vendredi 28 août 2015

Juillet 2015










ADIEU PALUDES









Mercredi 1er juillet

Cinq heures et demie. – Une fois n'est pas coutume : je me suis attardé environ deux heures à Levallois, alors que plus rien ne m'y retenait. La raison est que j'étais plongé en plein Paludes… dans un bureau parfaitement climatisé ; et je savais fort bien que, de retour dans la semi-fournaise de la Case, je n'aurais pas le courage de m'y remettre. Je ne suis pas peu fier du résultat, puisque quinze mille signes ont été écrits dans la matinée. Il me reste à écrire le dernier tiers du chapitre 10 et l'épilogue ; soit, en tout, un maximum de vingt mille signes : en principe, et même si je ne fais rien demain, pour cause d'apéritif “spécial canicule” tout à l'heure, le roman devrait être terminé samedi soir, dimanche au plus tard.

– C'est également la première fois que je trouve le titre d'un journal mensuel au moment même où j'en trace les premières lignes ; mais il n'est pas très difficile, au vu de ce qui précède, de comprendre pourquoi.

– À propos de journal, celui de mai est en ligne depuis trois jours : j'ai beau savoir comment les choses se passent, et l'absence presque complète d'intérêt, chez la quasi totalité des gens, pour les livres que l'on peut écrire ou publier, j'ai tout de même été un peu surpris de n'avoir pas un seul commentaire concernant le petit extrait du mien que j'ai placé dans ce journal de mai. Il est vrai qu'il est nettement plus amusant de traquer mes fautes de frappe afin de pouvoir me les mettre sous le nez. Cela dit, en dehors du désintérêt profond, il y a une autre explication envisageable : qu'il ne s'agisse nullement d'indifférence mais d'un silence gêné, tant ces quelques feuillets auraient été jugés consternants par l'aréopage.

Huit heures et demie. – Ce n'est pas tant leur contenu, finalement, bien qu'il soit d'une stupidité indigne, qui m'interdit désormais d'écouter le moindre “journal” télévisé : c'est le ton implacablement uniforme des jeunes gens qui y sévissent et qui, non seulement semblent incapables d'avoir une opinion personnelle sur un événement donné, mais en plus d'en rendre compte autrement que par ce staccato artificiel obligé qu'ils adoptent tous, lequel consiste à introduire systématiquement des coupes, des respirations, là où il ne devrait pas y en avoir, et à terminer chaque phrase “en l'air”, comme si le point final n'existait plus. Ils n'innovent pas, en cela : les journalistes de radio ou de télévision sont des perroquets stupides, ils l'étaient déjà quand j'étais à l'école de la rue du Louvre : les meilleurs étaient de petits clones qui s'appliquaient à copier les intonations, les inflexions de leurs professeurs ; lesquels avaient fait pareil avec les leurs, cinq ou dix ans plus tôt.

– Longue conversation, entre Catherine et moi, à propos de X, Y et Z, ces trois espèces de paranoïaques vicieux et différents (mais aussi semblables), sur lesquels nous tombons d'accord, sans en avoir parler auparavant, pour ne jamais les revoir ni même leur répondre si jamais il leur prenait la fantaisie de “raccrocher les wagons”. Car ce triumvirat a ceci en commun, bien qu'ils ne se connaissent pas entre eux : ils aiment jouer. Avec nous. Ou plutôt, évidemment, contre nous.Ça suffit comme cela, j'ai passé l'âge.


Jeudi 2 juillet

Une heure moins le quart. – Ce jour, à midi trente-cinq, je suis sorti de Paludes ; en étant assez content de ma dernière phrase.

Huit heures. – La température a bien baissé depuis hier, même s'il fait encore chaud. (Mais qu'est-ce qui me prend, de donner un bulletin météo ?) Le vent qui circule entre toutes les fenêtres et portes ouvertes est presque frais. C'est toujours après des “coups de chaleur” comme ceux d'hier, ou du mois d'août 2003, que l'on comprend pourquoi les pays où elle règne d'un bout de l'année à l'autre n'ont jamais, sauf exception (l'Inde), produit la moindre civilisation vraiment riche. Les contrées chaudes n'engendrent que des gardiens de chèvres. Mais qu'allons-nous faire de tous ces gardiens, nous qui avons si peu de chèvres ?


