brazza débarquant chez les nègres, condescendant à leurs suffrages, les considérant comme une simple formalité avant d'accéder au fameux perchoir ; que Ségolène Royal se retrouve battue dimanche prochain et renvoyée dans le foyer qu'elle n'a plus. Bienheureux électeurs de La Rochelle, à qui ce luxe et cette gaminerie sont offerts, et qui, ce faisant, pourront tout de même dire qu'ils ont élu un homme de gauche, puisque son rival est un dissident du PS, celui-là même qui a refusé, à juste titre il me semble, de lui céder sa place.

– Au milieu de tout ça (mais quoi : tout ça ?), j'ai écrit le petit article que je me suis engagé à faire pour le bulletin paroissial de Pacy, à propos de La Varende : je n'ai pas l'impression de m'être beaucoup foulé. Mais que dire en 1500 signes ? À ce propos, voulant voir ce que Camus disait de La Varende dans ses Demeure de l'esprit (s'il y figure bien, ce dont je ne me souviens pas du tout), j'ai pu constater que, justement, le volume France du Nord-Ouest avait disparu. Je commençais déjà à m'énerver et à maudire je ne sais trop quel sort contraire ou démon farceur, lorsque je me suis souvenu de l'avoir prêté à Élodie lors de son dernier passage chez nous. Mais tout de même : depuis le temps que Catherine me serine de noter le nom des personnes à qui je prête des livres, il serait bon que je commençasse à le faire effectivement.


Mardi 12 juin

Dix heures moins le quart. –  C'est bon, tout le monde a compris, lisant l'heure de cette entrée, qu'apéritif il y a eu. En effet. Quelle raison ? Aucune. C'est-à-dire aucune sérieuse. Ce matin, entre huit heures et la demie, est arrivé (accompagné de sa femme, qui travaille avec lui) le menuisier qui vit dans notre rue (juste en face de la mare) et que l'on a chargé de changer trois de nos fenêtres : celle du salon, celle du “petit salon” et l'étroite latérale de la cuisine. Comme tous les inutiles qui ne savent rien faire de leurs dix doigts, j'étais bien persuadé que ce travail allait lui demander au moins deux jours. Catherine m'a appelé en début d'après-midi (non, en fait, c'est moi, je crois bien, qui ai appelé – mais on s'en fout un peu) pour me dire que les trois fenêtres étaient posées. Bon. De mon côté, je venais de finir un article particulièrement délicat à propos des deux donzelles hollandiennes, Royal et Trierweiler, qui réussissent d'entrée de jeu à transformer ce quinquennat en vaudeville de Feydeau (au mieux). Bref : je venais de peiner un peu, non à cause du travail que j'avais à faire, mais en raison de la quantité de décibels que, comme d'habitude, Brice déversait sur tout le monde autour de lui. Et, du coup, j'ai proposé à Catherine d'“arroser” nos fenêtres neuves – bien entendu elle a été d'accord, et c'est ce que nous venons de faire.

– En dehors de ça, quel bonheur de voir la ginette Trieweiler qui pète un plomb et qui, stupide comme elle l'est, comme elle se dévoile, en arriverait à faire passer Ségolène Royal pour une femme normale, voire désirable (non, j'exagère…). il est évident que François Hollande n'est pour rien dans ce crêpage de chignon pitoyable (encore que, s'il avait été tout simplement marié, rien de cette guignolade ne serait arrivé), il n'empêche que, englué dans ses deux femelles, il se retrouve au centre d'un vaudeville que même Labiche trouverait un peu épais. On nous serine, depuis quelque temps, que les Français sont devenus grands, matures, modernes, etc. Et que, du coup, ils se foutent que leur président soit marié ou pas, que ça ne change rien. Ben si, ça change quelque chose : ne pas être marié laisse la voie libre à l'hystérie naturelle des bonnes femmes, ces mêmes qui tentent de se faire passer pour moderrno-féministes et qui s'écharpent comme des lingères dans un roman de Zola. Faut-il en rire ? Faut-il pleurer ? Font-elles envie ou bien pitié ? En tout cas, le féminisme en prend un grand coup dans la tronche. Parce que, tout de même, là, en ce moment, à quoi assistons-nous ? À un magnifique crêpage de chignon, à l'ancienne, au spectacle assez piteux de deux femmes qui se prennent aux cheveux pour un homme, et un homme qui représente le pouvoir, la force, donc la fécondité, et finalement l'érection. Il n'est même plus question d'être de gauche ou de droite : on en est simplement à observer le déroulement de cette piteuse pièce, issue d'un très essoufflé Au théâtre ce soir, avec de mauvaises actrices dans les premiers rôles. La vérité est que la France (au sens ancien) est en train de s'écrouler. La France d'aujourd'hui, et sans doute de demain, c'est François Hollande et ses deux concubines qui s'écharpent. Et la première tâche de ce président va sans doute être de séparer ces deux harpies avant de se mettre au travail. On n'est pas sorti…


Mercredi 13 juin

Sept heures vingt. – J'étais très remonté, hier soir, contre GdV, suite à un mail de Nancy, sa comptable, m'informant qu'elle devait voir son “maître” (comme elle dit avec humour…) demain – c'est-à-dire aujourd'hui –, mais que, vu l'état des finances, je ne devais compter sur aucun argent ce mois-ci. Du coup, je lui ai répondu par retour en menaçant le maître en question de faire descendre sur sa tête toutes les foudres de la justice, ce dont je n'ai évidemment pas l'intention, vu la relative modestie de la somme qu'il me doit. Finalement, je viens de recevoir un nouveau mail de Nancy pour me dire qu'elle venait de faire virer sur mon compte bancaire la mirifique somme de mille euros ; la maison GdV ne m'en doit donc plus que 7500 (brut)… Il va de soi que ce n'est pas cette aumône qui va m'inciter à revenir sur ma décision de ne plus écrire de BM.

– Ce qui tombe assez mal dans la mesure où le menuisier du Plessis vient encore de nous poser trois fenêtre neuves, qu'il va falloir payer, que le peintre doit passer d'ici quelques semaines pour nous refaire les peintures extérieures et que, comble du comble, un employé de je ne sais quelle société, mandaté par la mairie, doit venir demain examiner nos “sanitaires” ; ce qui va presque immanquablement se traduire par une obligation de faire installer une fosse septique neuve, “aux normes”, etc., et que tout cela va encore coûter quelques milliers d'euros dont je me demande un peu où je vais les prendre, surtout si Rochechouart s'obstine à ne plus me donner de travail, même s'il prétend qu'il veut à tout prix le faire. (J'ai l'impression étrange d'avoir brusquement sauté de mon journal dans celui de Renaud Camus… Pas pour le style : pour les thèmes.)

