dimanche 28 octobre 2012

Septembre 2012











 QUAND ON SERA VIEUX











1er septembre

Cinq heures moins dix. – Soirée fort agréable, hier, en compagnie du Père Éric, de Pacy, et du Père B., de passage en nos murs, et qui en est reparti en début d'après-midi aujourd'hui. Catherine était allée à la messe de six heures et demie, où devait la rejoindre le Père B. Quant au second père, il s'y trouvait déjà puisque la messe devait être célébrée par lui. En fait, si j'ai bien compris, il s'est empressé de passer le témoin au visiteur, qui a donc officié à sa place. Catherine est rentrée la première, peu après sept heures, ayant “zappé” les vêpres ; les deux hommes d'Église ont fait leur apparition ensuite, l'un derrière l'autre, chacun dans sa voiture. Nous avons commencé par faire honneur au Gewurztraminer dont j'ai acheté un carton après l'avoir découvert chez mes parents, il y a quelques mois, ainsi qu'à l'habituelle Montée de Tonnerre dont j'étais allé faire l'acquisition chez le caviste de Pacy dans la matinée. Lorsque nous sommes passés à table, à la demande de Catherine le Père Éric a béni notre repas ; et je me suis demandé depuis combien de temps je n'avais pas effectué un signe de croix. Très longtemps, à n'en pas douter. Le Père Éric s'est montré d'une sobriété exemplaire et c'est tant mieux : il m'aurait tout de même déplu de me sentir responsable si le hasard avait voulu qu'il se fît arrêter et qu'il passât la nuit en cellule de dégrisement… Sobre, le Père B. le fut un peu moins, Catherine encore moins, et moi pas du tout, ainsi que l'on se doute. La soirée fut chaleureuse et animée, en partie grâce au Père B., qui est un damné (!) bavard, ce qu'on ne saurait lui reprocher vu l'intérêt toujours soutenu de sa conversation. Conversation qui a repris ce matin, mais sur un mode plus relâché, tandis que Catherine était descendue à Pacy pour y faire “bonne du curé” comme tous les samedis matins. Il est question que le Père B, qui s'apprête à quitter la Bresse pour Lyon, nous fasse visite dans le Gard, en mai prochain, lorsque nous y serons. Peut-être pourrons-nous le “mélanger” avec les Pluton, qui doivent venir également.

– Hier, le jeune Gaël (je ne sais pas son âge, mais je sais qu'il est assez nettement plus jeune que Nicolas, et donc a fortiori que moi), sur son blog De tout de rien, me disait, en réponse au commentaire que je venais de lui laisser, qu'il pensait justement à moi et se demandait où je pouvais bien en être, sur le plan idéologique, dans ces années quatre-vingt-dix qu'il évoquait, et à quel moment j'étais passé “du côté obscur de la force” – selon sa propre expression. Bien entendu, il a employé cette formule par humour ; néanmoins, elle reflète très bien ce que pensent plus ou moins consciemment tous les gens de gauche à propos de ceux qui ont abandonné les idées auxquelles eux continuent de s'accrocher : que notre changement de perspective ne peut être qu'une chute, un lâcher-prise ; qu'en disant adieu à tous les idéaux plus ou moins fumeux, nous succombons à je ne sais quel bas instinct, qui se nicherait en tout homme et qu'il importerait de combattre vigoureusement. Pendant ce temps, bien entendu, nous autres pensons – tout aussi sincèrement – que nous avons enfin accédé à la lucidité, que nos yeux se sont décillés ; et nous plaignons les malheureux progressistes de continuer à errer comme ils font dans les brouillards de leur jeunesse attardée.

Bref, j'ai botté en touche, comme disent mes confrères en journalie, et lui ai répondu que la réponse à sa question était assez difficile à donner, y compris à moi-même, mais que j'allais tenter d'y répondre, au moins dans mon journal. Ma première tentation, si je fais vite et sans trop examiner la question, serait de dire que je suis devenu réactionnaire (mot employé faute de mieux et qui ne recouvre pas exactement ce que je crois être) sur le tard, assez précisément en 2006, le véhicule de ma “conversion” ayant été les livres de Philippe Muray dans un premier temps, et ceux de Renaud Camus juste après. C'est ce que j'ai d'abord pensé. Ensuite, il a commencé à me sembler qu'il y avait quelque chose d'un peu étonnant dans un changement de point de vue à la fois aussi tardif et à ce point radical, massif, comme dirait Jérôme Vallet en parlant de l'ennui qui naît immanquablement chez le lecteur de ce journal. Il devait bien y avoir autre chose.

Petit à petit, en repensant à certaines de mes réactions face à tel ou tel événement précis du passé, j'en suis arrivé à me dire que, sans doute, mes lectures de Muray et Camus avaient opéré en moi non pas une quelconque conversion mais une cristallisation, qu'elles m'avaient servi à réunir et à structurer des éléments disparates et épars qui, pour cette raison même, m'étaient jusqu'alors demeurés invisibles, ou en tout cas pas assez signifiant pour remettre en cause une appartenance au “camp” de la gauche, posée par moi comme un indiscutable a priori, un postulat à la remise en cause impensable. Je me suis alors rendu compte que mon réactionnariat était beaucoup plus ancien que je ne le croyais ; et peut-être même que mon “progressisme” n'avait jamais existé plus profondément qu'au stade de la pure et simple jactance. Jactance qui, je le crains fort, m'avait été inspirée par un banal conformisme sécrété par l'époque à laquelle je fus jeune. Plus guère de doute : j'avais été, durant des années, un réac-avant-l'âge, mais affulbé du gros nez rouge de la révolution et coiffé de la perruque jaune paille des lendemains qui chantent. Sinon, comment expliquer, dès le début des années quatre-vingts, mon admiration jamais démentie pour le pape Jean-Paul II ? Mon enthousiasme, à la même époque, pour la montée en puissance de Solidarnosc ? Ma satisfaction, en 1984, de voir réélu Ronald Reagan, au prétexte qu'il était le plus anticommuniste des candidats à la Maison-Blanche ? Ma très force suspicion devant la farce sandiniste au Nicaragua ? Et mon dégoût instinctif pour l'éducation permissive, qui commençait d'exercer ses ravages chez les jeunes parents ?

Mais, tous ces éléments, ces petits faits isolés, il ne me serait pas venu à l'esprit de les relier entre eux, de les réunir afin qu'ils dessinent mon portrait. Pour cela, il a fallu le “coagulant” que furent les lectures conjointes de Muray et de Camus. Et ce qui m'amuse aujourd'hui, c'est de voir certaines personnes, notamment chez les blogueurs, qui sont eux-mêmes, en ce moment, dans cette situation prémurayenne, antécamusienne, où j'étais alors : ils se disent et se pensent sincèrement toujours-de-gauche, mais dès qu'ils expriment une opinion, ou mieux : une réaction, celle-ci est quatre fois sur cinq en opposition radicale avec ce qu'ils prétendent être.

Comme je suis un bon garçon, je ne donnerai pas de noms.


Mardi 4 septembre

Sept heures et quart. – Eh bien, voilà un journal qui démarre petitement, dirait-on. Je sais très bien pourquoi je n'ai rien écrit hier : à cause d'une interruption de connexion à internet qui a duré la moitié de la journée, due à une panne dans la salle des machines d'Orange, mon “fournisseur d'accès” comme on dit. Ensuite, lorsque la dite connexion a été rétablie sur l'ordinateur de Catherine mais pas sur le mien, cela m'a plongé dans un état de fureur tout à fait imbécile qui m'empêchait de raisonner sainement à propos de quoi que ce fût. Vingt fois, cet ordinateur stupide m'a demandé, que dis-je : a exigé que j'entre dans la petite fenêtre qu'il ouvrait à cette intention mon “code WEP”, c'est-à-dire la défilongée (comme dirait ma mère) de chiffres et de lettres qui se trouvent inscrits au cul de la lifebox – numéro que, voilà quelques mois, Catherine m'avait gentiment copié sur un post-it, qui se trouve collé à ce bureau, juste sous mes yeux. Vingt fois je me suis exécuté : rien à faire. Ce matin, Catherine tente de prendre le problème à bras-le-corps : pas davantage de succès. Jusqu'à ce que, en désespoir de cause, elle ait l'idée d'aller vérifier le fameux code WEP sous l'appareil, et qu'elle constate que celui qu'elle m'avait recopié était totalement erroné. Avec le bon code, l'ordinateur a immédiatement cessé de faire sa mauvaise tête. Il ne restait plus que la question un peu angoissante suivante : où Catherine a-t-elle bien pu copier le code faux, dans la mesure où nous n'avons jamais eu d'autre lifebox que celle-ci ? Question qui est restée sans réponse.