Samedi 4 juillet

Sept heures et quart. – Anniversaire d'Adeline, 42 ans, qui sera ici dans deux semaines ; non : trois.

– Je m'étais dit que j'allais laisser reposer Paludes, au moins jusqu'à ce que j'aie rencontré Michel Desgranges (ce sera jeudi) pour en parler un peu sérieusement avec lui. Finalement, je n'ai pas résisté et j'ai déjà relu les deux premiers chapitres. Ce qui m'étonne, voire m'inquiète, c'est que je fais, durant ces relectures, fort peu de corrections de fond, et surtout ni ajouts ni retranchements, ce qui tendrait à prouver que je n'ai malheureusement pas l'esprit d'autocritique très développé. Mais je n'y puis rien.


Mardi 7 juillet

Sept heures dix. – Expérience curieuse, cet après-midi : alors que dans les quatre premiers chapitres que j'ai relus depuis quatre jours, j'ai supprimé une grande quantité d'adverbes inutiles, voire redondants (des adjectifs aussi, mais plutôt moins), je n'en ai pas trouvé un seul à ôter dans le chapitre V ; comme si, brusquement, presque d'un jour sur l'autre, je m'étais mis à écrire mieux. Catherine me dit qu'il faut que j'attende de voir ce que donne le VI, de ce point de vue, pour savoir si c'était en effet une sorte de passage à un niveau supérieur d'écriture ou simplement parce que le V est différent de ceux qui le précèdent ET le suivent. Elle a raison : on en saura plus demain. Il n'empêche que l'expérience était un peu troublante. D'autre part, je dois dire que ce chapitre, le V, me semble être le plus réussi jusqu'à présent ; le plus “plein” aussi. Mais je me méfie de mon propre avis comme du socialisme à visage humain.

– Je continue à lire Revel, ou plutôt à le relire, avec délectation. Aujourd'hui, son très réjouissant Pour l'Italie. J'ai plusieurs fois songé à Dorham, au fil des pages : voilà un petit livre dont il aurait tort de se priver, à mon avis ; il devrait à la fois l'amuser et l'énerver.


Jeudi 9 juillet

Huit heures et demie. – Me voilà de retour de chez les Desgranges. (Non, en fait, je suis arrivé vers six heures et demie, mais il y eut ensuite le traditionnel apéritif destiné à me récompenser d'avoir, en Basse-Normandie, bu seulement du jus d'orange puis de l'eau.) Paludes paraîtra donc aux Belles Lettres en janvier, peut-être en février ; c'est-à-dire exactement dans les délais qui avaient été ceux, il y a deux ans, d'En territoire ennemi. J'avoue que, ce matin, je suis parti en me demandant ce qui allait me tomber sur le coin de la figure une fois arrivé : quelles critiques assassines Michel avait-il gardées dans sa manche ? Telle était la question. Eh bien, aucune. Je veux dire : aucune qui soit véritablement grave, qui foute le roman par terre ou oblige à en refaire la moitié (ce que, de toute façon, je n'aurais pas fait : le Chef-d'œuvre aurait fini dans la poubelle virtuelle et on n'en aurait plus parlé). Les critiques, restrictions, observations qu'il m'a faites ont d'autant mieux passé que, pour l'essentiel, je me les étais déjà faites tout seul au fur et à mesure de ma relecture. Le seul point sensible est le chapitre VI (celui qu'il m'a déjà fait refaire), dont il pense que la partie dialoguée (appelons ça ainsi) n'est toujours pas au point. Il n'a pas eu à me tordre un bras pour me convaincre : j'ai relu ce chapitre hier et, dans ce passage, je me suis aperçu que je m'ennuyais et avais hâte d'arriver à la suite. Conclusion : il faut encore réduire ces sept ou huit pages, et j'en arrive à penser que le plus sera le mieux.