– Ce soir, adaptation cinématographique de La Route : je n'en attends pas grand-chose.

– Pas de “repiquage” ce matin à FD, j'y suis donc allé de bonne heure pour rien du tout – mais c'est la loi du genre. Anthony, le jeune sous-chef des informations (on ne dit pas comme ça, évidemment), m'a tout de même confié, à midi et demie, un petit article de 2200 signes environ, concernant Voulzy et Souchon, tiré d'une interview accordée par le premier au Pèlerin (tout fait ventre…). Je m'en suis débarrassé aussitôt et, à une heure, j'étais libre de rentrer à la maison. Nanti d'une conscience professionnelle en béton, j'ai tout de même attendu deux heures pour ce faire, afin d'être certain qu'il ne pouvait plus rien se passer pour le numéro qui bouclait.

– Poursuivi ma lecture paresseuse du journal de Camus (L'Esprit des terrasses, 1990), et j'ai en outre ressorti de son étagère Voyageur en automne, que je considère, L'Inauguration de la Salle des Vents mise à part (dans les deux sens de l'expression), comme son meilleur roman à ce jour. (Lui dit : “le plus classique”, ce qui revient peut-être au même, mais selon des points de vue différents.)


Jeudi 14 juin

Huit heures vingt. –  Soirée apéro, donc ; comme désormais presque tous les jeudis, dernier jour de la semaine où je fais présence à FD.  Puisqu'on en parle, mettons les choses à plat, tiens. Je picole donc une fois par semaine ; mais en fait assez souvent deux, puisqu'à l'apéritif hebdomadaire peut venir s'en ajouter un supplémentaire, à condition qu'il y ait une raison. Déjà, évidemment, il faudrait déterminer ce qu'est une vraie raison (mon anniversaire, celui de Catherine, mais aussi je ne sais quoi d'heureux qui arrive à l'un de ses enfants, etc. : donc, des raisons aisément démultipliables). Mais enfin, bon : lors d'une semaine scrupuleusement normale, nous en sommes à un apéritif hebdomadaire.

Le mot “apéritif”, cela dit, ne me semble pas tout à fait adéquat. Il ne s'agit nullement de s'ouvrir (aperire, en latin…) l'appétit, mais simplement de picoler jusqu'au moment où l'envie d'aller se coucher va devenir irrésistible ; et d'y aller “à jeun”, c'est-à-dire sans manger rien : depuis désormais cinq ou six ans (à peu près), j'ai le choix entre manger et boire ; mais je ne suis plus capable du tout de faire les deux.

Ensuite, il y a évidemment la quantité d'alcool ingéré. Depuis quelque temps (et le quelque est d'importance), je pense et dis que je “ne tiens plus l'alcool”. C'est à la fois vrai et faux. C'est faux dans la mesure où, par exemple, ce soir, mon “apéritif” a consisté à descendre en moins d'une heure environ 35 cl de Ricard. Ajoutez donc à cela la dose de cheval de whisky que je me suis versée avant de venir devant ce clavier. Or, je ne suis nullement saoul, et je suis le seul à pouvoir le constater : si je relis (ce que je viens de faire) les trois paragraphes précédents, je n'y trouve aucune faute de frappe. (Vous non plus, jamais, mais c'est parce que je les corrige avant de vous soumettre mes petits écrits.) Or, c'est un signe : de même que “pas de bras, pas de chocolat”, pas de faute de frappe, auteur pas bourré – en gros.

Pourquoi raconter tout cela ? Parce que j'aime l'alcool, j'aime boire, j'aime être saoul. Et, même, j'aime être trop saoul. Si l'on me poussait, je dirais volontiers que ce que j'aime dans l'alcool c'est son effet ; c'est-à-dire qu'entre une bouteille de très bon bordeaux et cinq litres de vin ordinaire, voire bouchonné, je choisirai toujours la deuxième option. Et c'est bien pour cela que les alcools forts ont ma préférence : on est saoul plus vite.

Les “pochtrons” dans mon genre ont cet avantage qu'ils servent à faire sortir du bois les petits cons moralisateurs. Rien que pour eux, pour me délecter de leurs anathèmes volontiers méprisants, j'ai tendance à accentuer mon addiction, si je puis dire. En réalité, je n'ai aucune addiction à l'alcool (au tabac, en revanche…), mais j'éprouve une certaine jouissance à ce qu'on pense que oui.

Je pourrais dire (et ce serait vrai en un sens) que j'aimerais bien qu'on admette une fois pour toutes que je ne suis pas alcoolique. Mais en vérité, je préfère que l'on me pense tel : l'idée d'être alcoolique pour Machin ou Chose me fait jubiler.

– Passant devant la télévision, il y a une petite demi-heure, je tombe sur cette andouille de Pujadas. Qui crie au génie d'Hollande parce qu'il est en train de causer avec Monti. Quand je dis qu'il le crie, il le crie vraiment : c'est admirable, cette facilité des journalistes à présenter leur cul (sans espoir de jouissance) à leur maîtres du moment.

– En dehors de ça ? Rien, évidemment. La volonté de parler d'autre chose, de ne pas voir ce monde, cette France, etc.

Neuf heures vingt. –  Mais, cependant, durant le temps que je buvais mon troisième ou quatrième Ricard, je pensais déjà à ce que j'allais venir noter ici. Et c'était merveilleux, ça coulait tout seul, je devenais facilement écrivain. Et puis… Et puis rien : j'ai oublié. C'est agaçant parce que ça me semblait remarquablement intéressant à noter ; c'était presque comme si enfin j'avais trouvé la bonne raison de tenir un journal : j'avais enfin à écrire quelque chose de particulièrement intelligent, un truc que j'étais le seul à…

Tiens donc, mon cul ! Rien à dire de particulier. Enfin, j'ai oublié ; une phrase qui a passé, une idée, ou à peine…


Vendredi 15 juin

Sept heures et demie. – Naturellement, rien, ou à peu près rien, de ce que j'ai noté ici après boire ne franchira la frontière qui sépare cet “atelier” du journal publié : incohérence du propos, répétitions compulsives de la même idée, exagération du sentiment, toute-puissance du “je me comprends”, qui pousse à laisser la moitié des phrases en jachère, ce qui rend l'ensemble parfaitement incompréhensible. On dirait d'un morceau écrit par un type complètement saoul. (Ah, on me signale que c'était précisément le cas…)