En revanche, je ne saurais dire pourquoi j'ai déserté ce journal avant-hier. Je n'avais sans doute rien d'intéressant à y noter, mais enfin, s'il était là, Jérôme Vallet se ferait un plaisir d'observer que ce n'est pas le genre de chose qui m'arrête les autres jours – et il n'aurait pas tort. Du reste, je n'ai rien de plus à y dire aujourd'hui, dans la mesure où ma journée à FD s'est déroulée sans le moindre accroc ni rupture de rythme, ou plutôt d'absence de rythme.

– Ah mais si, tout de même ! Samedi soir, cependant que nous nous accordions un petit apéritif dit “de retour au calme” (et même si nos hôtes de vendredi n'étaient pas notoirement agités), j'ai reparlé à Catherine de mon vague projet de proposer à Philippe B. un roman en huit épisodes, à paraître dans FD l'été prochain. Et, en parlant, m'est alors venue une sorte d'idée seconde : celle d'une sorte de roman-concours, à savoir un court roman policier, très classique dans sa forme : une victime, un assassin, quatre suspects. Partant de là, je glisserais dans chaque épisode un indice désignant le vrai coupable. En bas de page, il y aurait un petit bon à découper, sur lequel le lecteur devrait noter cet indice. Le dernier épisode de l'été s'interromprait au moment où l'héroïne (une jeune journaliste…) s'apprête à révéler le nom de l'assassin. Ensuite, les lecteurs seraient invités à écrire au journal pour donner ce nom en joignant à leur réponse leurs huit bons à découper, comportant chacun un indice. Le “gros lot” serait tiré au sort parmi ceux ayant trouvé le nom de l'assassin ET les huit indices. Puis, divers prix de consolation pour ceux ayant cinq indices, trois, etc. Telle était l'idée nouvelle. J'ai aussitôt fait un mail à Philippe B. pour la lui soumettre, et il m'a répondu hier matin qu'elle lui semblait très bonne et qu'il fallait qu'on en parle. Me voilà donc avec un assez gros travail sur les bras. Je n'ai pour l'instant que l'idée du couple de “héros” : ma jeune journaliste, donc, et son ex-petit ami (qui garde espoir de la reconquérir, comme on dit), qui bien entendu est flic. Je pense aussi que l'intrigue doit se déployer dans l'univers des people, puisque, a priori, c'est celui qui intéresse les lectrices de FD. Mais à part ça, rien. Et il va falloir construire une petite mécanique de précision, soit huit épisodes de huit mille signes environ chaque, en s'arrangeant pour qu'il y ait au moins un rebondissement par épisode et un indice pour le concours, à la fois pas trop compliqué (pour être sûr d'avoir au moins un gagnant à la fin) et pas trop simple afin que la lecture conserve son intérêt, si jamais elle en a un. Soixante ou soixante-dix mille signes, ce n'est pas un format auquel je suis habitué ; et à ce type d'intrigues à la Agatha Christie pas davantage.

De toute façon, avant toute chose, il va bien falloir se mettre d'accord sur la somme d'argent que Philippe B. sera disposé à m'allouer pour ce travail. J'ai déjà une petite idée personnelle sur la question. Partant du principe que, lorsque j'ai fait une série de doubles pages pour FD avec GdV, c'est lui, Philippe, qui avait spontanément proposé de les payer deux mille euros (mille pour GdV et la même chose pour moi), je compte lui demander la même chose. Bien entendu, il va lever les yeux au plafond, me dévisager avec un demi-sourire ironique, invoquer la crise et m'expliquer que c'est rigoureusement impossible. Il va de soi que si l'ont se met d'accord sur mille cinq cents je serai ravi. Mais je suis fermement décidé à ne descendre en aucun cas au-dessous de mille. Ce qui ferait encore huit mille euros, soit presque le tarif de deux BM, pour environ le quart d'un volume à écrire, ce qui resterait une excellente affaire. – Voilà où nous en sommes.


Mercredi 5 septembre

Sept heures. – Repas pris entre sept heures moins dix et sept heures moins deux : record battu. Et, pourtant, on se brûlait doigts, lèvres et langue avec les cuisses de caille que Catherine avait fait rissoler après les avoir badigeonnées de miel et de sauce Kikkoman, ce qui aurait dû en principe alentir leurs décorticage et engloutissement.

– Nous serons gardois du 18 au 25 mai prochains, la chose est désormais certaine ; si tant est que quoi que ce soit puisse l'être en notre monde sublunaire. Mais enfin, nous avons reçu ce matin les contrats de location en pdf. Nous réintégrerons le gîte où nous sommes allés les trois dernières fois, non à Malataverne mais dans ce minuscule lieu-dit appelé Dizier, situé au-dessus de Lussan, en pleine garrigue. En principe, nous devrions recevoir la visite des Pluton et, de notre côté, en rendre une aux Deprez d'une part et aux Castor d'autre part ; à moins que ce ne soit eux qui se déplacent, je m'y perds un peu. Mais plutôt que de m'occuper de ces vacances lointaines je ferais mieux de reprendre contact avec nos Anglais vendeurs de fauteuils à oreilles afin de savoir s'ils en ont de disponibles et si nous pourrons les voir lorsque nous nous arrêterons chez Jacques Étienne à la fin de ce mois.

– Pour préparer le séjour qu'elle doit faire à Rome au printemps prochain (voyage organisé par la paroisse de Pacy), Catherine m'avait demandé de lui commander le Guide du R*utard consacré à cette ville ; il est arrivé aujourd'hui et je l'ai feuilleté, tout à l'heure, en attendant les cuisses de caille. Le ton employé par ces modernœuds itinérants et béats, aux indignations convenues et très sages, m'est décidément de moins en moins supportable. J'en ai même fait un petit billet, histoire de purger ma bile ; je le remets ici, tiens :

« Déjà, jeunes, ils étaient moches et avaient l'air con. Rien ne s'est arrangé avec le temps : désormais, la chouette équipe des broutards arbore sur la chouette photo qui trône en chouette quatrième de couverture de leurs chouettes petits guides, de chouettes maillots rayés qui les font ressembler à ce qu'ils sont : de chouettes bagnards de la teuf à petits prix. Mais le meilleur – encore une chouette nouveauté, je crois bien –, c'est la fière proclamation, toujours en chouette quatrième de couverture, des “valeurs que nous défendons”. Je vous les livre in extenso et dans l'ordre où elles sont proposées à notre chouette convoitise :

Coups de cœur, tolérance, générosité, respect, Droits de l'homme, sincérité, rencontres, indépendance, fous rires, curiosité…

J'ignorais que les rencontres et les fous rires fussent des “valeurs”, mais il vrai qu'on nous cache parfois de chouettes choses. À mon sens, parmi leurs chouettes valeurs, ils ont oublié le frigo et le nombre d'or – mais personne ne peut penser à tout,  même pas le chouette, le tolérant, le généreux, le respectueux, le droit-de-l'hommiste, le sincère, l'indépendant, le curieux Philippe Gloaque. »