Vendredi 10 juillet

Sept heures vingt. – J'ai laissé de côté mes divers pensums pour FD (il m'en reste deux : John-John Kennedy et Florence Arthaud), préférant relire deux chapitre du Chef-d'œuvre, les 7 et 8 : au risque de passer pour un fat, je les ai trouvés très bien, au moins une fois que j'ai eu arrangé et raccourci le début du second, qui avait tendance à patiner un peu. J'ai également envoyé un mail à Mme Noirot, la directrice des Belles Lettres, sans réponse pour le moment.

– Lecture paresseuse de Revel. Et commande de l'Histoire littéraire du sentiment religieux, de l'abbé Brémond ; mais il doit s'agir de “morceaux choisis”, dans la mesure où c'est un volume unique. Ce sera parfait pour voir si j'ai envie d'acheter le livre au complet, qui fait cinq volumes et qu'on semble ne pas pouvoir trouver à moins de 250 ou 300 euros. En revanche, j'ai trouvé pour 20 euros les Mémoires de Viel Castel, en collection Bouquins, dont Michel Desgranges m'avait déjà fait grand éloge lors d'une visite précédente et dont il m'a reparlé hier (pour savoir si je les avais lus…)


Samedi 11 juillet

Sept heures dix. – J'ai terminé cet après-midi la relecture des deux derniers chapitres + épilogue de Paludes ; il me reste maintenant à essayer de muscler en la raccourcissant l'ouverture du premier chapitre, puis de régler une bonne fois le problème du VI qui ne va toujours pas. Mais, pour ce dernier, je crois avoir trouvé la solution radicale. Ensuite, il faudra bien relire le tout une dernière fois, aussi rapidement que possible, afin de tenter d'avoir une vue d'ensemble et aussi pour apporter les ultimes polissages. Quand je dis “dernière fois”, c'est évidemment faux, puisque, en novembre ou décembre, m'arriveront les épreuves à corriger, ce qui impliquera une nouvelle lecture. Mais, au moins, il se sera passé trois mois durant lesquels j'aurai pu penser à autre chose (à un prochain livre, par exemple).


Dimanche 12 juillet

Sept heures dix. – Peu actif aujourd'hui. Huit mille signes consacrés à Florence Arthaud, mais qui ne m'ont coûté que peu de peine, dans la mesure où j'avais déjà écrit un article similaire au moment de sa mort, en mars. J'ai tout de même repris le premier chapitre de Paludes, afin d'en resserrer les premières pages : c'est fait et je n'y reviendrai plus. Il me restera, ces prochains jours, à modifier davantage le VI – là aussi dans le sens du resserrement –, et ensuite, je ne toucherai plus à rien en attendant la relecture finale, pour laquelle je vais laisser passer un peu de temps. Le travail sur le VI sera fait probablement mardi, dans la mesure où, pour cause de 14 juillet, je devrais avoir la paix ce jour-là du côté de FD.

– J'ai commencé à lire le petit livre de Pierre-Robert Leclercq consacré à André Gill, le dessinateur caricaturiste de la fin du Second Empire, publié le mois dernier par les Belles Lettres : il est aussi bien fait que le volume qu'il avait consacré au café-concert, il y a quelque temps, qui m'avait lui aussi été donné par Michel Desgranges et qui doit être passé ensuite entre les mains de Rémi Usseil, si ma mémoire ne me joue pas de tour. N'ayant plus de Revel à me mettre sous l'œil, j'ai également repris le troisième volume du journal des Goncourt ; comme nous sommes arrivés en juin 1895 et qu'Edmond est mort, chez les Daudet, le 16 juillet 1896, ni lui ni moi n'en avons plus pour très longtemps.


Jeudi 16 juillet

Cinq heures. – J'ai envoyé à Michel Desgranges, il y a deux jours, la partie une nouvelle fois refaite de mon maudit chapitre VI ; il m'a répondu hier soir que c'était fort bien et que, désormais, il ne fallait plus que je touche à quoi que ce soit. J'ai tout de même achevé la lecture globale en cours, laquelle, d'ailleurs, ne s'est soldée que par de menus (mais importants) corrections et ajustements de détail. J'en ai terminé tout à l'heure et ai immédiatement adressé le roman à Mme Noirot, la directrice des Belles Lettres. Ma décision est d'oublier ce livre jusqu'à ce que j'en reçoive les épreuves à corriger. Mais il n'est pas certain que, la dernière semaine de ce mois, quand je serai seul pour sept ou huit jours, je résiste au besoin d'en refaire une troisième lecture “en continu”. On verra. Il serait sûrement plus intelligent de m'atteler à ce projet de petit livre auquel je pense depuis quelques jours.