– Demain matin, pas trop tôt, départ pour Dieppe, où Catherine nous a depuis longtemps réservé une chambre dans un quelconque hôtel Ibis, puis nous retrouverons le reste de la famille chez ma sœur, qui se marie à cinq heures et demie, “après longtemps de fiançailles”, comme dirait Brassens. Ensuite, bien entendu, restaurant, je ne sais plus où mais en tout cas dans un village tout proche de notre hôtel (d'où le choix de Catherine). Elle me disait tout à l'heure, Catherine, que ma mère avait “suggéré” (c'est-à-dire ordonné) d'acheter des brioches afin d'organiser un petit goûter après la cérémonie. Mais s'empiffrer de brioches ou de gâteaux à six heures du soir lorsqu'on est attendu dans un restaurant dès sept heures et demie, c'est une idée qui semble friser la démence. Je dis qui semble, car je vois très bien ce que ma mère a derrière la tête en proposant cela : elle veut nous empêcher de commencer à boire trop tôt. Enfin, quand je dis “nous”, il s'agit sans doute quasi exclusivement de moi…

Il n'empêche : un repas de noces qui commence à sept heures et demie, même pour la province je trouve ça plutôt curieux. Mais au fond ça me va très bien puisque c'est l'heure à laquelle d'ordinaire nous dînons.

– Poursuivi la lecture du journal de Camus : après L'Esprit des terrasses, La Guerre de Transylvanie (1991). Reçu au courrier le Paysage de ruines avec personnages, de Danielle Sallenave, dont Camus, encore lui, dit le plus grand bien. Je l'ai très rapidement feuilleté : le texte ne comporte aucune autre ponctuation que les deux-points. Je ne suis pas sûr que j'irai au bout de ce livre-là. Mais enfin, d'un autre côté, il est fort court…


Lundi 18 juin

Trois heures moins le quart. – Deux journées passées pour partie sur les routes de Normandie, et pour l'autre chez ma sœur, Isabelle, qui, après 15 ans de réflexion patiente, avait choisi d'épouser, samedi, Olivier avec qui elle vit depuis tout ce temps. Nous devions être une trentaine de personnes, peut-être un peu plus, et de l'ensemble des festivités il n'y a pas grand-chose à noter, dans la mesure où tout fut pleinement réussi, depuis le mariage lui-même, en la petite mairie d'Ermenouville, jusqu'au buffet en plein air du lendemain midi, et en passant bien entendu par le dîner de samedi, dans un restaurant dont il n'y a somme toute à faire que des éloges.

Alors que nous avions réservé pour eux trois places au chenil de Chaignes, nous avons, au dernier moment, décidé de laisser les chiens à la maison, en leur ouvrant la porte du jardin bien entendu. Nous leur avons donc donné dès dix heures du matin le repas qu'ils prennent en principe à six heures du soir, et ils n'en ont pas eu l'air plus surpris que cela. Ensuite, trajet inédit, qui a consisté à contourner Rouen par l'est (Gournay-en-Bray) et non par l'ouest (Pont de Brotonne) comme nous le faisons les autres fois. Après avoir été prendre possession de notre chambre à l'hôtel Ibis de Dieppe, situé dans une horrible banlieue entièrement magasinière, laquelle a présenté l'énorme avantage d'être totalement morte et donc silencieuse le lendemain matin, dimanche, nous sommes montés au château de cette même ville. Le point de vue est superbe, pour peu que l'esprit fasse l'effort de s'imaginer, ou de reconstituer, ce que pouvait être la ville s'étendant à ses pieds, avant d'être détruite par la guerre et salopée par la modernité.

Première surprise en arrivant chez Isabelle et Olivier : la coupe de mon père, cheveux dressés à la verticale sur la tête, limite punk. Catherine et moi, sans nous consulter, pensons immédiatement la même chose : que ce pourrait être là un effet secondaire de ses nombreuses chimiothérapies et que, dans cette éventualité, le mieux est encore de n'en rien dire. Mais non, on nous apprend presque tout de suite qu'il s'agit de la fantaisie du coiffeur à qui il était allé confier sa tête le matin même (ou la veille ?). Le plus étrange est que cette coupe lui allait plutôt bien.

Deuxième choc pour moi, lorsque, arrivant en vue de la mairie, où Catherine et moi avions choisi de nous rendre à pied, j'aperçois mon frère, pas vu depuis six ou sept ans je crois, depuis les noces d'or de mes parents, sur la petite pelouse faisant office de parvis : il est devenu le presque sosie de notre père, peut-être encore plus de silhouette, de forme de tête, que de traits à proprement parler (mais moins la coupe de cheveux tout de même). Quant à Dominique, sa femme, on a l'impression assez troublante qu'elle a définitivement renoncé à vieillir.

Isabelle s'était choisi une robe rouge, longue et ample, qui lui seyait tout à fait, mais dans laquelle elle se sentait empruntée et même “godiche”, ce qui est bien normal puisqu'elle passe sa vie en pantalon.

Pour le dîner, les mariés avaient fait le choix de disposer leurs invités, nous donc, autour de quatre tables, plus ou moins par ordre d'âge, eux-mêmes présidant la “table des vieux” dont bien entendu, il faut se faire une raison, Catherine et moi faisions partie. Du reste, vieux nous devons être effectivement, puisque nous fûmes les premiers à quitter l'assemblée pour rentrer nous coucher, aux alentours de minuit. Les “jeunes”, en tout cas certains d'entre eux, sont ensuite partis pour le casino de Dieppe et ne se sont guère couchés avant quatre heures, ce qui est somme toute parfaitement normal et était hautement prévisible.

À ma connaissance, aucune ébriété excessive n'a été à déplorer, même pas la mienne, qui fut fort légère et assez discrète je crois bien. Quant au déjeuner du lendemain, dont nous sommes partis très vite car nous ne voulions tout de même pas laisser les chiens trop longtemps seuls (et puis il fallait voter…), je ne m'y suis autorisé qu'un verre et demi de vin blanc, devant assurer le rapatriement au volant de la voiture ; ce qui fut fait diligemment, mais cette fois en prenant au plus court et rapide, c'est-à-dire par Rouen.