Jeudi 6 septembre

Neuf heures. –  Bon. Il est neuf heures, tout le monde a compris qu'il y a eu apéro. Et en effet. Maintenant, que dire ? J'entends un chien aboyer, pas loin, mais par ailleurs le silence est à peu près total. C'est comme si on était les derniers vivants, là, maintenant. La porte de la Case est grand ouverte, pas un souffle d'air. Je ne vais pas tarder à m'écrouler…


Vendredi 7 septembre

Onze heures du matin. – Je ne me suis nullement écroulé, évidemment, mais suis tout de même allé me coucher presque tout de suite. Du coup, pour me punir d'avoir sifflé tout le Ricard qui restait, j'ai décidé de me priver d'apéritif ce soir, alors qu'il était prévu que j'en prisse un, durant le temps que Catherine sera à la messe. De toute façon c'est aussi bien comme ça : demain nous devons prendre la route pour aller chez ma sœur, où elle-même ne sera pas, mais mes parents oui, pour garder la maison et surtout nourrir les chiens. Il est prévu que nous allions au restaurant (le même où à eu lieu le repas de noces d'Isabelle et Olivier en juillet (ou en juin ? Déjà oublié…), afin d'y célébrer comme il convient les 80 ans de mon père, qu'il aura le surlendemain, 10 septembre.

Six heures et demie. – Il y a environ deux heures, en cliquant sur la touche “passer la commande”, Catherine et moi avons effectué un saut quantique qui ne laisse pas de m'effrayer encore un peu. D'ici quelques jours, nous devrions recevoir une liseuse Kindle Touch. Il va de soi que, dans un premier temps, je laisserai Catherine essuyer ces nouveaux plâtres électroniques, ayant bien trop la crainte de passer l'engin par la fenêtre au moindre refus d'obtempérer qu'il ne manquerait pas de m'opposer. Mais, ensuite, je compte le bourrer à ras la mémoire de tout un tas d'œuvres écrites qui ne peuplent pas ma bibliothèque, et ce pour des prix défiant toute concurrence, voire pas de prix du tout.


Dimanche 9 septembre

Deux heures et demie. – Dîner, hier, pour les 80 ans de mon père (qui ne surviendront en fait que demain), au même restaurant où avait été fêté le mariage d'Isabelle et Olivier, voilà deux mois environ. Les deux derniers cités étant absents (ils “bivouaquaient” dans un hôtel de Roissy avant de s'envoler ce matin pour la Sardaigne, où ils doivent passer une semaine : quelque chose comme leur voyage de noces, si j'ai bien compris), nous n'étions que cinq : mes parents, Catherine et moi, et enfin Clémence, la fille d'Isabelle, venue en presque voisine de Bolbec où elle réside depuis peu, ayant trouvé là un travail. Car, oui, il y a encore des jeunes (sans guillemets…) qui trouvent du travail ; d'abord parce qu'ils en cherchent et ensuite parce qu'ils ont fait les études nécessaires pour cela – des bouffons, en somme. La soirée s'est fort bien déroulée, la table était tout aussi irréprochable que la première fois (même si j'aurais souhaité plus de moelleux à ma “pièce de veau”…), le chablis gouleyant, le service efficace et la conversation animée.

– Mon père ne va pas bien, selon ce qu'on peut essayer d'en savoir. Les derniers examens auraient détectés la présence de métastases nouvelles, “quelque part dans le système digestif”. Autrement dit, son cancer semble être en train de se généraliser. J'ai déjà noté cela, je crois bien. La nouveauté est que ma mère commence à prendre conscience, semble-t-il, que la situation n'évolue pas favorablement : elle l'a plus ou moins avoué à Catherine, hier, alors qu'elles en parlaient toutes les deux (en ma présence), profitant de ce que mon père était à la salle de bains. Je serais très surpris que nous ayons encore l'occasion de lui souhaiter son anniversaire ; mais enfin, à l'âge qui est le sien, les choses peuvent évoluer avec suffisamment de lenteur pour qu'il atteigne 81 ans.

– Nous sommes rentrés ce matin, sitôt le café avalé et nous étions ici à onze heures et demie. Comme c'est la foire-à-tout au Plessis, notre rue est passée en sens unique et il y a des voitures garées un peu partout. Coup de veine : aucun malotrus n'avait jugé bon de stationner devant notre portail. Les chiens étaient évidemment ravis de nous voir de retour. Elstir avait profité de notre absence pour déchiqueter entièrement le tapis de mousse sur lequel il est censé dormir. Quant à Bergotte, comme elle a dû, ce matin, multiplier les allers-retours au portail, à cause des visiteurs passant et repassant dans la rue, elle marche de nouveau sur trois pattes.

– Il fait chaud et j'en ai assez d'être devant cet écran : je vais retourner au salon (où Catherine doit probablement dormir) poursuivre ma lecture du Chagrin des Belges.


Mardi 11 septembre

Huit heures moins dix. – Il y a 329 ans, 11 septembre 1683, les Turcs assiégeaient Vienne et semblaient bien près de prendre la ville. Le lendemain, les forces conjointes de Charles V de Lorraine et de Jean Sobieski renversaient les Turcs pourtant bien supérieurs en nombre et commençaient la reconquête de l'Europe centrale sous joug ottoman. Évidemment, tout cela leur fut facilité par le fait qu'il n'y avait pas, dans leurs rangs, quelques centaines de milliers de traîtres – traîtres par peur, traîtres par sottise, traîtres par cécité – les enjoignant d'ouvrir toutes grandes les portes de la ville afin d'accueillir à bras ouverts leurs futurs maîtres, ce qui est précisément notre cas. Du reste, nul besoin pour nous d'ouvrir les portes de nos villes : l'ennemi est déjà à l'intérieur. Mais comme ils ont eu l'habileté de s'affubler de masques de carnaval, personne ne les reconnaît comme tel, en tout cas parmi les  esprits élevés qui seuls ou presque ont droit à la parole publique. J'en arrive à me demander si les collaborateurs old fashion, ceux de 1940, ne me dégoûteraient pas moins que les nôtres. Mais bien sûr, il faut tenir compte, dans mon appréciation, que ceux-là ont cessé d'être dangereux alors que ceux-ci sont chaque jour un peu plus nuisibles.

– Sinon, journée fort industrieuse à FD puisque je me suis retrouvé à écrire trois pages les unes derrières les autres ; ce qui m'a au moins permis de trouver le temps très court. Et je n'ai aucune envie de bavasser plus avant dans ce journal.


Mercredi 12 septembre

Huit heures. – Désaffection à l'égard de ce journal, depuis quelques jours, voire un peu plus. Rien ne me semble valoir la peine du micro-effort que je devrais faire pour le noter.


Vendredi 14 septembre

Huit heures vingt. –  Discussion d'apéro avec Catherine, sur des sujets divers. (Mais pas “divers” : importance des guillemets…) D'abord à propos de ce “roman-concours” que j'ai proposé à Philippe B. pour FD. On a passé une demi-heure ensemble dans son bureau, mercredi, à en parler. Il semble assez enthousiaste, mais évidemment il ne sait pas comment ni surtout combien il pourra me payer. Je lui ai dit, pour finir, qu'à moins de mille euros “net” par double page, c'est-à-dire huit mille pour l'ensemble, je ne ferai rien. Il va de soi que je le ferai pour moins, mais pas tellement moins. D'abord parce que je sais pas comment je vais pouvoir mener ce truc à bien : en ayant eu l'idée, j'ai été le premier à me dire que je n'y parviendrai pas, de toute façon.