Vendredi 17 juillet

Sept heures et quart. – Sans doute parce que, en face de moi, Catherine était occupée, ce matin, à finir de lire Le Tour d'écrou, une impulsion soudaine m'a conduit ici, dans la Case, pour y prendre Les Bostoniennes, livre que je possède depuis quelques années sans jamais l'avoir lu, ni même ouvert. Je commence, entre tout de suite dans l'histoire, au point d'en avoir lu deux cents pages depuis ce matin et d'en avoir fait un billet sur le blog. Et voilà que Suzanne, en commentaire du billet en question, met un lien vers chez Élodie-pleine-d'o, un billet de 2013, dans les commentaires duquel j'affirme avoir lu quelques dizaines de pages du roman de James avant qu'il ne me tombe des mains ! Voilà qui ne m'a laissé aucun souvenir, même pas une vague réminiscence lorsque je l'ai recommencé il y a quelques heures. Tout cela prouve au moins une chose, c'est que la mémoire de Suzanne est en moins piteux état que la mienne.

Du coup, j'ai senti poindre l'envie, quand j'en aurai fini avec ces Bostoniennes, de reprendre Ce que savait Maisie, dans la traduction de Yourcenar. Celui-là, au moins, j'en suis sûr : je le traîne de déménagement en déménagement depuis plus de trente ans, j'ai tenté de le lire au moins deux fois et l'ai toujours abandonné bien avant d'en être au quart. Tout cela est quand même bien mystérieux.


Lundi 20 juillet

Sept heures et demie. – Durant le temps que j'ai passé à écrire le Chef-d'œuvre, j'ai eu la tenace impression (mais chaque mois infirmée par Catherine) que ce journal allait s'amenuisant, simplement parce que j'avais la tête occupée ailleurs. Depuis que le roman est terminé, il me semble que le journal, non seulement n'a pas récupéré sa vitalité d'antan, mais devient carrément étique ; cette fois, c'est parce que j'ai la tête vide.

– J'ai fini Les Bostoniennes ce matin. Je voulais enchaîner sur l'un des deux romans de James que j'ai commandés il y a deux jours et qui auraient dû m'arriver aujourd'hui : Les Ambassadeurs et Portrait de femme ; mais Chronopost a flanché. C'est pourquoi j'ai rouvert La Débâcle. Curieuse idée ? Il faut l'imputer à Henry James, encore lui : dans le texte de critique qu'il a consacré à Zola (dans Du roman considéré comme un des beaux-arts, où il est aussi question de Maupassant, de Balzac et de D'Annunzio), il fait un grand éloge de ce 19ème Rougon-Macquart, dont je conservais, moi, un souvenir fort piètre (lecture devant remonter à 30 ou 35 ans) ; cela valait donc la peine d'y retourner voir. Et puis, je n'ai plus si souvent l'occasion de me promener un peu dans Sedan.


Mercredi 22 juillet

Huit heures. – La fièvre monte à El Pao, comme dirait l'autre vieil Espagnol mort : Adeline et ses deux enfants débarqueront à Roissy dans quatre jours et, dans cette perspective, Catherine est en train de se transformer en une pile électrique intéressante à observer. Cela a justifié son envie d'un petit apéritif ce soir ; à quoi, on s'en doute, je ne me suis nullement opposé.

– Coup de téléphone de ma mère il y a une demi-heure. Pour prendre de nos nouvelles. Sans doute parce qu'elle avait un vague coup de cafard, pour une raison qu'on ne connaîtra jamais, et qui n'a sans doute pas grande importance en elle-même. (Plutôt que d'une raison, laquelle est évidemment connue, il vaudrait mieux parler de “déclencheur”.) Cela m'a fait penser que j'ai tout à fait oublié de l'appeler le 13 juillet, comme je m'étais promis de le faire, puisque ç'aurait dû être ses “noces de diamant” avec mon père, et que ce jour a dû être un peu difficile à passer : les fils sont très souvent en dessous de tout, même quand ils croient être attentionnés. Après ça, j'ai bonne mine d'avoir daté la fin de Paludes de ce même 13 juillet : esbroufe d'écrivain à la manque.

