mercredi 30 mars 2016

Février 2016










POST-PARTUM









Lundi 1er février

Midi et demie. – Comme je l'avais prévu, et m'en amusais fort, le mois dernier – c'est-à-dire avant-hier : se reporter au journal précédent –, l'annonce faite par Marcel Meyer sur la fontaine des In-nocents (je la mets en lien : ainsi, dans deux mois, à parution, chacun pourra constater par soi-même que je ne suis nullement paranoïaque ou mythomane), à propos de la parution du Chef-d'œuvre n'a pas suscité le moindre commentaire. J'en suis tout de même un peu frustré : j'aurais bien vu un ou deux petits éjaculats vipérins, de la part de tel ou tel. Enfin, ne demandons pas la lune : ce silence absolu est déjà une fort belle chose.


Mardi 2 février

Sept heures et quart. – Depuis hier, dans le sillage de Flaubert, je me colle des ventrées d'Orient (pour parler comme lui), puisque j'étais en plein dans son voyage en Égypte, Syrie, Palestine, et Turquie. Nous sommes rentrés sagement à Croisset vers six heures et avons commencé à écrire Madame Bovary peu avant que Catherine ne sonne l'appel à table.

– Je ne sais si se sont (très joli, ce “si ce sont” : bravo, mon cher !) les stupidités péremptoires et tombant en rafales que je puis lire sur certains blogs – les commentaires de celui de Sarkofrance en particulier –, mais je comprends de moins en moins comment on peut se passionner pour la politique ou, pour mieux dire, la tambouille politicienne, le frichti électoral. Par rapport aux enjeux – qu'on les juge dramatiques ou non – que je crois entrevoir, c'est aussi dérisoire que les fameuses discussions byzantines sur le sexe des anges. J'en vois de particulièrement hébétés, qui placent tous leurs espoirs dans une hypothétique sixième République et l'appellent de leur vœux avec la même ferveur que les Hébreux les blancs ruisseaux de Chanaan. Nous en sommes à nous chamailler pour savoir de quelle couleur il conviendrait de repeindre les bastingages du Titanic.


Mercredi 3 février

Sept heures dix. – Douze mille signes sur le “destin brisé” de Brigitte Bardot, une femme que je continue de beaucoup aimer, notamment pour la manière qu'elle a de se foutre des cris d'orfraie de nos chaisières post-modernes et de ne pas leur envoyer dire. En voilà une qui a été et reste authentiquement libre, et qui n'a pas eu besoin de s'abriter derrière les légions féministes pour l'être.


Jeudi 4 février

Midi. –  Appel, tout à l'heure, de Dany-des-Belles-Lettres, pour m'informer qu'un article du Figaro littéraire d'aujourd'hui signale l'existence du Chef-d'œuvre, dans le corps d'un article thématique consacré aux écrivains qui deviennent personnages de romans. C'est moins bien qu'un article, évidemment, mais c'est un peu mieux que le silence complet. Après tout, il n'est peut-être pas déraisonnable de penser que mes confrères qui s'occupent, au sein de leurs diverses rédactions, de romans lisent le Figaro littéraire ; auquel cas, un ou deux d'entre eux vont peut-être (que de peut-être !) se souvenir qu'ils ont le mien sous le coude gauche depuis trois semaines.

D'autre part, je découvre à l'instant, le chaleureux commentaire qu'a laissé Woland sur le site d'Amazon ; le voici : « Didier Goux réussit ici une chose rare dans la littérature contemporaine française : parler de la société sans se regarder le nombril. Ce roman qui se déroule intégralement dans une ville de province avec des personnages tous représentatifs de leur époque raconte pourtant quelque chose. Ce n'est pas qu'une analyse ou une moquerie, c'est un vrai roman. Il est terrible d'en être arrivé à un point où on s'enthousiasme de lire une histoire qui n'est que ça : une histoire. L'auteur ne nous fait pas la leçon, il ne “tape pas des thèses” il raconte et il raconte bien. La maîtrise du français est telle que de nombreux passages du bouquin rappellent plus Blondin que Houellebecq. L'humour est omniprésent malgré un fond qui n'est pas d'une gaieté folle. Si vous hésitez entre ce livre et et un autre qui vient de paraitre, prenez celui-là, il est mieux. »

Enfin, le blogueur suisse (tout du moins, je me suis mis dans l'idée qu'il l'était, suisse, puisqu'il réside dans ce pays…) publie lui un assez long billet me concernant. (Si tout le monde se met à parler de ce roman et que je me tiens à l'idée première, celle de recopier ici tout ce qui s'en dit, ce journal va vite devenir interminable et assez ennuyeux, je le crains.) Enfin, voici :

"Le Chef-d'oeuvre de Michel Houellebecq" doit être le premier roman qui paraît sous le vrai nom de son auteur, Didier Goux, qui a derrière lui une longue et discrète carrière d'"écrivain en bâtiment", de diariste et de blogueur (cf. "En territoire ennemi"). Pour le coup, l'auteur conduit ses lecteurs du côté d'une petite ville nommée Montcosson, qui pourrait être Orléans, sur le chemin d'une poignée de personnages attachants, chacun à sa manière.