– De quoi avons-nous parlé d'autre ? De ces “féminines engeances” (Rosaelle, Euterpe, Céleste (qui semble pour sa part blogosphériquement morte), etc.) qui se ressemblent de manière inquiétante. Pourquoi les femmes d'un certain âge portent-elles la bêtise à ce point d'incandescence ? Pourquoi sont-elle toujours plus bêtes et plus hideuses que les hommes qui “pensent” à peu près comme elles ? De là, nous avons dévié vers ce qui se passe aux tréfonds organiques de ces mêmes mégères, pour reprendre un mot de l'ancien temps. Catherine est d'accord pour penser que ces sous-produits de mai 68, ces écouilleuses de mâles, restent évidemment tributaires de leur cerveau dit “reptilien”. En clair, leurs sexes convulsent indépendamment de leur “esprit” : ces folles ont cru vaincre je ne sais quoi, en transformant leurs hommes en lopettes consentantes, en changeurs de couches, chargeurs de biberons, etc. Là-dessus se sont pointés de vrais mâles bas du front, assurés d'eux-mêmes, venant de continents approximatifs. Et, alors, la virilité primordiale a refait son effet : toutes ces dames se sont remises en éveil et en position face à ces mâles primitifs. – Mais il est évidemment impossible de leur faire avouer quelque chose d'aussi basique, animal. Car les femmes ne supportent que très mal l'idée de réagir selon des pulsions animales : elles se croient civilisées. Or, pour le dire rondement, seule la bite compte, même si elle ne s'en aperçoivent pas. Du coup, elles deviennent assez facilement schizophrènes, c'est-à-dire féministes.

Aujourd'hui, il est impossible, apparemment, d'être féministe sans être gravement schizophrène. Pourquoi ? Parce que l'islam. J'ai déjà imaginé être confronté à cette horreur insoluble : être non seulement une femme, mais féministe, mais de gauche. Bizarrement, aucune femme-féministe ne semble y penser réellement. (En réalité, je sais que certaines y pensent, mais elles n'osent pas encore tirer les conclusions de ce que leurs yeux voient, de ce que leurs oreilles entendent, de ce que leur cerveau comprend.)



Samedi 15 septembre

Une heure et demie de l'après-midi. – J'aime bien ces journées où je n'ai rien de particulier à faire, aucune obligation d'aucune sorte ; elles semblent s'alanguir, s'offrir. Quelques pages du livre en cours… un café-cigarette sur la terrasse… un petit tour devant cet écran… retour au fauteuil et au livre… peut-être un film en fin d'après-midi… Et il règne sur Le Plessis un silence de dimanche.

– Il me semble que le roman de Freustié, Isabelle ou l'arrière-saison, est une superbe réussite, mais je me méfie : et si je le trouvais bon simplement parce qu'une idiote quelconque l'a jugé “scandaleux” et “malsain” ? Non, je ne crois pas, tout de même ; ce serait lui faire trop d'honneur. Mais je reparlerai du livre (“ou pas”, comme dit Juan Sarkofrance à tout bout de champ et presque toujours hors de propos) lorsque je l'aurai terminé.

Sept heures et demie. – Jusqu'aujourd'hui je prenais la pseudonommée Rosaelle pour une dinde stupide ; c'est en fait une répugnante crevure. Voici le tweet qu'elle a balancé il y a quelques heures : is someone work in Abhu Dhabi or know someone ? contact me by mp, please, I have informations about a racist who work in this state. On notera que cette vermine s'exprime aussi bien en anglais qu'en français : même moi j'aurais fait mieux. Le côté ignoble de l'affaire est que l'amiral Woland se trouve effectivement à Abbu Dhabi en ce moment et jusqu'à jeudi prochain ; il s'agit donc d'une sorte d'appel au meurtre à peine déguisé, ou en tout cas aux ennuis. Comme cette créature est totalement accro à son blog et surtout à son nombre de visite, j'ai proposé à Nicolas un boycott généralisé, mais il a refusé ; ce que je comprends très bien d'ailleurs : plus j'y réfléchis et moins je trouve bonne mon idée première. En tout cas, en voilà une qui aurait été à son aise en France dans les années quarante – surtout antisémite décomplexée comme elle sait l'être. Cette bonne femme me soulève le cœur, vraiment.


Dimanche 16 septembre

Sept heures dix. – Les douleurs que je ressens depuis quelque temps dans la main gauche, dans le majeur et le pouce principalement, se font de plus en plus lourdes. Du coup, au lieu de prendre rendez-vous avec Jobbé-Duval, mon cardiologue, comme j'en avais l'intention, je vais plutôt tâcher de voir Garrigue, mon “traitant”, comme on dit dans les romans d'espionnage dès qu'il est question de la CIA. Et il faut aussi que je prenne rendez-vous avec le nouveau dentiste de Catherine. Putain de vieillesse…

– Finalement, Nicolas vient de faire un billet sur son blog pour signifier à la malfaisante d'hier qu'il ne voulait plus rien avoir à faire avec elle et la virait de sa blogroll. J'en suis ravi car je sentais bien que, s'il la laissait en place, je ne pourrais pas m'empêcher d'aller me pourlécher de ses délires.

– La parenthèse freustienne refermée, je suis revenu au Chagrin des Belges d'Hugo Claus. Et, à propos de Belges, je suis toujours sans nouvelles d'Ygor Yanka.

– Ce matin, Catherine a émis l'idée que nous pourrions, cet après-midi, profiter du beau temps pour aller visiter quelque château ou église des environs ; je n'ai pas dit non ; et je ne sais trop pourquoi, finalement, nous n'avons pas bougé d'ici.


Lundi 17 septembre

Huit heures moins vingt. – Eh bien, nous n'avons pas davantage bougé de la maison aujourd'hui qu'hier ; et même moins puisque Catherine n'avait pas de courses à faire, ni tâche paroissiale à accomplir.

– Ayant presque terminé Le Chagrin des Belges, je viens à l'instant de commander trois autres livres émanant d'Outre-Quiévrain, comme disaient les journalistes sportifs dans ma jeunesse (et comme ils disent peut-être encore) : La Petite Dame en son jardin de Bruges, de Charles Bertin, La Ballade du grand macabre, de Michel de Ghelderode, et L'Espadon d'Hugo Claus ; tout cela chaudement conseillé par Ygor Yanka ainsi que par deux ou trois autres commentateurs. Mais si j'avais écouté les conseils de tout le monde (ce que je serais peut-être bien avisé de faire, après tout), à la suite de ce billet, je ne lirais plus que de la littérature belge durant les six mois qui viennent ; et au fond pourquoi pas ?

– À propos de billet, j'en ai fait un cet après-midi pour parler des deux retransmission proposées par Arte, hier et le dimanche précédent, du concert donné par Pierre Boulez en la salle Pleyel à l'occasion de ses 85 ans, concert consacré dans sa partie initiale aux grands compositeurs de la première moitié du XXe siècle, et ensuite à la génération suivante, celle de l'après-guerre et de Boulez lui-même. Voilà bien le genre de billet, me disais-je, propre à calmer les esprits et à ne m'attirer que fort peu de commentaires. Or pas du tout : voici le pseudonommé Marco Polo qui débarque comme une furie et se met à vociférer, en vrac, contre Boulez, contre la musique du XXe siècle (qu'il oppose pour la déprécier à je ne sais quels groupes que je suppose être de rock), contre l'art contemporain, etc. Donnant assez nettement l'impression qu'en osant consacrer une trentaine de ligne à cela, je l'ai personnellement insulté. Très curieux.

– Les affaires semblent aller leur petit train du côté d'Enquêtes : je dois écrire un article “animaux” pour la quatrième ou cinquième semaine d'affilée, plus un autre pour le mensuel Zodiaque. On va finir par pouvoir la payer, cette maudite Volvo…


Mardi 18 septembre

Sept heures et quart. –  Catherine me faisait remarquer tout à l'heure qu'il était tout de même étrange que, dans leurs journaux respectifs, Julien Green et Paul Léautaud ne parlent jamais l'un de l'autre, alors qu'ils évoluent finalement dans des mondes tout proches, ont un certains nombre de relations communes (Gide notamment), sont tous les deux toujours fourrés au théâtre, etc. Je crois me souvenir que Green évoque Léautaud à deux ou trois reprises mais très rapidement. Pour l'inverse, je suis presque certain qu'en effet Léautaud ne mentionne jamais l'existence de Green ; mais je ne puis m'en assurer, n'ayant jamais acheté le volume d'index du Journal littéraire. Il est vrai qu'on voit mal quels atomes crochus auraient pu exister entre ces deux-là.