– Livre remarquable que cette Débâcle. Goncourt et Daudet pouvaient bien dauber Zola tant qu'ils voulaient : il les écrase de sa puissance. Et puis, évidemment, il y a, pour moi, ce plaisir de retrouver toute la région de Sedan, et la ville même, passées par le double filtre du roman et du temps.


Vendredi 24 juillet

Sept heures et demie. – Ayant appelé Paludes le précédent roman, pour n'en pas dévoiler tout de suite le titre, je vais nommer Pot-Bouille le prochain, auquel je ne fais que penser depuis quelques jours ; parce que l'idée est, au départ, la même : dresser un immeuble (deux, dans mon cas : un “sur rue”, un second “fond de cour”) et observer les gens qui y vivent. Quelque chose en trois actes classiques : exposition – drame – résolution. L'affaire serait reliée – mais très lointainement – au roman précédent, dans la mesure où il se déroulerait dans la même ville (imaginaire) que lui, et même dans la rue qui m'a le plus servi et que j'utiliserais pour le titre (rue des Juifs, nom de celle où habitait ma “nourrice” à Châlons-sur-Marne, à la toute fin des années cinquante). Je pense que nous serions environ huit à dix ans plus tard que Paludes. L'idée m'excite beaucoup, mais je me rends compte que je vais devoir procéder différemment que pour Paludes ; c'est-à-dire qu'il va être indispensable, après avoir défini les personnages, au moins les principaux, bâtir un synopsis rigoureux, précis, détaillé, etc. Quitte à le modifier, évidemment, en fonction de ce qui se passera au moment de l'écriture.

(Quand je disais, plus haut, “auquel je ne fais que penser”, formule ambiguë, il fallait entendre que j'y pense à peu près du matin au soir, et non pas que je me borne à cela : j'ai déjà pris un certain nombre de notes.)

– Je pense que, lundi, quand je vais me retrouver seul ici pour huit jours, je vais ouvrir un nouveau blog, que je vais appeler Pot-Bouille, afin d'y consigner ce qui doit l'être. Je sais que c'est stupide, ou puéril, mais c'est ainsi : créer un blog (auquel nul n'a accès) me donne l'impression que l'affaire est sérieuse.

– Je vais, demain matin, revenir à James et commencer ses Ambassadeurs.


Samedi 25 juillet

Sept heures et demie. – Demain matin, Catherine partira d'ici vers cinq heures, pour aller chercher Adeline et ses deux enfants à Roissy ; ils seront ici entre neuf heures et demie et dix heures (sauf retard de leur avion), ce qui me laissera le temps de balayer les mouches mortes du salon et de ramasser les merdes de Bergotte (farcies de noyaux de cerise) dans le jardin. Ensuite, je n'aurai plus qu'à attendre le lendemain matin, quand tout ce petit monde partira pour chez Élodie, me laissant dans le silence et en confrontation paisible avec les deux chats et le chien, pour une semaine. Semaine que je compte mettre à profit pour réaliser le livre “Blurb” de mon journal 2014, que ma mère m'a réclamé la dernière fois que nous l'avons vue. Car il y a au moins, sur cette terre, une personne qui, non seulement lit ce que je puis écrire, mais en plus réclame la suite.

– J'ai lu deux pages des Ambassadeurs de James, pour m'apercevoir que je n'avais nullement envie de ça. Je l'ai donc reposé (le livre), pour reprendre les Mémoires de Viel Castel, à peine commencés : me retrouver sous le Second Empire, après La Débâcle et le Journal des Goncourt m'a fait bien plaisir ; l'impression de revenir chez soi.

– En plus de mes blurberies, je voudrais commencer à travailler un peu sur le futur et hypothétique Pot-Bouille ; c'est d'ailleurs dans cette optique que j'ai, dès hier, créé le blog qui lui est dédié ; et qui, pour l'instant, est vide.