L'auteur a le chic pour créer des personnages divers, susceptibles de se rapprocher au gré du seul hasard des circonstances. Evremont fait ainsi figure de patriarche un brin misanthrope, une impression renforcée notamment par le fait que c'est le seul personnage dont personne ne connaît le prénom. Réciproquement, de Jonathan, 23 ans, on ne saura que le prénom, ce qui renvoie l'image d'une jeunesse caractérisée par l'incomplétude et l'immaturité. L'auteur suit encore les figures de Charlie et de Tosca, adolescents qui semblent avoir la tête sur les épaules et font ensemble leurs gammes amoureuses, observées avec tendresse. Un peu plus loin, enfin, se promènent Valérie, et surtout Georges-Alain, un grand Noir aux airs de philosophe roublard. L'auteur construit finement ces personnages, de manière à mettre en avant différentes générations (ados, jeunes adultes, homme d'âge mûr, personnages secondaires âgés), avec leurs aspirations propres.

Sous la plume de l'auteur, l'onomastique est un régal permanent, d'autant plus pour ceux qui le connaissent un peu. Il est aisé de faire des jeux de mots sur des noms de localité comme Montcosson (mon cochon!) ou Bouzon (...!). Plus astucieux, on sourira au vrai prénom de Charlie, Mohammed-Charles, dûment explicité, ou à celui de Tosca, qui a aussi son histoire, où l'opéra a une bonne place. On imagine volontiers, aussi, qu'Usseil est un nom de village qui emprunte au patronyme de Rémi Usseil; dans le même ordre d'idées, on découvre une rue Nicolas-Jégou (p. 55), bel hommage à un blogueur distingué. Quant à Evremont, écrivain anonyme comme l'a été Didier Goux, son nom rappelle celui de Charles de Saint-Evremond, moraliste et critique français - commentateur notamment de ce genre musical qu'on appelle justement l'opéra. Enfin, les chiens mentionnés dans "Le Chef-d'oeuvre de Michel Houellebecq" portent les noms de ceux de l'auteur.

La petite ville de Montcosson permet à l'écrivain d'évoquer les petits et grands travers de notre société, de les refléter comme un miroir à peine déformant - l'action se passe certes en France profonde, mais elle est globalement transposable dans d'autres sociétés de notre bon vieil Occident. Le romancier adopte un regard en coin, son ironie perçante invite à sourire voire à rire face aux aspects dérisoires de certaines choses qui nous entourent: les manifs prétextes à se rencontrer (comme cette manifestation contre le staphylocoque doré, comme si l'on pouvait être pour), les animations urbaines clownesques, les acronymes... Les travers verbaux de notre époque, quant à eux, sont immanquablement marqués en italiques. Derrière la dérision, l'auteur laisse percer la nostalgie d'un temps où la vie avait plus de poids, de gravité - ce que suggère, entre autres, la généalogie d'Evremont.

Et puis, il y a un je-ne-sais-quoi d'accrocheur dans "Le Chef-d'oeuvre de Michel Houellebecq", qui fait qu'on dévore ce roman, malgré une mise en page serrée. L'auteur sait donner au lecteur l'envie d'en savoir plus, autour du fil rouge que représente Michel Houellebecq - qui fait une apparition en fin de roman, en manière d'apothéose, et dont l'auteur restitue de manière crédible le caractère désabusé qu'on lui prête - même si, de façon surprenante, il semble fort accessible à Jonathan, figure de tous les excès et de tous les culots. Et puis, les petits verres descendent tout seuls dans le gosier de certains personnages - jusqu'à ce que quelque chose advienne. Encore une fois, le lecteur veut savoir...

... cela, jusqu'à une fin ouverte qui laisse un certain nombre de questions en suspens, sur l'air du "Que vont-ils devenir?" Mais peu importe, au fond: l'auteur propose avec "Le Chef d'oeuvre de Michel Houellebecq" un roman en forme de tranche de vie, avec un début et une fin qui ne correspondent en rien au schéma classique et convenu qui va du noeud au dénouement de l'intrigue. Cette tranche de vie au contraire est balisée par le rapprochement fugace d'une poignée de personnages que tout sépare... et que la vie, ou la mort, finira par séparer effectivement après les avoir rapprochés brièvement.

Je crois que ce sera tout pour ce matin. Ah, non : Dany m'a aussi parlé d'un article qui devrait paraître prochainement dans L'Indépendant, le quotidien de Perpignan, et probablement aussi dans Causeur, si j'ai bien compris sous la plume de Daoud Boughezala, qui avait déjà, il y a deux ans, écrit sur En territoire ennemi.


Vendredi 5 février

Sept heures et quart. – J'ai commencé, hier, presque par hasard, à mettre en forme le livre Blurb de mon journal 2015, que ne manquerait pas de me réclamer ma mère si jamais je tardais un peu trop. Je lui ai déjà fourré janvier et février dans le bec. Il devrait s'appeler – je crois l'avoir déjà noté ici je ne sais plus quand – Ma vie est un Chef-d'œuvre.