– Journée sans accroc ni intérêt. J'ai enterré Pierre Mondy en 6500 signes, et voilà tout.


Mercredi 19 septembre

Sept heures vingt. – Sur le blog-mère, les divers commentateurs continuent à s'écharper plus ou moins, à propos de la musique du XXe siècle et de Pierre Boulez ! Quand je pense que j'avais fait le premier de mes deux billets sur le sujet en partie dans l'espoir de pouvoir souffler un peu et de rétablir un semblant de sérénité, c'est totalement raté. Et tout le monde, bien sûr, de tomber sur le dos de Georges, avec des arguties tout à fait propres à le faire sortir de ses gonds. À moi, on me reproche plus ou moins, de manière à peine allusive, de le laisser raconter ce qu'il veut, de le laisser s'ébattre en toute liberté et diriger sa foudre vers qui bon lui semble. C'est exact, en effet. Mais c'est que je crois comprendre assez bien sa fureur (et sans doute sa tristesse ; ou sa tristesse muée en fureur), lui qui a consacré pratiquement sa vie à la musique, de la voir piétinée, niée, jetée aux pourceaux, accouplée de force comme dans un “mariage républicain” avec la chansonnette et le rock and roll.

– Mais évidemment tout cela n'est rien en comparaison de la guerre picrocholine et néanmoins violente qui secoue depuis deux jours le parti de l'In-nocence et va peut-être bien le réduire en poussière, lui qui n'était déjà pas bien gros ni solide. À l'origine du tsunami, une demande faite par Renaud Camus à Didier Bourjon, le “Premier secrétaire” (il fallait oser, tout de même…) du parti, pour qu'il essaie d'être moins autoritaire et cassant avec les intervenants du forum qui ont la hardiesse d'émettre un avis légèrement différent du sien. À partir de là, tous les miasmes semblent être remontés à la surface en même temps, et chaque camp a creusé sa tranchée. Je ne puis guère me faire une idée nette des torts de chacun, dans la mesure où les premiers engagements ont eu lieu sur le forum dit privé, dont l'accès est réservé aux membres du parti. J'ai pris l'affaire en marche, comme tous les “compagnons de route”, lorsque Camus a transporté la polémique du forum privé à celui public. Ce qui est amusant c'est que, deux ou trois jours plus tôt, par je ne sais quels méandres et ramifications, je m'étais soudain retrouvé pensant à ce Didier-là, et fait la réflexion, une fois de plus, qu'il avait décidément tout du Grand Vizir de Goscinny, celui qui voulait à tout prix “devenir calife à la place du calife”.  Il s'en cachait d'ailleurs à peine, ou de plus malaisément, et il était logique que Renaud Camus finisse par réagir. Comme en plus lui-même, Camus, peut à l'occasion se montrer buté comme un âne, on voit mal – moi en tout cas – comment les choses pourraient s'arranger entre ce calife et ce vizir. Par ailleurs, je me demande si, au fond, Camus ne serait pas secrètement soulagé d'être débarrassé, non seulement de Bourjon mais même de ce parti qu'il a eu l'étrange idée de créer voilà dix ans. Si c'est le cas, l'occasion est belle, en effet.

– Il y a environ une semaine, peut-être même un peu davantage, j'ai envoyé un mail à l'Anglaise qui vit tout près de chez Jacques Étienne et vend des bergères à oreilles d'occasion (entre autres pièces de mobilier anglais) qu'elle fait venir de son pays. Pas de réponse. Je me dis qu'elle a peut-être cessé toute activité de ce type et fais plus ou moins une croix sur les fauteuils anglais. Là-dessus, le magasin de meubles de Pacy ayant annoncé des soldes monstres avant réfection, nous y sommes allés cet après-midi, Catherine et moi, et y avons fait l'acquisition d'un fauteuil de cuir tout ce qu'il y a de confortable et d'anodin. Et qu'y avait-il dans ma boîtamel au retour ? Un message triomphal de Dame Alison m'annonçant qu'elle venait de recevoir de toutes nouvelles bergères à oreilles… Cela ne nous empêchera pas, évidemment, de nous arrêter chez Jacques Étienne lorsque nous nous rendrons à Paimpol, ainsi qu'il a été prévu.

– Mail de France-Hélène également, après un assez long silence. Elle a apparemment passé, en 2011-2012, une année scolaire fort éprouvante, avec élèves tous plus pénibles les uns que les autres, qui l'a laissée sur les rotules. Je lui répondrai demain. Ou vendredi si je n'ai pas le temps demain.



Jeudi 20 septembre

Huit heures et demie. – [Entrée supprimée le 11 octobre.]


Vendredi 21 septembre

Deux heures vingt. – Mais qu'est-ce qui m'a pris de remettre l'Innommable sur le tapis de ce journal, hier soir ? On avait dit qu'on n'en parlerait plus, bordel de merde ! Bon, il est vrai que, juste avant, il y avait eu mon apéritif hebdomadaire, ceci explique sans doute cela… Apéritif qui, cette semaine, va d'ailleurs être bi-hebdomadaire puisque je vais remettre ça ce soir, durant le temps que Catherine sera à la messe. (Il faudrait écrire un petit texte à propos de l'influence du catholicisme pratiquant sur l'alcoolisme des conjoints agnostiques.)

– Néanmoins, comme la quantité d'alcool ingurgitée fut assez nettement moindre que ce qu'il lui arrive d'être, c'est sans effort que je viens d'écrire les quatre mille signes que je devais à mon employeur principal, à propos du livre que vient de sortir Bernard Pivot, et qui ne casse pas trois pattes à un canard. Le titre de l'article, si l'on n'était pas à FD, pourrait être le suivant : « Bernard Pivot : c'est un adepte de l'amour oral ! » Au prix, bien entendu d'une légère arnaque sur le sens du mot “oral”. Demain, c'est la page “animaux” d'Enquêtes qui va requérir mes soins et mon temps, et dimanche, je devrai produire environ dix mille signes pour Zodiaque. Ce n'est qu'après que je pourrai m'estimer en vacances. Et encore, ce n'est pas sûr, puisque j'ai prévenu mes divers commanditaires que je restais chez moi la première de ces deux semaines et que, donc, j'accepterai tous travaux que l'on voudra bien me confier.


Samedi 22 septembre

Sept heures et demie. – Mon majeur gauche est de plus en plus douloureux et raide, alors même que je lui applique matin et soir depuis trois jours le gel anti-inflammatoire que m'a prescrit Garrigue. Lorsque je le plie vers la paume, j'ai beaucoup de mal à le redéplier : quelque chose coince dans l'articulation de la première phalange (tiens, je m'aperçois que je ne sais pas dans quel sens on numérote les phalanges ; bref, celle qui coince est la plus proche de la main). Parfois, je dois même utiliser ma main droite pour l'aider à se remettre droit (et je viens d'écrire droigt…).

– Journée tout à fait inactive, en tout cas sur le plan professionnel et lucratif. Je n'ai rien fait d'autre que lire le dernier numéro du Débat, arrivé avant-hier. Numéro fort intéressant du reste, notamment en son début (les leçons de la campagne électorale et de l'élection de Hollande) et en sa fin (trois articles très éclairants sur l'islam).