Petite scène de genre : comme il est désormais fatal, une sous-communauté s'est rapidement formée parmi les dîneurs, celle des fumeurs qui, entre deux plats, se retrouvait dehors pour “en griller une”. À un moment où nous l'étions, dehors, je vois arriver un homme jeune (par rapport à moi), que je crois être l'un des beaux-frères du marié (je dis “je crois” car, lorsqu'on me présente plusieurs personnes en même temps, je m'empresse de ne rien retenir d'eux, ni leur prénom, ni les liens qu'ils peuvent avoir avec tel ou tel et entre eux), et je lui fais remarquer qu'il est doté d'un profil grec presque parfait. Il en semble un peu surpris ; ou, plus exactement, décontenancé. Deux ou trois cigarettes plus loin, un autre beau-frère, hilare, m'apprendra qu'il ignorait tout à fait qu'il existât des profils grecs, et qu'il avait passé un assez long moment à se demander si j'avais voulu lui faire un compliment ou me moquer de lui. Si moqueries il y a bien eu, ensuite, et jusqu'au lendemain midi, ce furent celles des différents membres de sa famille, à propos de son ignorance – bien que je ne sois pas certain que tous d'entre eux connaissaient l'existence du fameux profil avant mon intervention.


Mardi 19 juin

Six heures et quart. – Je me souvenais parfaitement de l'anecdote racontée par Camus dans son journal, à propos du gendarme Eliézer (l'un des plus attachants personnages que l'on y rencontre, soit dit en passant) et des Manouches. Mais où dans le journal ? Problème. Je suis retombé dessus cet après-midi et, pour ne pas le reperdre, j'en ai aussitôt fait un petit billet sur le blog-mère. Pour plus de sûreté (il peut resservir…), je le recopie ici aussi :

« Pas le temps de faire des phrases, mais : tout semble avoir commencé par l'évocation tout à fait tranquille, dans la bouche d'Eliézer, de l'arrivée des “Manouches” sur une des communes de sa circonscription. Ils viennent tous les ans, à l'occasion d'une fête religieuse. Aussitôt, les gendarmes sont sur les dents, parce que les cambriolages et les vols de toute espèce augmentent de soixante pour cent durant leur séjour. « Tu es sûr de ce que tu dis, ce n'est pas une légende ? » Ma question le fait rire : les statistiques seraient formelles. Il dit aussi que les Manouches ont tous d'énormes et ruineuses voitures, et que si on leur demande leur métier, ils n'ont jamais aucune source sérieuse de revenus à citer : ils répondent tous vaguement qu'ils “travaillent sur les marchés”. Donc, pour lui, aucun doute : presque tous vivent de vols et de recels. Il dit cela sans aucune hostilité particulière, comme on rappelle de simples vérités de l'existence, d'ailleurs très généralement reconnues. Oui, mais…

« Que les Manouches, ou les Gitans, ou les Romanichels, ou les Tziganes (il y aurait sans doute des distinctions à faire), soient pour la plupart ou en très grande proportion, des voleurs, c'est peut-être largement “reconnu” dans la population, mais c'est une affirmation qui a tous les caractères extérieurs du préjugé raciste. A-t-on le droit moral de croire une chose pareille ? Si elle était avérée, aurait-on le droit de la savoir ? »

Renaud Camus, Le Château de Seix, P.O.L, p. 89.

– Je m'aperçois, en relisant l'entrée précédente, que, tout occupé de mon week-end dieppois, je n'ai pas dit un mot du second tour des élections législatives et de l'hégémonie socialiste à l'Assemblée qui s'en est suivie. Mais, d'un autre côté, que pourrais-je bien en dire ? Tout ce qu'ils feront, c'est accélérer un peu la dégringolade qui se serait de toute façon produite très certainement sous l'égide de l'UMP, par conséquent… Et, comme de juste, en 2014, ils vont se prendre une dégelée massive aux élections municipales et régionales. La routine rassurante de l'horreur, le petit train-train cahotant vers l'abîme.

– J'ai enfin réussi à passer la tondeuse cet après-midi : il était plus que temps. J'ai même dû rehausser la lame de quelques centimètres pour éviter l'engorgement et l'étouffement de la machine, pour cause d'herbe trop grasse et haute. Arrivant près du compost de Catherine (car Catherine s'obstine à faire du compost alors même qu'elle a abandonné toute activité de jardinage…), je trouve une tourterelle décapitée et éventrée. Comme, cinq minutes plus tôt, j'avais surpris Golo dans ce même secteur, j'en déduis fort logiquement que le volatile avait commencé à lui servir d'en-cas avant que le bruit de la tondeuse approchant ne le mette en fuite. Dans la seconde suivante, à la base du mur arrière de la maison, je découvre une autre tourterelle, bien vivante celle-là ; mais de petite taille et incapable, manifestement, de voler : un adolescent tourterelle, dirais-je. Dans un premier temps, ne sachant trop qu'en faire, je l'ai déposée sur le dessus du volet de la porte-fenêtre de la Case, dans le semblant de nid abandonné par le couple de l'année dernière. Après la tonte, Catherine étant sortie des torpeurs de sa sieste prolongée, il a été décidé de la transporter sur l'appui de fenêtre de la cuisine et de lui proposer quelques graines ainsi qu'un récipient d'eau. Jusqu'à présent, il ne semble pas qu'elle ait mangé ni bu : peut-être n'est-elle pas encore d'âge à le faire seul. On verra où nous en serons demain matin.


Mercredi 20 juin

Sept heures vingt. – Première vraie journée d'été aujourd'hui : le printemps tient à nous laisser sur une bonne impression.

– À dix heures hier soir, la jeune tourterelle avait disparu de l'appui de fenêtre de la cuisine. Je me suis aussitôt livré à une petite inspection dans la portion de jardin qu'elle surplombe (la fenêtre) : aucune trace d'elle. Et, surtout, pas de plumes disséminées, ce qui tendrait à prouver qu'elle n'a pas croisé la route de Golo. Maintenant, s'est-elle finalement envolée ou est-elle allée mourir lentement sous la haie ? J'ai décidé de croire en la première hypothèse.