Samedi 6 février

Trois heures et demie. – Je viens de recevoir, par mail, la première critique “négative” du Chef-d'œuvre. J'ai mis le mot entre guillemets car, en fait, je ne parviens pas à la trouver vraiment négative, même si je sens bien que l'intention y était chez la dame qui a pris la peine de me l'envoyer – dame dont le nom m'est familier, mais sans que je sois capable d'être plus précis. Enfin, la voici, suivie de la réponse que je lui ai faite aussitôt :

Monsieur,

J’ai lu votre roman, et je voulais vous dire mes impressions. Ne sachant pas où le faire, je vous envoie ceci :

On comprend bien que les personnages sont volontairement directement tirés des romans de Houellebecq. En ce sens, ils sont tous plus désespérants les uns que les autres. L’un des héros, Jonathan, laid à en être vaguement répugnant, engloutit sa libido dans la crème des éclairs au chocolat et noie son refus de l’invasion en cours dans un racisme grossier. Le grand Noir, évidemment bête de sexe, est roublard et profiteur. Les femmes sont toutes construites (chacune dans son genre), sur le même modèle psychologique : elles règnent en tyran sur leur petit monde et régentent d’une main de fer leur mari émasculé qui file droit. Même la charmante Tosca porte en elle, encore en germe, ce moche destin. Et on sait que le gentil Charlie, fou amoureux de sa belle, intelligent et inculte, est promis à la force dévirilisante de la jeune fille. Quant à Evremont, misanthrope revenu de tout, il n’aime que les livres, toujours moins nombreux autour de lui, et peut-être aussi son chien, va savoir. On peut imaginer un moment que lui, au moins, aura des couilles et une colonne vertébrale. Mais pas du tout. Ce poisson froid, ni pour ni contre, bien au contraire, qui vit à moins de 50 ans comme s’il en avait plus de 80, ne sait rien faire d’autre que fuir, faire défaut, et laisser tomber les gens qui ont compté pour lui et pour qui il a compté (son grand-oncle, la jeune fille à qui il n’a jamais su déclarer son amour, sa mère avec qui il n’a pas été fichu de se rabibocher avant qu'elle meure, son vieux père...). Les seuls qui échappent un peu à cet univers totalement bouché et que toute transcendance a déserté, sont l’épicier arabe, qui réussit à se soustraire parfois à la férule de sa femme et de sa religion en allant boire des coups avec son ami Khader ; et les deux lesbiennes qui militent (bien vu !) au FN.

Au fond, le seul personnage véritablement humain, dans tous les sens du terme, de ce roman, est Michel Houellebecq lui-même.

On a du mal à s’extirper de la mélasse de cette ville sirupeuse, où l’injonction au bonheur finit par tuer.

Je suis bien aise et soulagée d’être sortie de ce monde plombé et plombant. 

Bien à vous,

 
Madame,

Contrairement à ce que vous pensez peut-être, votre critique de mon roman m'intéresse beaucoup et me plaît presque autant ; ne serait-ce que parce que je ne m'étais pas rendu compte, en l'écrivant et le relisant, que l'on pourrait en avoir une vision aussi “noire” – noire et pas du tout fausse, ce qui, évidemment, m'amène à revoir ce livre différemment de ce que j'avais fait jusqu'à présent, c'est-à-dire, partiellement, avec vos yeux à vous. Et, même si ce n'est pas sensé en être un, je prends pour un compliment le fait qu'on puisse avoir du mal à s'extirper de Montcosson, ainsi que votre soulagement à en être sorti.

Pourtant, j'ai beau faire, je ne parviens pas à trouver ces personnages “désespérants”. Mais mon indulgence envers eux est sans doute trop grande…

Merci de m'avoir lu, bien à vous,

– En dehors de cet échange, pas mécontent de ma matinée, puisque je me suis quasiment débarrassé de Chantal Nobel entre dix heures et demie et midi (il me reste mille signes à écrire, ce que je ferais mieux de faire tout de suite, plutôt que de m'occuper de mon fan-club romanesque…), après avoir vidé le lave-vaisselle, occupation qui peut sembler triviale mais qui ne doit pas pour autant être négligée.


Dimanche 7 février

Sept heures dix. – Le blogueur Fredi Maque a publié avant-hier un texte à propos du Chef-d'œuvre, dont il venait de terminer la lecture. Le voici :

« Vers la fin j'ai levé le pied, y suis allé moins vite comme si je pressentais le drame final. Je lisais quelques pages et refermais le livre, peu pressé d'en finir avec lui, de laisser ses personnages à leurs vies banales, un peu minables, dans cette ville de Montcosson où elles s'écoulent comme son fleuve à l'ombre des vieilles ruelles et de la cathédrale qui en ont vu d'autres. Il faut dire que l'auteur s'y entend pour nous les rendre attachants, si pleins d'une humanité ordinaire, qu'il y met toute sa propre sensibilité.
Je pressentais le drame...ne le savais-tu pas que la gourmandise est un vilain défaut ? Crétin ! Tu auras désormais l'éternité pour méditer cette maxime ! Mais enfin ? Ne le savais-tu pas davantage que tout fini par s'arranger ? Cette plainte aurait fini "classé sans suite", crois-moi, et tu l'aurais retrouvée ta Valérie...Imbécile !
Mais la vie est fragile, nos existences ne tiennent qu'à un fil bien ténu, et pour quelques joies aussi éphémères que des bulles de savon, elle nous en fait voir de toutes les couleurs avec une préférence pour le noir, la mort ou l'inévitable solitude. "Le Chef d'oeuvre de Michel Houellebecq" est bien un roman noir, (plus Simenon que Houellebecq) même si l'on peut compter sur Tosca et Charlie pour mettre, avec l'ardeur de leur jeunesse, un peu d'espoir et de lumière, de croyance en cette vie sans cesse renouvelée, à Montcosson comme partout, depuis la nuit des temps pour le meilleur et plus souvent le pire.
Partir. Quitter la ville. Les laisser vivre. Surtout ne pas leur dire que nous ne sommes, en la parcourant cette vie, que des chiens errants très vite hantés par nos souvenirs, déchirés, abandonnés.
Voila, j'ai refermé le livre, l'ai rangé dans la bibliothèque (où il voisine avec Houellebecq). Son drame à lui, c'est qu'il ne peut avoir de suite, tout juste peut-on espérer que son auteur lui fasse un jour un petit frère.
Les romans quand ils sont bons ont l'obligation de se reproduire. »