– Le petit mail humoristique que j'ai envoyé à Renaud Camus voilà une semaine se retrouve dans son livre en ligne qui s'appelle Lettres reçues. Je “copie/colle” ici le billet que j'ai, ce matin, consacré à cette histoire :

« Il a quelque temps de cela, Renaud Camus a inauguré un nouveau livre “en ligne”, intitulé Lettres reçues. Il s'agit d'une anti-correspondance, ou d'une contre-correspondance : on ne sait pas trop comment nommer l'objet. L'idée est de publier des lettres, mais non celles écrites par l'auteur : celles qu'il a reçues à diverses époques de sa vie, et conservées. (À ce stade, on entend déjà s'élever le chœur des “ronchons” : « Eh bien, voilà un livre qui ne va pas lui coûter trop de peine, à l'écrivain ! » Encore faut-il avoir eu la sagesse, ou la prescience, de conserver les lettres en question, puis d'opérer un tri à l'intérieur de ce corpus sous enveloppes.)

« Comme la plupart des livres en lignes de Camus, celui-là est “in progress”, c'est-à-dire qu'il s'enrichit de plusieurs lettres chaque semaine, au gré des fantaisies de l'auteur, suppose-t-on, et de son temps disponible. Pour le lecteur, la formule est simple : il paie une fois pour toutes et, ensuite, il regarde le livre se faire sous ses yeux.  Ça se passe là-bas. Quels en sont le but et l'intérêt ? À n'en pas douter, il s'agit de dessiner un portrait de l'écrivain, mais en creux, une silhouette réfractée en quelque sorte par tous les regards que ses différents correspondants posent sur lui et qui transparaissent dans leurs missives. En ce sens, l'entreprise rejoint celle du Journal d'un autre (livre également disponible en ligne et tout autant “in progress”), un peu plus ancienne, puisque, là, il s'agit du journal d'un certain Duane McArus (anagramme de Renaud Camus), dans lequel Camus lui-même apparaît comme protagoniste et est vu, décrit, sous des couleurs parfois assez peu flatteuses.

« Hier, Lettres reçues s'était enrichi de deux nouvelles contributions, dont la première n'était pas une lettre au sens classique mais un mail. Le voici :

« Mon cher Camus,

« comme Dame Paypal vous en a sans doute averti, je viens d’acheter vos Lettres reçues. Lisant celles qui sont d’ores et déjà en ligne, je fus soudain poigné par une insurmontable angoisse : êtes-vous bien conscient du terrible danger qui vous menace ? Avez-vous pensé à ces centaines de milliers de personnes qui, prenant connaissance de cette nouvelle aventure littéraire, vont se mettre à vous adresser lettre sur lettre, comme des furieux, dans l’espoir de décrocher leur quart d’heure de gloriole warholienne ? Vous allez être submergé, les vastes salles de Plieux n’y suffiront bientôt plus !

« Cela étant dit, et plus sérieusement, je trouve ce projet très attirant et ai bien hâte que votre collection épistolaire s’épaississe. De mon côté (mais quel rapport ?), j’ai définitivement cessé d’écrire des Brigade mondaine et me sens désormais léger et insouciant comme l’oiseau à son premier envol, malgré ma surcharge pondérale notoire. Pour fêter notre admission chez les nouveaux pauvres, Catherine et moi sommes allés aussitôt commander au garage idoine une Volvo V 70, appliquant ainsi la maxime d’une personne que vous avez bien connue : « Ce n’est déjà pas drôle d’être pauvre, si en plus il fallait se priver… »

« Mais je dois vous quitter : j’ai encore à lire quelques entrées du Journal d’un autre

« Vous serez bien aimable de transmettre mes meilleurs sentiments à M. Pierre et de me croire votre toujours fidèle lecteur.

« Didier Goux, retraité en bâtiment


« Évidemment, l'intérêt de publier immédiatement ce mail somme toute assez anodin saute aux yeux : il s'agissait de retourner vers moi, humour pour humour, ce soupçon de “gloriole warholienne” dont j'accusais d'imaginaires lecteurs – l'épistolier arrosé. Et aussi, bien entendu, d'introduire dans Lettres reçues un texte qui parlait de Lettres reçues.

« Et c'est ainsi que, par effraction, je suis devenu immortel. »


Dans un nouveau mail que je lui ai envoyé, je reprenais tout à l'heure la comparaison faite ici hier ou avant-hier entre Didier Bourjon et le Grand Vizir Iznogoud. Pour m'apercevoir tout de suite après, en lisant les dernières entrées du Journal d'un autre, que lui, Camus, maquillé en Duane McArus, avait employé exactement la même comparaison deux ou trois jours plus tôt. Il va croire que j'ai copié…


Dimanche 23 septembre

Huit heures et quart. – Je viens d'écrire un billet à propos du livre de Charles Bertin, La Petite Dame en son jardin de Bruges, billet que je pensais faire court avant de le commencer et qui s'est finalement avéré plus copieux que je ne l'aurais cru. Si bien qu'il ne me reste que peu de temps pour ce journal avant l'heure du film – mais il est vrai que personne ne m'oblige à aller m'asseoir devant la télévision pour y regarder un film très probablement insignifiant, si ce n'est pis.

– Ma page “animaux” pour Enquêtes (un article principal et deux encadrés) s'est écrite cet après-midi sans la moindre difficulté. J'en prévois un peu davantage demain pour l'article que m'a commandé la rédactrice en chef de Zodiaque.

– Mes douleur dans le majeur gauche sont allées en s'accroissant, me réveillant plusieurs fois cette nuit. Ce matin, c'est à peine si je pouvais encore bouger le doigt. Ce que voyant, j'ai décidé de suspendre l'application du gel anti-inflammatoire prescrit par Garrigue, trouvant tout de même curieux qu'il produise l'effet inverse de celui attendu. Catherine a suggéré que, peut-être, je faisais une allergie à la molécule active qu'il contient. De fait, la douleur est allée diminuant à partir de midi environ et, ce soir, elle est environ trois fois moindre que ce qu'elle était ce matin. Je téléphonerai à Garrigue demain, afin de savoir à quoi m'en tenir et surtout quoi faire.


Lundi 24 septembre

Huit heures. – Comme je le prévoyais, l'article d'aujourd'hui s'est écrit moins facilement que celui d'hier, il m'a bien fallu deux heures et demie pour venir à bout de ses dix mille signes. Il est vrai que décrire un alpiniste aux prises avec les difficultés et les pièges du massif du Mont-Blanc n'est pas un exercice auquel je sacrifie tous les jours. J'ai au moins appris à cette occasion que l'on écrivait “mont Blanc" lorsqu'on parlait du sommet lui-même, et “Mont-Blanc” quand on évoquait le massif auquel il appartient et donne son nom.

– Sinon, j'ai trouvé le temps de lire le premier acte de La Balade du Grand Macabre, de Ghelderode, et le commencement du second. La pièce n'est pas sans faire penser au Maître et Marguerite de Boulgakov, même si le Diable est ici remplacé par la Mort, sans doute à cause d'un climat de folie tourbillonnante et d'une forte truculence, laquelle est plus marquée chez le Belge que chez le Russe. Du reste, la pièce datant de 1935, les deux œuvres doivent être à peu près contemporaine, si ma mémoire est bonne.

– Il y a plus d'un mois, j'avais recopié pour la grand-mère de Catherine les seize CD de Du côté de chez Swann, lu par Dussollier. Elle (la grand-mère) vient de nous apprendre que le paquet n'est toujours pas arrivé, ce qui signifie qu'il est sans doute définitivement perdu. Ou bien que quelqu'un, à une étape ou une autre du trajet, s'avisant qu'il s'agissait de disques, l'a tout simplement subtilisé. Et nous nous amusions tout à l'heure, Catherine et moi, de la déconvenue de cet abruti indélicat en découvrant qu'il n'avait pas fait main basse sur les œuvres complètes de Michael Jackson ou de Lady Gaga mais sur Marcel Proust.