– Avant-hier, juste avant d'aller me coucher, et parcourant distraitement du bout du pouce quelques chaînes de télévision, je suis tombé sur un documentaire signé Jacques Pessis et consacré à la vie de Charles Trenet. Film a priori classiquement fait, avec images d'archives, extraits de chansons célèbres, etc. Sauf que, au moins une douzaine de fois durant cette petite heure, étaient intercalés des extraits de reportages d'actualités d'époque n'ayant strictement rien à voir avec le sujet principal, lesquels étaient introduits par des chevilles grosses comme des genoux. Je me souviens par exemple de celle-ci : « En 19.., Trenet fait sa rentrée au théâtre X. Chaque soir, les rappels sont si nombreux qu'il chante parfois jusqu'à une heure et demie du matin, bien après le dernier métro. Le métro qui, ces années-là, connaît d'importants changements. » Et, là-dessus, on enchaîne avec trente ou quarante secondes de reportage sur l'ouverture de la toute nouvelle station Étoile. Un peu plus haut dans le documentaire : « C'est à ce moment que Trenet trouve le look qui le rendra célèbre : le chapeau en arrière et l'œillet à la boutonnière ; un œillet faux, comme Trenet les aime, et comme on sait les fabriquer en France. » Et hop ! mini-reportage sur telle usine où l'on voit des ouvriers et des ouvrières fabriquer à la main des fleurs et des feuilles décoratives. Et ainsi de suite. L'impression était d'abord un peu déstabilisante, puis franchement drôle – mais tout de même avec quelque chose d'un peu inquiétant.

– À part cela, rien fait de la journée, sauf vider le lave-vaisselle en fin d'après-midi et poursuivre mes lectures camusiennes (Voyageur en automne), dont il va tout de même falloir se décider à sortir afin de passer à autre chose. Revenir à Balzac par exemple, et au volume de lui que j'ai pris chez ma sœur dimanche.


Jeudi 21 juin

Sept heures et quart. – Ayant dû descendre à Saint-Aquilin pour y faire quelques emplettes – eau minérale et croquettes pour chiens : rien de très orgiaque… –, j'ai poussé jusqu'à Pacy afin d'aller prendre des nouvelles de René, en pension depuis trois mois chez l'horloger, qui était censé nous le rendre remis à neuf après un mois et demi. L'homme de l'art, jeune et plutôt sympathique, m'a dit qu'il continuait d'attendre le ressort qu'il avait commandé et dont il avait besoin pour lancer toute l'affaire. Et comme je m'étonnais un peu d'un délai de livraison aussi fantastiquement allongé, il m'a expliqué que les fabricants de ce type de pièces d'horlogerie étaient de moins en moins nombreux et que, avant de lancer l'usinage d'une pièce donnée, ils attendaient d'en avoir à faire un certain nombre. Comprenant que tout cela risquait de durer encore des mois, j'ai pris René sous mon bras et l'ai rapporté à la maison. Depuis trois heures, il est de nouveau accroché à son mur, au-dessus de mon fauteuil, et fonctionne pour l'instant impeccablement. L'horloger est censé me téléphoner dès qu'il aura reçu la pièce manquante.

– Journée de lecture à la fois balzacienne et décevante. Le volume emprunté chez ma sœur le week-end dernier contient Les Proscrits, Louis Lambert et Séraphîta, soit les livres “mystiques” de la Comédie humaine. Le premier ne m'a guère bouleversé, j'ai fini le second à bride abattue tant il m'ennuyait et j'ai abandonné le troisième à moins de la moitié, n'en pouvant plus des pages d'exposition des élucubrations de Swedenborg. Si j'avais été fâché avec Balzac, ce n'est pas cette expérience qui nous aurait réconciliés.

– Pour rester dans la rubrique “livres”, j'ai reçu ce matin La Bataille de Pharsale, commandée la semaine dernière en raison du grand bien qu'en dit Renaud Camus à plusieurs reprises. Je confesse n'avoir jamais lu une ligne de Claude Simon à ce jour et, pour avoir très rapidement feuilleté celui-ci, j'ai l'impression que nos rapports vont être difficiles, pour le moins.


Vendredi 22 juin

Cinq heures moins le quart. – Le temps venteux et ensoleillé par intermittence m'a permis de sortir la tondeuse, et surtout de m'en servir : le jardin est rasé de frais. La précédente opération ne remontait qu'à trois jours, mais c'est que, l'herbe étant alors tellement haute, j'avais été contraint de remplacer la véritable tonte par un simple “rafraîchissement”, comme disaient les coiffeurs au temps où je fréquentais leur corps de métier.

(Ce journal devient de plus en plus intéressant, il me semble. Lorsqu'il sera redécouvert par les paléo-historiens du quarantième siècle après Mahomet, ils se demanderont comment les gens du nôtre ont pu s'arranger d'une existence aussi vide et ennuyeuse sans se précipiter en masse dans le suicide collectif. Donc, rassurons-les : non, non, tous les infra-hnumains que nous fûmes ne me ressemblaient pas, loin de là ! Beaucoup avaient une vie riche, passionnante, innervée par de multiples activités et intérêts essentiels : ils travaillaient, s'intéressaient à la crise, fraternisaient tant bien que mal avec vos ancêtres à vous (qui à cette époque venaient tout juste de nous rejoindre), votaient pour le changement, parcouraient la planète en troupeaux, décivilisaient leurs enfants, et encore quantité d'autres choses très prenantes – ou plus exactement chronophages, comme nous avions pris l'habitude de dire, peu avant notre disparition. Si ma propre existence vous semble si ennuyeuse – et je m'en excuse platement : ce journal ne doit pas vous servir à grand-chose –, c'est que j'avais choisi de me garer prudemment sur le talus et de consacrer mon temps à regarder passer, sur la route, le flot hébété de mes contemporains se dirigeant à petits pas pressés vers le bord de la falaise : vous avez dû retrouver des traces de leurs os, pour peu que vous ayez eu la curiosité de fouiller un peu dans ces coins-là.)

– J'ai commencé le roman de Danièle Sallenave, Paysage de ruines avec personnages, un peu à reculons au début, puis, après une quinzaine de pages, avec de plus en plus d'enthousiasme. J'essaierai de fixer quelques idées ou impressions à propos de ce livre envoûtant lorsque j'en aurai terminé avec lui ; et si je m'en sens plus ou moins capable, ce qui est loin d'être sûr.