En le relisant, je m'aperçois que son début peut sembler abrupt. C'est que ce même blogueur avait déjà publié, quelques jours plus tôt, un premier billet à propos de mon roman, alors qu'il venait d'en lire environ la moitié. Quelques jours plus tôt… mais encore en janvier. Pour prendre connaissance de ce premier billet, on se reportera donc au journal du mois dernier.

– Sinon, en plus d'avoir bouclé l'article Chantal Nobel commencé hier matin, j'ai bien avancé dans le livre Blurb. Rappelons qu'il s'agit de mon journal de l'année 2015, qui s'intitulera : Ma vie est un Chef-d'œuvre. En le relisant au fur et à mesure du transbordement des paragraphes, je me disais que ma mère allait avoir plus de chance que mes lecteurs habituels, dans la mesure où, jusqu'en juillet, ce journal parle beaucoup du roman en train de s'écrire, roman que, contrairement aux autres, elle aura lu avant. Si je ne craignais pas de passer pour fat, je recommanderais volontiers à ceux qui ont lu (et aimé…) le roman, de reprendre ces six mois-là du journal. Bien entendu je n'en ferai rien. (Sauf en ce moment, précisément, ce qui est la manière la plus faux-derchienne de le faire…)


Lundi 8 février

Sept heures dix. –  J'avais bien hâte de recevoir Un train d'enfer, le journal 2004 – 2005 de Michel Ciry, écrivain totalement inconnu de moi – bien qu'il soit presque centenaire – et à propos duquel j'avais été très affriandé par Mme Grammaticopoulos, commentatrice assidue de mon blog. Il est arrivé ce matin, par porteur spécial, et peu s'en fallut que celui-ci me trouvât encore au lit, tant il fut matinal dans sa livraison. J'ouvris aussitôt le volume. Ma déception fut à la hauteur de mon attente. Michel Ciry écrit dans une langue qui m'est insupportable, avec ses phrases interminables et molles, qui m'ont tout de suite fait penser à autant de vers solitaires : quelque chose de blanchâtre, sans forme ni consistance, et qui a toujours quelques anneaux supplémentaires à vous infliger quand vous croyez en voir le bout. Parvenu à ce bout, d'ailleurs, il n'est pas rare que vous ayez tout à fait perdu de vue ce qui tentait de se dire à son début. À la page 76 de ce journal, l'auteur dit qu'il s'est mis aux phrases longues en une sorte d'hommage à Proust ; je crains qu'il ne s'illusionne gravement : autant la phrase de Proust est solide jusque dans ses moindres parties, étagée, structurée, construite en plans rigoureux, à la fois harmonieux et distincts, autant la sienne est… est ce que je viens d'en dire. De plus, c'est une phrase surencombrées d'adjectifs et surtout d'adverbes, lesquels ne sont jamais placés à l'endroit où on les attendrait : ce pourrait être une rupture de ton bienvenue, ça n'aboutit qu'à une sorte de pose, d'affectation de style. Sans même parler de cette propension irritante à créer de hideux substantifs à partir de l'adjectif qui leur correspond : à propos d'une maladie qui s'étend, il évoque sa tentacularité… Parlant d'un château qu'il vient de visiter (c'est moi qui souligne) : « Digne d'entourer un aussi bel édifice, le parc est d'une inventive impeccabilité qui autorise à penser qu'une ordonnance végétale d'une pareille étendue et bénéficiant apparemment de tels soins ne peut résulter que de l'active compétence d'un bataillon de jardiniers. » On croit entendre les rugissements de Flaubert et les ricanements de Léautaud.  Et tout cela pour exprimer un pauvre lieu commun, qu'en langage “Bidochon” on traduirait ainsi : « Ben dis donc, ça doit pas être rien d'entretien, un parc comme ça ! Doit en falloir de la main-d'œuvre… »