Mardi 25 septembre

Sept heures et quart. – Grand enthousiasme à la lecture de La Modification, commencée ce matin et dont la moitié environ a déjà été lue à l'heure qu'il est. Ce roman qui se passe entièrement dans un wagon du train de jour Paris-Rome – pour ce qui est du temps présent du récit, de son “maintenant” – ressemble en fait à une grande gare ; de celles dont on devine la proximité bien avant d'y entrer, par la multiplication de plus en plus grande des voies adventices, qui finissent par former un écheveau indémêlable. De même ici, les trajets entre Paris et Rome se démultiplient rapidement et de plus en plus (au stade où j'en suis arrivé naturellement). Le personnage principal…

(Mais comment le désigner, celui-là ? Il n'est pas narrateur, bien que l'emploi par l'auteur de la deuxième personne du pluriel, du vous “de politesse”, donne souvent l'impression étrange qu'il l'est bien. L'interlocuteur ne va pas non plus car, malgré la forme employée, on sent bien que l'auteur ne s'adresse pas réellement à lui ; ou alors comme un procureur général s'adresse à un accusé, sans possibilité pour ce dernier de répondre, de se justifier. Il faudrait trouver un nouveau mot, mais lequel ? L'adressé ? L'épinglé ? L'admonesté ? Aucun n'est satisfaisant, bien entendu.)

Donc le personnage principal, qui se prénomme Léon, mais à peine, comme ça en passant, le personnage quitte Paris pour gagner Rome : c'est un départ, une échappée. Lorsque les voies de ma gare se démultiplient, on le voit également faire le trajet inverse et rentrer à Paris : le retour à la normale, la réintégration. Dans le même mouvement, il quitte sa femme (et aux deux sens du terme) pour rejoindre sa maitresse, Cécile. À l'inverse, cette dernière, Française de mère italienne, lors de certains voyages du passé qui sont évoqués, quitte Rome pour Paris, avant de rentrer à Rome : échappée et réintégration contraires à ceux de son amant.

Lorsqu'il est à Paris, loin de Cécile, Léon cherche à recréer une Rome imaginaire ; en route vers Rome (dans le temps présent du récit), il s'imagine y errer seul dans le futur, lorsque Cécile sera rentrée définitivement à Paris. Nul n'est jamais vraiment, entièrement où son corps se trouve, les deux amants ne sont jamais réellement ensemble, sauf peut-être dans l'un de ces trains qui assurent la liaison entre les deux points fixes, finalement inaccessibles, que sont les deux capitales : La Modification est une sorte de roman bipolaire.

Et c'est bien parce que, entre les deux villes comme entre les deux amants, ne semble pouvoir exister que ce qui est instable, fuyant, que le lecteur comprend vite que ce train dans lequel on l'a embarqué en réalité fonce droit dans le butoir (le butoir de Butor, évidemment…).

Il reste qu'on se sent toujours un peu ridicule et sot, à découvrir ainsi un roman illustre, que tout le monde connaît de fond en comble depuis plus de cinquante ans.


Mercredi 26 septembre

Sept heures et demie. –  Quel roman somptueux que cette Modification, terminé tout à l'heure ! Et aussi quel plaisir (non dénué d'une certaine fatuité peut-être…) de s'apercevoir que la seconde moitié confirme et même amplifie ce que l'on disait de la première. La partie “nocturne” du trajet, qui se déroule tout entière en Italie, est proprement stupéfiante, avec cette alternance de rêve et de réveils nombreux et fugitifs qui sont la caractéristique du sommeil ferroviaire. En même temps, le roman devient sans cesse plus complexe, plus profond, tout en demeurant d'une limpidité parfaite. Penser que Butor a écrit cela à trente ans emplit de perplexité, d'admiration, et aussi d'un certain abattement. Lorsque j'ai eu tourné la dernière page, j'ai ressenti une très forte envie de le reprendre da capo immédiatement. Comme, sur ces entrefaites, Pascal Zamor me signalait l'existence d'Improvisations sur Balzac, de ce même Butor, en trois volumes, je suis tout de suite allé commander le premier.

– En attendant, c'est avec Les Rêveries de Rousseau et le Journal de Samuel Pepys que j'ai décidé de partir pour la Bretagne après-demain ; livres qui ont toutes les chances de ne guère quitter la valise, comme c'est presque toujours le cas lorsque nous sommes en villégiature quelque part. Mais partir sans eux me serait impossible. Et puis, ce n'est pas comme si on voyageait en train ou, pis, en stop (mais quelle idée !) : là, on peut charger un peu, s'encombrer de choses dont on sait qu'elles ne serviront pas, juste pour la satisfaction rassurante de les savoir avec soi.

– Ce soir, sur l'une des chaînes “Orange” qui font depuis peu partie de notre “bouquet” (on ne pourra bientôt plus rien écrire…), 1900 de Bertolucci ; la question qui est sur toutes les lèvres : nos deux vieux héros tiendront-ils éveillés les trois heures quarante que dure le film ?

– J'avais plus ou moins, et très mollement, prévu de passer la tondeuse cet après-midi, en prévision de notre départ de vendredi : une bonne grosse pluie charitable est venue vers quatre heures me tirer de ce mauvais cas où je m'étais mis. Une tondeuse a tout de même été passée, mais par Catherine et sur mon crâne.


Jeudi 27 septembre

Sept heures et quart. – Heureusement que le film de Bertolucci est remarquable, car en fait il durait non pas trois heures quarante mais cinq ! Il reste que j'ai été gêné de bout en bout d'entendre De Niro et Depardieu converser en italien, par le truchement de voix qui n'étaient ni celle de De Niro ni celle de Depardieu ; c'est vraiment la plaie de ces productions italiennes de l'époque, à casting “international” : Le Guépard, Le Bel Antonio, certains films de Scola, etc.

– J'ai passé l'essentiel de la journée devant cet écran. Ce matin, pour commencer, j'ai mis en ligne le journal d'août, avec un peu d'avance puisque nous partons demain. Puis, comme me venaient à peu près simultanément deux idées de courts billets, je les ai rédigés tous les deux et programmés pour la semaine prochaine, à deux jours d'intervalle, ce que je ne fais jamais d'habitude. Enfin, cet après-midi, j'ai eu l'idée de reproduire dans un troisième billet, un extrait du Journal d'un autre de Renaud Camus, afin que mes lecteurs puissent se rendre compte de ce dont il s'agit. J'ai donc commencé par demander par mail à l'auteur son autorisation, qu'il m'a accordée par retour, comme je m'y attendais. Évidemment, il a fallu “habiller” un peu le texte que j'avais choisi, histoire que l'on comprenne ce qu'il venait faire là.

– Dans son mail de réponse, Camus me suggère de produire un best of des billets de mon blog. Lorsqu'il me fait une remarque ou une suggestion de ce type, mon premier réflexe est toujours plus ou moins de penser qu'il est d'humeur malicieuse et a trouvé divertissant de se ficher un peu de moi, tellement je trouve peu d'intérêt à une telle compilation, même si j'avoue y avoir déjà pensé moi-même. Mais évidemment, juste après, je me dis qu'il n'y a vraiment aucune raison qu'il se paie ma fiole, surtout de cette manière-là. Ce pourrait être le cas si je passais mon temps à vanter mes productions auprès de lui, à faire de la “retape” ; mais comme jamais je n'ai abordé le sujet de mon blog en premier, il n'y a vraiment aucune raison pour qu'il exerce sa verve à mon encontre en utilisant ce sujet. Petit parano deviendra grand…

– Départ demain pour Paimpol, donc ; ou, plus exactement pour les terres basses-normandes de Jacques Étienne où nous passerons la soirée et fêterons son anniversaire (mais c'est un pur hasard). Naturellement, comme à chaque fois, devant la montagne de bagages de toutes sortes que prétend emporter Catherine, je suis persuadé que l'on n'arrivera jamais à tout faire entrer dans la voiture (en plus de Bergotte) ; et naturellement, d'un même mouvement, je sais aussi et déjà que tout rentrera sans problème ; et que j'aurai droit à ma dose d'aimables sarcasmes pour avoir à ce point manqué de foi.