Samedi 23 juin

Cinq heures et quart. – Me voici une fois de plus consigné devant l'ordinateur, par un effet de solidarité avec Catherine, occupée à repasser dans la Case. D'où l'idée de venir dans ce journal. Mais comme elle aime parler tout en travaillant, ça rend le peu de concentration dont j'ai besoin assez problématique. De toute façon, je n'ai pas grand-chose à noter ici, sinon que j'ai terminé ce matin le roman de Sallenave et que j'ai enchaîné aussitôt avec La Bataille de Pharsale : c'est plutôt du brutal, si j'ose dire, mais la séduction méandreuse de cette écriture me plaît énormément (est-ce qu'une séduction peut plaire ? M'est avis que je suis en train d'écrire n'importe quoi), même si je dois m'accrocher aux branches des deux bras et des cuisses si je ne veux pas me ramasser au pied de cet arbre. Je ne sais trop par quels détours Claude Simon m'a fait repenser à Juan Benet, mais enfin j'ai tiré Tu reviendras à Région de la bibliothèque avec l'intention de reprendre ce roman de suite, et cette fois d'en mener la lecture jusqu'à son terme (j'en avais lu une centaine de pages, il y a quatre ou cinq ans, sur les conseils de Carlos, et je ne sais absolument plus pourquoi je l'avais abandonné). À moins que je ne relise avant le Travers Coda de Renaud Camus, que j'ai également rapporté d'ici au salon.

– Adrien et son amie Chihiro, qui sont venus en France pour le mariage de Jonathan, le frère d'Adrien, viendront finalement passer ici la soirée de lundi. Je dis “finalement” car, pendant quelques jours, il a été question que leur emploi du temps très chargé ne leur permette pas ce petit crochet normand. Ce sera une excellente occasion de rompre l'abstinence qui dure depuis le mariage d'Isabelle, soit une semaine exactement (ah, non : on a pris l'apéritif dimanche soir, en rentrant de chez elle justement). Ils repartiront mardi matin avec moi et, de Levallois, fileront directement à Roissy où ils reprendront leur avion pour Tokyo.

– Hier soir, au moment de me mettre au lit, m'est venu l'idée de quelque chose qui aurait mérité d'être noté dans ce journal. Seulement, il aurait fallu se relever, se rendre au salon, déranger les chiens dans leur premier sommeil, trouver un carnet et un stylo afin de noter hâtivement l'idée à développer plus tard : je n'en ai pas eu le courage. Comme de juste, lorsque j'y ai repensé ce matin j'ai été incapable de me souvenir de quoi il pouvait bien s'agir. Et, tout aussi comme de juste, depuis, cette entrée manquante, à jamais manquante sans doute, ne cesse de prendre des proportions toujours plus grandes : c'était évidemment LA notation, le virage capital, un élargissement des perspectives qui aurait rendu ce journal tout autre, etc.


Dimanche 24 juin

Dix heures et demie du matin. – Après réflexion (oh, très mesurée et circonscrite, la réflexion !), je reproduis ici un extrait du billet que j'ai publié hier sur le blog-mère et qui était en étroit rapport avec mes lectures actuelles :

« Une lecture imbitable n'est pas une lecture pénible – elle peut même être, elle l'est généralement, extrêmement excitante. Elle ne désigne pas non plus des livres auxquels on ne comprendrait rien, mais plutôt qui vous font savoir, avec une certaine ostentation et souvent un peu d'ironie, qu'ils renferment beaucoup plus de choses que vous n'en voyez. Les chemins qu'ils vous désignent sont trop raides pour vos muscles mal entraînés, les plongées sous la glace des lacs trop longues pour votre capacité pulmonaire. Par conséquent, vous rebroussez chemin à mi-pente, voire avant cela, vous contournez prudemment le plan d'eau, quitte à vous perdre définitivement. Mais le plus énervant est qu'on vous a tout de même indiqué le chemin et découvert le lac ; vous savez qu'ils sont là et que d'autres avant vous ont eu le cran de s'y risquer, peut-être même d'en venir à bout.

« Les lectures imbitables sont aussi celles dont, livre refermé, vous ne pouvez absolument rien dire, alors même que, durant le temps qu'elles ont duré, il vous est venu des fourmillements de paroles, des aperçus fulgurants mais tôt évanouis, des désirs de pointer toutes les correspondances rencontrées, de les relier entre elles, de les cartographier pour tenter d'apprivoiser la forêt en contrée d'agrément, de transformer en routes carrossables ses traîtres fondrières. Peine perdue : cette manière d'univers parallèle dont vous vous êtes bien imprudemment approché vous a d'abord englouti, a manqué vous noyer, vous vous y êtes tordu une cheville ou deux, y avez transpiré comme un goret, vous avez trouvé la nourriture trop riche et les sources bien rares. Au terme, le pays vous a en quelque sorte expulsé pour défaut de lettres d'accréditation – ne parlons même pas de noblesse –, non sans avoir malignement brouillé tous les souvenirs que vous comptiez garder de lui : vous vous rêviez guide et géomètre, vous n'aurez été qu'un traîne-savate parasite, un intrus ravi mais pétochard.

« Il reste que, durant les heures et les jours que vous avez passés à vous griffer les mollets aux ronces de ces maquis, à sursauter aux cris de bestioles inconnues, à laper l'eau croupie des mares faute de débusquer les sources vives, vous avez tout de même eu l'impression de découvrir des frustrations uniques et peut-être fécondes, en tout cas inconnues avant la traversée. Mais, ça, c'est ce que vous vous dites après coup – parce que le pauvre lecteur se console comme il peut. »

– Est-ce que l'auto-dénigrement – que je pratique sans doute un peu trop volontiers – n'aurait pas partie liée avec l'orgueil ? Ne serait-il pas une manière de repousser les critiques, de maintenir les juges éventuels en lisière, en leur disant : « Voyez, il est inutile de vous fatiguer à pointer mes faiblesses, mes manques, mes contradictions, mes petites lâchetés : je le fais plus volontiers et mieux que vous… » Ce serait toujours moins pitoyable que la vanité, qui ne nous ferait nous accabler excessivement qu'à seule fin de recevoir en retour les dénégations de ceux à qui nous les adressons.

Trois heures. –  Je crois avoir oublié de noter qu'hier, sur mon initiative soudaine, Catherine et moi avons décidé de supprimer le déjeuner, de le supprimer en tant qu'institution. Je ne sais combien de temps elle va tenir, mais la décision a pris effet dès aujourd'hui (le changement c'est maintenant, avec les p'tits bras à l'horizontale). Nous attendions tous deux que notre met du jour voulût bien achever de cuire lorsque j'ai dit à Catherine que je commençais à en avoir assez, de cette interruption du déjeuner qui me coupait dans ma lecture (ou autre chose) avec son cortège de micro-obligations rituelles : mettre le couvert, se brûler avec la nourriture trop chaude, manger tout de même, débarrasser le couvert, prendre le café ; et que nous devrions envisager de le supprimer. En ayant, depuis quelque temps, un peu assez de devoir penser à deux repas par jour, et de les réaliser, Catherine a sauté sur l'occasion. Donc, désormais, chacun se mitonnera son petit casse-croûte à l'heure qui lui conviendra le mieux et le mangera dans son coin sans faire de façons. Cette disposition m'arrange d'autant mieux que je ne mange quasiment jamais le matin au lever. Jusqu'à maintenant, lorsque la faim survenait vers dix heures, j'aurais dévoré un bœuf d'un seul maxillaire, mais je me restreignais afin de ne pas risquer que tout appétit me soit coupé au moment du sacro-saint déjeuner. Les jours où la faim prenait son temps et ne venait se rappeler à mon souvenir qu'après onze heures, c'était pire : je me contraignais alors à ne pas manger du tout, toujours pour la même raison. Désormais, donc, et si nous nous en tenons à notre nouvel arrangement, je pourrai manger ce que je voudrai, autant qu'il sera nécessaire et à l'heure qui me conviendra.