Nous sommes le 5 novembre 2004, et c'est Vaux-le-Vicomte que Ciry visite. Il en vient donc à parler du surintendant Fouquet. Voici ce qu'il en dit (je jure que des phrases comme la seconde des deux que je vais recopier se comptent par centaines dans le volume) : « En faisant les honneurs de cette royale demeure à un souverain qui n'avait pas les moyens de s'offrir son équivalence, Fouquet scella sa disgrâce en signant son arrêt de mort. De s'être permis de confondre la fortune de la couronne avec ses propres ressources, et partant de s'être autorisé à effrontément puiser dans les caisses de l'État pour faire face aux astronomiques dépenses occasionnées par la réalisation d'une aussi fastueuse résidence privée (cela à grand renfort d'ingénieuses magouilles commises au plus haut niveau, ainsi qu'impunément jusqu'à ce que déborde la coupe d'un amour-propre royal blessé au plus vif, ne pouvait, à plus ou moins longue échéance, qu'entraîner un imbroglio financier voué à un inévitable scandale qui conduisit tout droit et vite ce grand argentier du royaume, que fit se perdre un ruineux penchant pour la magnificence, devant une Cour de justice qui ne lui fit pas de quartier au plan des griefs, profitant d'une telle aubaine pour régler des comptes soupçonnables d'avoir été plus ou moins inavouables sous couvert de punir exemplairement un coupable dont tant de gens jalousaient l'insolente réussite. » J'en avais retenu une autre, encore mieux, mais elle serait décidément trop longue à retranscrire. Je voulais, au départ, faire de cela un billet sur le blog. Puis, je me suis dit qu'il ne servait à rien d'accabler un très vieil homme, dont les lecteurs ne devaient pas tellement se bousculer. C'est pourquoi je me contente de ce journal, plus confidentiel ; car il fallait tout de même que je trouve un exutoire à mon agacement. Étant rendu à mi-chemin des 450 pages du livre (mais en sautant des paragraphes entiers et en lisant les autres très en diagonale), je le terminerai tout de même demain : critique, d'accord, mais pas mufle.

– J'ai tout de même pris le temps d'entrer le mois de septembre (2015) dans le livre Blurb. Et de parcourir la documentation que j'ai fait venir à propos de Marilyn Monroe, dont je dois m'occuper demain. 


Mercredi 10 février

Deux heures. – Amusante et surtout originale critique que celle que vient de publier Jacques Étienne sur son blog. La voici :

« Le quadragénaire entra dans la librairie J'aime l'ire *. Il avait ce regard un rien désabusé de qui a essuyé bien des typhons et fréquenté les bordels de Ouagadougou.

Ne voyant personne, de la prothèse métallique qui remplaçait un bras perdu lors d'un adultère un peu compliqué avec une naine malgache, il frappa le comptoir afin d'attirer l'attention.

Une jeune personne apparut de derrière les rayonnages et, l'ayant salué lui demanda si elle pouvait l'aider.

Eh bien mademoiselle, j'aimerais que vous me conseillassiez un bon roman. Quelque chose de couillu, si vous avez...
Qu'entendez-vous au juste par là, s'enquit la brunette potelée qu'une coquetterie dans l’œil n'empêchait aucunement d'être appétissante comme un brugnon de Touraine (ou comme un plat de tripes à la mode de Caen, suivant les goûts) ?
Eh bien pas un de ces livres qui ne visent qu'à déclencher les rires gras à coups de plaisanteries de garçon de bains comme la Recherche ou La Guerre et la paix, quelque chose de sérieux sans être austère...
Mais encore ?
Ben, un roman avec des personnages bien campés, dont les destins s'entrecroisent sans qu'une vache soit en mal d'y retrouver son veau comme chez Dos Passos. Où l'on moquerait à l'occasion les travers de notre époque sans tomber dans le prêchi-prêcha. Où seraient évoquées les difficultés de communication inter-générationnelles. Où l'amour adolescent croiserait la solitude de l'âge mûr et la pholie** pathétique d'un jeune homme en recherche floue...
Certes, certes, mais dites m'en un peu plus : voudriez-vous de l'aventure, du sexe débridé ?
Pourquoi pas, mais pour l'instant je recherche surtout un bon roman...

S'apercevant de l'ambiguïté de sa question, Brigitte, car tel était son nom, précisa :

Je voulais dire dans le livre...
Ah oui, excusez ma bévue. Du sexe, il en faut bien un peu mais sans excès, on n'est pas de bois, hein ? Comme il faut quelques cuites héroïques, un service municipal de la clownerie et du bord de Loire. Très important, le bord de Loire, voyez Balzac. Si en plus pouvait venir se mêler aux personnages de fiction un écrivain célèbre bien déglingué dont serait peint un portrait croquignolesque, ce serait bien...
Je crois que j'ai exactement ce que vous désirez, dit l'avenante Brigitte.
Je n'en doute pas, déclara l'homme en plongeant un regard ravivé dans son généreux décolleté.

S'étant dirigée vers le rayon des romans français, Brigitte en revint avec à la main un volume couvert de rouge qu'elle posa sur le comptoir :

Je viens d'en terminer la lecture : vous y trouverez ce que vous souhaitez et tout ça dans un style léger, élégant, sans être précieux.
Le Chef-d'oeuvre de Michel Houllebecq ? J'en ai déjà lu, sur un excellent blog une magistrale critique mais elle ne concernait que l'objet-livre. Le ramage se rapporte-t-il au plumage ?
Il le surpasse, il le surpasse ! Et de loin !
Je le prends, tant votre votre jugement littéraire me paraît sûr, dit l'homme tout en découvrant les rondeurs fessières de Brigitte qui s'était un instant retournée pour décrocher un sac plastique de la liasse fixée au mur, avant de rajouter :
Tant que j'y pense : Appréciez-vous le troc ?
Le troc ?
Oui. Si vous le vouliez, je vous montrerai comme on danse en Afrique en échange de vos impressions de lecture...
Je termine à dix-neuf heures répondit une Brigitte toujours avide de parfaire ses connaissances exotiques et de parler bouquins. »