– Depuis que je suis revenu devant cet ordinateur, une mouche se tient immobile au beau milieu de l'écran. Je me garde de la chasser, préférant la savoir là que bourdonnant comme une conne à quelques centimètres de mes oreilles.


29 septembre

Neuf heures moins le quart. –  Nous étions au traditionnel apéritif de fin de voyage, dans ce gîte de Paimpol tout à fait agréable à première vue, lorsque ma sœur a téléphoné. Pour nous dire que mes parents devaient signer une promesse de vente pour leur leur maison des Ardennes à la fin de la semaine. Il est difficile de dire le bonheur que cette nouvelle m’a procuré, de mesurer à quel point j’en ai été content pour mon père, qui mourra de la même façon, sans doute, mais qui a de nouveau quelque chose à vivre, un but, un changement. Et ma mère, donc ! Qui a passé sa vie à déménager et à adorer ça (c’était leur jeunesse, à elle et à mon père, n’est-ce pas ? On partait ailleurs, on ne savait pas vers quoi, et ça les amusait). Et, là, alors qu’ils atteignent à la fin de leur vie, il leur arrive ce cadeau : un déménagement de plus ; un rajeunissement inespéré – je voudrais être là, lorsque ça va se produire.

– Là-dessus, revenons  la journée d’hier. Il faisait beau. Nou sommes arrivés chez Jacques Étienne vers cinq heures et demie. Comme il était trop tôt pour l’apéro, nous avons commencé à parler sans boire. Surtout lui : Jacques Étienne est un fichu bavard. Surtout, il ne sait pas “hiérarchiser les priorités”. Par exemple, dans la mesure où il avait prévu de nous servir un gigot, il aurait  pu mettre le fout à chauffer de bonne heure, genre : quand on est arrivé chez lui. C'est au moment où ont commencé à sortir de leur placard les bouteilles de l’apéritif qu'il s'est avisé de faire préchauffer le four. (J'ai l'air de me moquer, comme ça, mais je n'aurais évidemment pas été plus malin, et même sans doute moins encore.)

Et le four préchauffe, donc… Et ensuite, le gigot cuit… Et les humains picolent et discutent, pour passer le temps. Soudain, il est près de neuf heures du soir, le gigot semble cuit. Trop tard, tout le monde s’en fout : Jacques Étienne est de plus en plus “en verve” et n’a plus très faim, Didier Goux est gaillardement beurré – comme la pièce de viande le fut en son temps – et a oublié qu’il y avait un gigot dans un four. Catherine, pourtant plus sobre que nous, est partie pour un tour du jardin avec  Bergotte, afin de la faire pisser, et, de retour, va directment se coucher. Dans la foulée, tout le monde fait la même chose : on ne touche pas au gigot, et au lit. Telle fut notre premier dîner de vacances, au demeurant beaucoup plus animé et sympathique que bien d'autres. Mais disons que la nette prédominance du liquide sur le solide a entraîné chez moi, le lendemain, au moins les deux premières heures, une légère sécheresse de la cavité buccale.


Dimanche 30 septembre

Huit heures. – Première journée bretonne parfaite, chez les Meyer. Superbe maison, temps idéal, au point que, finalement, nous avons déjeuné dehors et non dans la salle à manger comme ils l'avaient initialement prévu. Le repas en lui-même, à base de “produits de la mer” (Saint-Jacques et lotte) était délicieux. Ensuite, nous avons fait le tour, intérieur puis extérieur, de la propriété. J’étais fatigué et accablé rien qu’à envisager tout ce que Meyer veut faire (et a commencé de faire) sur son hectare et demi. Mais la maison est superbe, intensément vivable, superbement habitable. En plus il m’énerve, par la place qu’il a dans sa bibliothèque et par le nombre de murs qu’il lui reste pour installer de nouveaux rayonnages de livres.

Après quoi, promenade autour du château de la Roche-Jagu, superbe bâtisse dominant le Trieux et, architecturalement, hésitant entre le Moyen Âge qu’elle laisse derrière elle et la Renaissance qui s’annonce. Nous étions partis à deux voitures parce que notre intention était de rentrer directement à Paimpol au sortir du château. Sauf que, naturellement, nous avions oublié dans le frigo des Meyer la charcuterie achetée ce matin à Pontrieux. Il a donc fallu revenir jusqu’à chez eux, ce qui a permis à Catherine de demander à Stéphanie sa recette de mousse au chocolat qui, en effet, n’était pas loin du sublime.

J’ai tout de même demandé à Meyer comment il avait su que nous venions passer une semaine à Paimpol, dans la mesure où je n’avais pas fait de billet de blog (à ce moment-là) pour le dire. C’était Jérôme Vallet. Lequel, avons-nous appris, sera là, chez les Meyer, dès la semaine prochaine, en compagnie d’Anna et de Dominique. Lorsque nous nous sommes retrouvés seuls, Catherine s’est montrée un peu surprise de ce qu’Anna ne lui ait rien dit de cette visite. Je lui ai fait observer qu’elle pouvait ne pas avoir envie qu’on le sache, dans la mesure où Jérôme et moi sommes censés être brouillés à mort (c’est-à-dire lui avec moi, évidemment). En y réfléchissant plus tard, je me disais que les Jérôme Vallet de la Création, qui n’ont que le mot “délicatesse” à  la bouche, pour qui personne n’est assez délicat à leurs yeux, finalement contraignent tout le monde, empêchent par exemple que Dominique, Anna et nous nous retrouvions chez Marcel Meyer, ce qui aurait sans doute été fort agréable. Du reste, Stéphanie a suggéré que nous prolongions nos vacances de deux jours, de manière à être là, chez eux, lundi prochain. Bien entendu, j’ai dit que non, que c’était impossible. Or, cela l’aurait été, assez facilement, et Catherine et moi aurions été ravis de passer cette soirée non prévue en leur compagnie et celle des Marseillais. Seulement, évidemment, il avait Vallet et sa délicatesse. Qui  ont empêché six personnes de se trouver réunies alors qu’elles auraient peut-être aimé l’être. Je n’arrive même pas à lui en vouloir pour ça ; mais tout de même, il est difficile d’être plus casse-couilles, égocentrique, sale gosse, pénible.

– Demain, donc, journée sur un bateau, organisée par Yann Savidan. Je disais tout à l’heure à Catherine (avant qu’elle aille se coucher, à huit heures…) que j’avais autant de chances de passer une journée magnifique que de me faire chier comme un rat mort ; que je ne pouvais rien en savoir, et que c’était précisément ce qui m’intéressait dans cette perspective.

Neuf heures et quart. – J’ai oublié de noter (je crois) que la maison de mes parent est (presque) vendue. J’ai appelé ma mère tout à l’heure, elle semblait très excitée, rajeunie par cette perspective. Et il paraît que mon père se remet à s’intéresser à la vie, ce dont je ne doute pas. Bien sûr qu’un déménagement ne peut que les rajeunir, eux qui en ont fait tellement. Ce sera leur dernier, s’il se fait. Là, il serait bien que le cancer de mon père fasse un peu relâche, le temps qu’ils achètent une maison près de chez Isabelle, qu’ils emballent et déballent des cartons, comme quand ils étaient jeunes. Bien que, évidemment, ils soient censés être encore jeunes. Tout à l’heure, au téléphone, ma mère me parlait de Fontaine-le-Dun, village qu’ils aiment et où Isabelle et Olivier leur ont, si j’ai bien compris, trouvé une maison possible. Et ma mère me disait, en gros :  c’est un village assez important, il y a une boulangerie, une charcuterie, une je ne sais quoi. Et elle a ajouté : « Il y a même un docteur. C’est important, pour quand on sera vieux. » À 80 ans, ma mère n’est pas vieille. Son mari, mon père, qui a deux ou trois cancers en route, n’est pas vieux non plus. Un jour, un jour lointain, dans la tête de ma mère, et encore ce n’est pas sûr, peut-être qu’elle-même et son mari deviendront vieux. Peut-être.

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