– Terminé La Bataille de Pharsale il y a une demi-heure : œuvre incroyablement séduisante (même “envoûtante” ne serait pas de trop…), à l'écriture puissante, mâle, et en même temps d'une subtilité rare, toute en volutes, retours sur elle-même, glissements, effets de miroir, etc. Pas envie d'en dire plus (tu parles : tu en es incapable, oui ! – Ta gueule…). Il s'agit maintenant d'aller se colleter (se coltiner, comme disent et écrivent désormais mes chez confrères en journalie…) avec les cinq cents pages du roman de Benet, dont le titre me séduit irrésistiblement : Tu reviendras à Région.


Lundi 25 juin

Cinq heures moins le quart. – La blogueuse pseudonommée Rosaelle, en dehors de faire une fixation sur le racisme qu'elle voit partout et tout le temps, présente un trait de caractère (j'ai failli écrire : une pathologie) amusant : elle est absolument, presque physiquement dirait-on, incapable de reconnaître qu'elle a commis une erreur, même lorsque celle-ci est parfaitement évidente. Mais surtout, dans ces cas-là, elle trouve apparemment très finaud de contre-attaquer en vous traitant, vous, d'ignorant. Ce matin, pour la titiller un peu, je relève en commentaire la phrase fautive qu'elle venait d'écrire (faute que commettent du reste 95 blogueurs sur 100 environ) : C'est de cette femme dont je parlais. Voilà le genre de bourdes qu'il m'arrive parfois d'écrire, moi aussi, dans le feu d'une rédaction trop rapide. Le plus souvent, je m'en rends compte à la relecture et corrige. Sinon, si un lecteur me la signale, je m'empresse de faire amende honorable et d'effacer l'erreur. Eh bien Rosaelle, non. On sent qu'elle pourrait batailler des jours et des jours, dans le seul but de ne pas admettre que sa phrase est fautive, et même d'essayer de vous persuader qu'elle est parfaitement correcte et que c'est bel et bien vous qui êtes non seulement ignare, mais en plus prétentieux de vouloir donner des leçons à une personne aussi qualifiée qu'elle. Dans son dernier commentaire, elle donne deux liens censés me démontrer que j'ai tort. Or, sur les deux sites auxquels renvoient les liens en question, l'un n'aborde aucunement le type de phrase et de fautes qui étaient sur la sellette, et l'autre me donne évidemment raison. Je crois que X voit juste, qui me le disait par mail il y a huit ou dix jours : elle doit être passablement folle.

– Isabelle et Olivier, les jeunes mariés, sont passés tout à l'heure prendre un café, profitant de ce qu'ils avaient décidé, ce matin, d'aller visiter Giverny (visite qui les a laissés fort déçus, ne serait-ce qu'en raison des foules touristiques et affligées d'enfants qui se pressaient là en même temps qu'eux), et du fait que nous habitons à moins de trente kilomètres de notre ami Monet. Ils viennent de repartir. Et, dans deux heures, j'irai à Vernon récupérer au train Adrien et son amie Chihiro, qui, venant de Franche-Comté, dormiront ici cette nuit. Demain matin, ils repartiront avec moi jusqu'à Levallois, d'où ils rallieront Roissy afin d'y sauter dans le premier avion en partance pour Tokyo. Bref, une journée d'intense activité familiale, pour nous qui n'y sommes point trop habitués.


Mercredi 27 juin

Onze heures du matin. – Naturellement, puisque Adrien et Chihiro avaient un avion à prendre, la circulation, hier matin, s'est révélée infernale, produisant des bouchons un peu partout, y compris dans des portions d'autoroute où il n'y en a jamais d'ordinaire. Néanmoins, comme j'avais prévu un temps très large, ils sont arrivés à Roissy parfaitement à l'heure où ils devaient l'être.

– J'ai eu la bonne surprise, en arrivant à Levallois hier, de constater que mon déménagement vers mon prochain bureau (individuel) était programmé pour jeudi, soit demain. J'ai aussitôt appelé son précédent occupant – lequel est passé à Ici-Paris – pour récupérer sa clé, ce qui a été fait avec diligence et fort courtoisement.

– La soirée avec Adrien et Chihiro (qui viennent d'emménager ensemble : l'étau se resserre autour du malheureux jeune chimiste… d'autant que sa présentation aux parents de la demoiselle est programmée pour le deuxième dimanche de juillet), la soirée disais-je, s'est fort agréablement passée. Il y eut même un petit épisode fort cocasse (à mes yeux), lorsque Chihiro a demandé à Catherine de lui expliquer en quoi consistait exactement un bento. Voir Catherine sortir ses gamelles à bouffe extrême-orientales et en vanter l'ingéniosité à une Japonaise de souche, cela ne manquait pas de sel (ou de sauce soja, si l'on préfère).

Sept heures et demie. – Bien que nous ne soyons que le 27, j'ai publié tout à l'heure le journal de mai ; avec annonce officielle programmée pour demain matin.