 Sept heures dix. – Sous le billet de Jacques Étienne reproduit ci-avant, j'ai laissé tout à l'heure le petit commentaire suivant : « Je suis à la fois jaloux et fort marri de n'avoir jamais eu l'idée de ce genre de critique ! À mon avis, il devrait laisser une empreinte dans notre histoire littéraire, beaucoup plus durable que le roman qui vous a servi de prétexte. » Et voici que, en commentaire de commentaire, Fredi Maque me fait une petite scène de jalousie (sous couvert d'humour, bien entendu ; mais enfin, il la fait tout de même…) sous prétexte que je n'ai laissé aucun commentaire à la suite de son propre billet sur le Chef-d'œuvre (voir plus haut, il y a deux ou trois jours). En un sens il n'a pas tort, puisque je m'étais fixé comme règle de ne pas commenter les billets qui parleraient de mon roman. Donc, j'aurais dû ne pas faire exception pour celui de Jacques, même sous la forme d'une badinerie.

– Par ailleurs, il est en train de se produire en moi, depuis quelques jours, un phénomène étrange et difficilement analysable (en tout cas par moi) : je commence à prendre plus ou moins ce roman en grippe ; au point que, sans l'avoir le moins du monde relu depuis un mois que les volumes sont arrivés ici, je le trouve de moins en moins satisfaisant, pour ne pas encore dire tout à fait mauvais. Et j'en arrive à penser que, en fait, ce serait plutôt heureux qu'il passât totalement inaperçu (ce qui a de bonnes chances d'être exaucé), tellement il me fait peu honneur. Aussitôt, bien entendu, je me dis que c'est peut-être là l'ultime ruse échafaudée par mon cerveau, pour dresser une barrière efficace entre moi et la désillusion qui se profile. Le pire est sans doute que, par une sorte de contagion, cette appréciation plus négative que je porte sur le Chef-d'œuvre (dont même le titre, désormais, m'apparaît ridicule) se met à concerner aussi le roman possiblement à venir, diminuant encore, si c'était possible, mon ardeur à m'y attaquer. En somme, je dois être la proie d'une sorte de baby blues, de déprime post partum, ce qui est bien le sommet du ridicule. Tout cela se terminerait pas une cure de sommeil dans une clinique spécialisée que je n'en serais qu'à demi surpris…


Jeudi 11 février

Sept heures. – En de matinée, Catherine et moi – mais essentiellement elle – avons finalisé mon journal 2015 et en avons commandé illico deux exemplaires à Miss Blurb : un pour nous, l'autre pour ma mère. Je l'ai également placé dans la colonne de gauche du blog, mais sans en faire l'objet de la moindre annonce. D'abord parce que, vu son titre (Ma vie est un Chef-d'œuvre), je me suis dit que des passants distraits pourraient le confondre avec le roman et commander celui-là en place de celui-ci – le plus probable étant bien sûr qu'ils n'en commandent aucun –, et ensuite pour la raison que je ne tiens pas du tout à ce que qui que ce soit l'achète. Comme si je n'en avais pas encore assez de mon propre journal, j'ai passé deux heures cet après-midi à une première relecture de celui du mois dernier, qui comportait, m'a-t-il semblé, moins de fautes en tous genres que d'ordinaire.Il devrait s'intituler Un mois très Chouette, en référence au questionnaire des Belles Lettres auquel je me suis soumis naguère, sauf si je trouve mieux à la seconde relecture.

Au même moment que nous étions plongés dans ces délicates manœuvres internétiques, se pointait l'installateur d'antennes de télévision, afin de régler la nôtre qui s'était légèrement déplacée durant la mini-tempête d'il y a quelques jours ; depuis, nous vivions sans télévision, ne nous servant de l'écran que comme support pour regarder nos disques blu-ray ; c'était si satisfaisant que, pendant quelques heures, nous avons envisagé de tout bazarder : abonnements, décodeur et antenne, pour ne plus regarder que des films enregistrés – et, de ce fait, priver l'État de notre redevance, laquelle, pour demeurer modeste, n'en est pas moins fort irritante, en ce que, par elle, nous finançons des programmes stupides dont la quasi totalité nous révulse, tant ils sont d'une vulgarité “à rebuter la Canebière”, comme disait Bernanos, qui n'avait pas peur de discriminer nos frères méridionaux.


Vendredi 12 février

Sept heures et demie. – Il y a un peu moins d'une heure, presque timidement, j'ai empoigné le petit carnet qui se trouve toujours à gauche de mon fauteuil et j'y ai noté deux idées – oh ! bien modestes… – concernant Pot-Bouille. De là à dire que je me sens prêt à m'y atteler vraiment, il y a un pas de sept lieues que je ne saurais franchir. Mais enfin, je m'efforce de me mettre dans le même état d'esprit que M. Hollande, afin de croire coûte que coûte à l'inversion de la courbe de mon propre chômage littéraire.