Mardi 28 juillet

Six heures. – Leur avion ayant eu, dès avant le départ de Québec, quatre heures de retard, Adeline et ses deux enfants ne sont finalement arrivés ici qu'en fin de matinée. Et sont repartis pour chez Élodie hier matin, conduits par Catherine. Me voilà donc “seul et abandonné” jusqu'à lundi prochain. J'ai été, hier soir, fort raisonnable. Tenant absolument à voir les Scènes de la vie conjugales de Bergman, qui passaient sur Arte, je ne me suis mis à l'apéritif que passé sept heures (au lieu de six, ainsi que le veut la loi non écrite de cette maison). J'y ai mis fin une heure plus tard pour manger, si bien que, venue l'heure du film, je me sentais tout à fait en forme. Hélas, l'œuvre durant près de trois heures, il m'a fallu admettre que j'avais présumé de mes forces et, au bout de deux heures, j'ai dû déclarer forfait et aller me coucher.

J'étais, ce matin, et de façon peu compréhensible, debout à six heures, dans une maison très froide, puisque j'avais commis la sottise de laisser la porte ouverte pour les bestioles. Ayant vu que ce temps de glaciaire allait durer jusqu'à vendredi (au moins), je suis allé remettre la chaudière en mode “hiver” afin de pouvoir rallumer les radiateurs. Sinon, pour occuper mes journées – où je n'ai que peu de goût pour la lecture –, je m'occupe à faire un livre “Blurb” de mon journal de l'année dernière, dans la mesure où, à notre dernière rencontre, ma mère me l'a plus ou moins réclamé. Il s'intitulera Camp retranché, par allusion à En territoire ennemi. Le problème est que tout sera fini probablement demain soir ; et qu'il me restera encore quatre jours de solitude après cela. Du coup, j'en viens à accueillir comme des bénédictions les articles que FD m'envoie à faire, et qui m'occupent toujours une heure ou deux dans le début de l'après-midi.

– J'ai commencé ce matin Les Corps tranquilles de Jacques Laurent : rien à en dire pour le moment.


Jeudi 30 juillet

Huit heures vingt (du matin). – Que ce journal ait tendance à raccourcir au fil du temps, j'en ai eu la preuve indubitable hier, en mettant la dernière main au livre “Blurb” contenant celui de 2014 : il n'atteint même pas les 300 pages, alors que ceux des années précédentes en comptaient cent de plus. En revanche, il n'est pas certain – je n'ai pas vérifié – que j'aie travaillé pour celui-ci avec le même caractère et dans le même corps que pour les précédents. Mais enfin, cela ne suffirait pas à justifier cet écart de plus de cent pages.

– Le roman de Laurent est séduisant par de nombreux côtés, son humour assez grinçant notamment,  et agaçant par d'autres, quelques “morceaux de bravoure” en particulier. Cela ne m'a pas empêché de commander les tomes deux et trois hier.

– La journée d'hier, justement, s'est déroulée sans m'en apercevoir ou presque, bien que FD ait tout à fait oublié mon existence. J'ai donc terminé Camp retranché, y compris ses petites annexes : choix de la couleur de couverture, composition de celle-ci, choix de la phrase à placer en 4ème, établissement de la table des matières et, innovation pour ce volume, installation d'une page “du même auteur”. J'ai dédié le volume à Michel Desgranges, ce qui était bien le moins, puisqu'il y est souvent question, au moins les six premiers mois, d'En territoire ennemi, et que ce livre n'aurait eu aucune chance d'exister sans lui.

J'ai aussi, dans un genre plus prosaïque – et même terre à terre au sens le plus premier de l'expression –, arrosé les différents carrés du mini-jardin de Catherine et ramassé les merdes éparses de Bergotte, puisque c'est aujourd'hui que “passent les poubelles”, expression fort savoureuse, pour peur peu qu'on se mette à la regarder en face. Sur ce, satisfaction des divers devoirs accomplis, je me suis offert un apéritif tout ce qu'il y a de plus raisonnable, avant de sandwicher debout dans la cuisine puis d'aller regarder un film d'horreur avec Ethan Hawke, Sinister, qui ne brillait pas par l'originalité de son scénario (un écrivain s'installe avec sa famille dans une maison dont les précédents occupants ont fini pendu à la grosse branche du cerisier…), mais n'était pas non plus assez mauvais pour que j'en fasse l'un de ces billets de blog amusants dont je suis coutumier. Il était d'ailleurs assez réussi, ce film, dans son genre rebattu.