– Il y a quelques jours, j'ai assez fortement suggéré à ma mère qu'ils devraient bien, mon père et elle, ne pas attendre que leur maison de Sedan soit vendue pour partir s'installer en Normandie, en optant dans un premier temps pour un appartement en location. Évidemment, elle s'est montrée très réticente, pour la bonne et simple raison que, en réalité, elle n'a nulle envie de quitter les Ardennes, au moins tant que ma grand-mère sera vivante, ce qu'elle s'obstine à être. Seulement, il y a mon père. Qui va avoir 80 ans dans trois mois, qui a un cancer des deux poumons, qui s'ennuie de plus en plus dans leur maison actuelle et qui ne rêve que d'une chose : partir s'installer près de chez Isabelle – et accessoirement pas trop loin de chez nous. Nous en avons parlé avec Isabelle et Olivier, lorsqu'ils sont passés ici lundi après-midi. Et je crois qu'il va falloir se montrer un peu plus “durs” avec ma mère ; c'est-à-dire lui signifier assez clairement que ce départ pour la Normandie, c'est sans doute la dernière occasion qu'elle a de pouvoir faire plaisir à son mari durant le temps, sans doute court, qu'il leur reste à passer ensemble, et que si elle ne le fait pas elle risque d'en éprouver un remords tenace ensuite. Mais, évidemment, ce sont des choses plutôt délicates à balancer… Néanmoins, pour mon père, je pense qu'il faut que je prenne sur moi et le fasse.

– Décidément, Juan Benet n'est pas pour moi : j'ai rendu les armes au bout de cent cinquante pages. Pour me “punir”, j'ai repris l'Ulysse de Joyce : cela doit être ma trois ou quatrième tentative. C'est ce diable de Yanka qui, l'année dernière, avec l'enthousiasme qu'il a pour en parler, m'avait donné cette envie de retenter ma chance de ce côté-là.


Jeudi 28 juin

Sept heures et demie. – Chaleur lourde, moite, immobile, orageuse mais sans orage. Il y a moins de dix jours, nous nous retenions des deux mains, Catherine et moi, pour ne pas aller rallumer la chaudière.

– Mon petit déménagement professionnel s'est donc effectué ce matin, et tout a été terminé à deux heures, c'est-à-dire au moment où je venais de prendre la décision de rentrer à la maison, lesté d'un gros livre (400 pages) consacré par Patrice Duhamel aux coulisses de l'Élysée, et conçu comme un abécédaire, ce qui ne facilite pas la recherche d'un ou de plusieurs sujets pour FD – car telle est bien entendu la mission que l'on m'a confiée. Mais enfin, le principal est que je sois nanti d'un travail qui me dispense de me rendre à Levallois demain.

– Mail de l'amiral Woland pour me dire que l'invitation à déjeuner ici, lancée par moi lors de notre dernier déjeuner levalloisien, a été “acceptée d'enthousiasme” (dit-il). Nous le recevrons donc, en compagnie de Madame l'amirale – si l'on dit comme cela – et de leur petit mousse, lequel doit avoir approximativement un an si j'ai bonne mémoire. Le déjeuner aura lieu le samedi 14 juillet ou le suivant, ce sera en fonction des prévisions de la météorologie.

– Rien lu de la journée – si ce n'est les cent premières pages du livre consacré à l'Élysée. De plus, je me dois de noter ici que, sachant que je serai seul et livré à moi-même demain, entre six et huit heures, et que je vais donc m'octroyer un apéritif compensatoire, j'ai héroïquement renoncé à celui que je prends d'ordinaire le jeudi. On n'est pas plus raisonnable.


Vendredi 29 juin

Sept heures. – Eh bien, me voilà tout content de moi, à c't'heure. La raison de cette satisfaction bébête est que j'ai tondu la pelouse tout à l'heure alors que je n'envisageais (et mollement) de ne le faire que demain. Si je m'y suis décidé, c'est en raison de l'absence de Catherine entre six et huit heures ou huit heures et demie, pour cause d'occupations ecclesiastico-gastronomiques (messe + barbecue, ou quelque chose comme ça). Absence de Catherine en ces heures dangereuses égale bien entendu apéritif. Or, comme la tonte de la pelouse entraîne elle aussi, bien souvent, une envie d'apéritif-récompense, je me suis dit qu'il serait plus raisonnable de cumuler et de fondre en un seul les deux motifs. S'ajoute à cela que j'adore faire à Catherine ce genre de modestes surprises, me la péter “petit mari modèle et méritant”. Enfin, le fait d'avoir tondu puis pris une douche puis d'être venu en ce journal, tout cela fait que je ne vais pas commencer à boire avant sept heures et quart voire sept heures et demie, ce qui me vaudra une franche et attendrie admiration lorsque Madame rentrera et qu'elle me trouvera encore presque frais.

En plus de tout ça, j'ai “vendu” à mes vénérés chefs un sujet de trois feuillets sur les animaux de l'Élysée (les canards du parc, les animaux domestiques des divers présidents, les exotiques reçus en cadeau, etc.) qui devrait être plaisant et facile à écrire.

Il ne me manque plus qu'un bel orage pour être pleinement heureux ce soir. Mais ça n'en prend guère le chemin.

– Au courrier ce matin, une lettre en provenance du Québec pour Maître Yanka. Un truc officiel visiblement, ou en tout cas administratif. Je lui ai dit que je la lui réexpédierai mardi, de FD, mais que, s'il voulait, s'il craignait une catastrophe (ou au contraire une bonne nouvelle), je pouvais aussi l'ouvrir et la lui lire par téléphone. Il vient de me répondre qu'il en connaissait déjà le contenu et que la lui envoyer était amplement suffisant. D'autre part, d'après lui, son divorce pourrait se passer beaucoup mieux (ou moins mal) que ce qu'il craignait il y a un an. Comme par ailleurs son travail semble le satisfaire et lui rendre un moral au beau fixe, tout cela constitue la meilleure des réponses aux petits cafards qui se sont acharnés sur lui il y a quelque temps – j'en suis bien heureux.


Samedi 30 juin

Trois heures. – Petite journée fort tranquille, sans doute pour cause d'apéritif hier soir. Terminé de lire le livre de Duhamel sur les coulisses de l'Élysée, de là passé à L'Ère du soupçon de Nathalie Sarraute et, ensuite, aux Fruits d'Or de la même. Je viens d'ailleurs d'en commander deux autres, toujours de Sarraute : Enfance ainsi que Paul Valéry et l'enfant d'éléphant, dont le titre me ravit. Avec tout cela, ce pauvre James Joyce reste en attente, ce qui est assez mauvais signe pour lui.

– Nous avons décidé, Catherine et moi, d'aller voir mes parents le premier week-end d'août, afin de tenter de faire avancer mon idée de les inciter à partir pour la Normandie sans attendre la vente de leur maison de Sedan. Ou au moins pour voir si cette idée a fait son chemin dans l'esprit de ma mère, ce dont je doute un peu. On tâchera d'aller prendre un café avec Maître Yanka à cette occasion.

– En attendant, juillet se profile, mois qui serait à mes yeux le plus détestable de l'année si août n'existait pas. En plus, voilà qu'il pleut.

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