– J'ai oublié de noter, hier, que, dès le saut du lit, m'appuyant sur le fait que nous n'avons pas bu une goutte d'alcool depuis trois semaines (sans raison particulière d'ailleurs), je me suis précipité au laboratoire d'analyses médicales afin de m'y faire ponctionner quelques centilitres de sang, lesquels serviront aux mesures semestrielles des divers poisons qui circulent librement dans le raisiné en question. Mon espoir, assez puéril il faut en convenir, était que, après cette interminable abstinence, j'allais enfin réussir à exploser leur face aux triglycérides qui, obstinément, refusent depuis des années de redescendre en deçà du seuil maximal qui leur a été imparti par la faculté. On saura lundi matin ce qu'il en est. Si j'y suis allé dès hier, c'est que je sais fort bien que dimanche soir, en revenant de chez ma sœur, le risque de rupture du jeûne va devenir très élevé. Il fallait donc profiter de cette “fenêtre de tir”, comme aiment à écrire mes confrères plumitifs. Si le fameux taux reste malgré tout trop élevé, il ne me restera plus qu'à revoir ma copie.

– Poursuivi ma lecture des lettres de Flaubert, qui vient de s'attaquer à Carthage et se plaint encore dix fois plus qu'à l'époque de la Bovary. Ce n'est toujours pas lui qui va m'inciter à me replonger moi aussi dans un nouveau roman.


Samedi 13 février

Sept heures vingt. – En début d'après-midi, par solidarité avec Catherine qui devait se transporter dans la Case afin de s'y livrer à un peu de repassage, lequel n'avait lieu qu'à mon exclusif bénéfice, je suis revenu m'assoir devant cet ordinateur alors que je n'avais vraiment plus rien à y faire. Pour me désennuyer, j'ai ouvert l'un de mes blogs privés, intitulé Ce fier exil, dont je ne me souvenais même plus de ce qu'il pouvait bien contenir. J'y ai trouvé, entre trois ou quatre choses, le journal que j'ai tenu de novembre 2014 à février de l'année suivante, et qui ne concernait que le roman en train de s'écrire. Après relecture et correction, me disant que cela pourrait amuser les douze lecteurs du Chef-d'œuvre, je l'ai mis en ligne. Le reste du temps s'est passé d'abord à écrire dix mille signes à propos de Lino Ventura et de son association Perce-Neige, puis à lire les lettres de Flaubert ; qui, après un petit séjour d'un mois en Tunisie, en est ce soir rendu à la fin du chapitre IX (sur XV) de Salammbô, roman sur lequel il ahane et geint depuis plus de trois ans.

– Demain, journée maritimo-séquanaise, chez ma sœur et avec ma mère. Ce qui, rentrés ici, nous ouvrira le droit à un apéritif, rite auquel nous n'avons pas sacrifié depuis 22 jours, ce qui est un exploit quasiment sans précédent – d'autant plus étonnant qu'il ne fut motivé par rien du tout. Mais je m'aperçois que j'ai déjà noté la même chose hier soir. Preuve que, passé un certain âge, on peut très bien radoter à jeun.


Lundi 15 février

Sept heures dix. – La journée d'hier fut plutôt fatigante, en raison des quelque trois cents kilomètres parcourus pour nous rendre à (et revenir de) Ermenouville, où habitent ma sœur et Olivier, lesquels nous attendaient, en compagnie de ma mère, pour un déjeuner, durant lequel il fut énormément parlé, notamment de la part d'Isabelle et de Catherine (d'où le reste de la fatigue annoncée). Si bien qu'au retour, l'apéritif rituel – après une abstinence sans cause réelle de 23 jours… – tourna court, Catherine partant pour son lit dès huit heures et moi environ une heure plus tard. Aujourd'hui fut nettement plus calme. 

– Suite à une envie brusque, communiquée par Flaubert qui venait de recevoir et de lire La Légende des siècles nouvellement parue, j'ai eu envie de reprendre moi aussi un peu de Hugo. J'ai commencé par ouvrir le volume “Bouquins” qui contient cette même Légende, mais il m'a bien fallu admettre que je n'étais plus guère capable de lire des dizaines de pages d'alexandrins à la suite. Le désir de Hugo persistant, j'ai aussitôt commandé le tome contenant ses trois derniers romans – Quatrevingt-Treize, L'Homme qui rit et Les Travailleurs de la mer –, dont je me demande bien pourquoi je n'ai jamais lu aucun ; le livre est arrivé ce matin : il attendra que j'en aie terminé avec Flaubert, lequel, en ce printemps 1862, est fort occupé de la parution de Salammbô.

– Demain, écriture du dernier volet de cette cinquième série de “destins brisés” : Johnny Hallyday et Patricia Viterbo, gentil petit couple des années soixante pour lequel la documentation est maigrissime ; on fera avec.


Mardi 16 février

Sept heures et demie. – Reçu ce matin, de Dany-des-Belles-Lettres, l'article paru dimanche dans L'Indépendant, le quotidien de Perpignan, consacré au Chef-d'œuvre. Le nom de son auteur ne me dit rien du tout, mais il est manifeste qu'il me connaît bien, ou au moins mon blog. Comme il s'appelle Michel Litout et qu'il s'occupe de la rubrique des livres, j'ai d'abord cru à un pseudonyme (que je trouvais d'ailleurs un peu puéril…) ; mais Dany m'affirme qu'il s'agit de son vrai nom. Il serait donc, ce confrère dans cette situation où le nom semble avoir engendré la fonction, comme les frères Lumière ou l'abbé Oraison. Voici son article, intitulé Le vrai roman de l'écrivain en bâtiment :