Clou de la journée : j'ai même pensé à souhaiter son anniversaire à Catherine qui, à Roz-Landrieux, chez Élodie, a dû profiter de la date pour s'offrir une petite fête avec ses deux filles et deux petits-enfants : j'en saurai sans doute davantage tout à l'heure.

Pour ce qui concerne aujourd'hui, je suppose que mes Puissances tutélaires vont faire appel à mes talents professionnels en fin de matinée. Et puis, je crois que je ne résisterai pas à l'envie de m'offrir un lecture supplémentaire de Paludes, afin de lui lisser les dernières plumes. Parallèlement, j'ai commencé à prendre quelques notes pour Pot-Bouille, en me concentrant sur les personnages ; car je crois que c'est par eux que tout doit commencer.


Vendredi 31 juillet

Midi. – J'ai été bien inspiré, hier, de me lancer dans la relecture de Paludes. J'y trouve quantité de petites corrections à faire, certes de détail, que personne sans doute n'aurait vues, mais qui, moi, si je les avais découvertes plus tard, dans le volume imprimé, m'auraient fait, écume aux lèvres, me rouler par terre de désespoir impuissant. C'est, par exemple, la statue du général des Courtils, qui porte bicorne au chapitre 3 et se retrouve avec un casque au 6 ; ou bien le chien qui se couche sur le lino, dans le chapitre 7, alors que la pièce était carrelée à la fin du 1. Sans parler des répétitions, peu nombreuses, certes, mais qui me sautent au visage avec une force qui me fait me demander comment elles ont pu m'échapper aux lectures précédentes. Bref, je ne perds pas mon temps. Ce qui aurait tendance à m'inquiéter un peu, en revanche, c'est qu'à chaque nouvelle lecture, je trouve ce roman un peu meilleur qu'à celle qui l'a précédée ; alors qu'il me paraîtrait plus logique que ce fût l'inverse. N'importe : si je me relis encore deux ou trois fois, je vais finir par me conférer du génie.

Toujours à propos de Paludes, j'ai reçu ce matin un mail de Mme Noirot, la “patronne” des Belles Lettres, dans lequel elle me demandait à quelle heure il m'arrangerait qu'elle me téléphonât lundi prochain. Cette demande semblerait induire qu'elle a lu le roman, ou au moins parcouru suffisamment pour s'en faire une idée. Comme je serai encore seul lundi prochain dans cette maison, j'espère qu'elle m'appellera assez tôt dans la journée ; sinon, je ne vais pas oser m'éloigner du téléphone une seconde, même pour prendre ma douche. D'un autre côté, comme précisément je serai seul, quelle importance si je reste sale ?

– Hier, mes bien-aimés chefs ont effectivement fait appel à mes services, mais à quatre heures et demie de l'après-midi. Si bien que j'ai attendu ce matin pour écrire et leur expédier les six mille signes qu'ils espéraient de moi. J'ai failli attendre quelques heures pour l'envoi, de façon à les dissuader de me demander un nouveau travail aujourd'hui. Mais d'une part cela ne les aurait pas forcément dissuadés, et d'autre part j'ai trouvé la manœuvre tout de même un peu trop puérile pour mon grand âge. De toute façon, la relecture de Paludes sera terminée ce soir et, par le fait, je n'aurai rien de particulier à faire durant tout le week-end ; donc, pourquoi pas un article ou deux pour FD ?

– Je pense n'avoir pas noté que, depuis lundi, je ne m'autorise que des apéritifs de première communiante, buvant même moins et moins longtemps que quand Catherine est là pour partager ce moment. Si bien que je puis, ensuite, regarder la télévision, et même, comme hier soir, supporter sans mollir deux heures de Desplechin (Jimmy B., avec Benicio del Toro et Matthieu Amalric : pas mal du tout, bien qu'un chouïa austère). Et, le lendemain, je m'éveille avec la fraîcheur d'une rose ronsardienne.

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