« Il a l’étiquette de blogueur de droite, sarcastique et cassant. Ses billets en ont blessé plus d’un dans    la sphère des « modernœuds » comme il se plaît à les caricaturer sur son blog. Didier Goux, en plus d’une immense culture, d’un goût affirmé pour la grande littérature (Proust !) et d’une grande intelligence, s’est toujours dévalorisé en se traitant «d’écrivain en bâtiment ». Journaliste dans un hebdo pour mamies curieuses, il arrondissait ses fins de mois en pondant des romans de gare en moins de temps qu’il n’en faut pour certains des lecteurs pour arriver au chapitre 2. Les gares se désertifiant (comme à peu près tout ce qui fait la France que l’auteur regrette tant), il a cessé de publier deux romans par an. Mais cela ne lui a pas fait passer l’envie d’écrire. Et encouragé par quelques lecteurs et amis clairvoyants, il a osé se lancer dans l’élaboration d’un véritable roman.
Dans Le chef-d’œuvre de Michel Houellebecq on retrouve parfois le Goux pessimiste et fataliste sur l’évolution de la société, le Goux moqueur des modes mais aussi, et surtout, le Didier Goux, inconnu jusqu’à présent, sensible et bienveillant envers certains de ses personnages. Si l’on excepte Michel Houellebecq, la narration suit l’évolution de quatre « héros ». Le premier, Evremont, semble un portrait en creux de l’auteur, quand il vivait seul et reclus. Écrivain en bâtiment justement, il boit un peu trop et ne se nourrit que de camembert Réo. Lors d’une de ses rares sorties, à siroter un viandox à la terrasse d’un café de la petite ville de province cadre du roman, il est abordé par Jonathan. Cet étudiant en pharmacie fait partie de ces grands paranoïaques victimes consentantes de la propagande    du « Grand remplacement ». Persuadé que Noirs et Arabes sont en train d’envahir le pays, il souffre d’un racisme exacerbé qui lui attire une multitude d’ennuis.
Il est vrai que la France décrite par Didier Goux est assez angoissante. La police municipale est remplacée par des « Commandos paillasse » formés de clowns chargés de dénouer les tensions... Les syndicalistes défilent avec un badge proclamant « Je suis Jackie ». Rien a voir avec la liberté d’expression, le Jackie personnifie les « acquis sociaux ». On rit donc en lisant ces pages, preuve que l’humour de droite a encore de beaux restes.
Mais roman implique romantique. Didier Goux signe ses plus belles pages quand il raconte la rencontre puis la belle histoire entre Tosca, jeune fille libre et intelligente, et Charly, fils d’épicier arabe, débrouillard, un peu brut de décoffrage mais qui se bonifiera au contact de la jeune fille. Et alors, on découvre que contrairement à l’image qu’il donne sur son blog, Didier Goux a foi en l’avenir et en la jeunesse. Tosca et Charly, qu’on espère retrouver dans une suite, le blogueur ayant déjà annoncé son intention de récidiver dans la même veine. Le bâtiment a perdu un artisan, la littérature y a gagné un artiste. »

Flatteur, évidemment, mais sans l'outrance qui m'aurait empêché d'y croire : doublement flatteur, donc.

– Je ne suis peut-être plus écrivain en bâtiment, mais je suis encore (puisque FD n'est toujours pas vendu, par tous les boxons de l'enfer !) rédacteur en chambre ; c'est ce qui a fait que, ce matin, je me suis extirpé neuf mille et quelques signes à propos de M. Hallyday et de Mlle Viterbo, actrice sans talent particulier, morte accidentellement (noyade au cours d'un tournage) à 27 ans, en novembre 1966. Et c'en est fini de hors-série n°5 : mardi prochain, retour à Levallois, donc.


Mercredi 17 février

Dix heures et demie du matin. – Heure assez inhabituelle pour venir ici. C'est d'abord que FD s'est rappelé à mon bon souvenir pour un petit “repiquage” de dernière heure, ce qui m'a conduit devant l'ordinateur, et ensuite que j'ai trouvé, dans ma boitamel, un commentaire d'un lecteur habituel du blog, Emmanuel F, dans lequel il se livre à une rapide critique du Chef-d'œuvre, laquelle m'a paru digne de figurer ici (et m'a fait regretter que ce même Emmanuel F n'écrivît point dans quelque journal…). Donc, avant que je n'oublie :

« C'est très réussi, ce roman, j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire. Les personnages vivent vraiment, et le petit couple Charlie-Tosca est épatant. J'aime aussi le chien Charlus, avec sa résignation calme et mélancolique à ce qui advient... Votre Houellebecq est aussi très crédible, très proche de ce que ses lecteurs imaginent de son caractère et de ses réactions dans ces différentes situations.

La présence du fleuve, tour à tour inquiétante et apaisante, comme une sorte de leitmotiv mystérieux, est également très belle. Ce qui est aussi un point très fort est qu'il n'a rien de prévisible ni de manichéen : chaque personnage existe et a sa chance, si je puis dire ; ils ne sont pas stéréotypés ni au service d'une démonstration. Les ridicules de l'époque sont épinglés avec beaucoup d'humour et de justesse, mais il n'y a pas de thèse, ni de grille de lecture univoquement "réactionnaire" ; l'interprétation est beaucoup plus ouverte, comme il est logique qu'elle le soit dans un vrai roman.

Je suis un peu étonné qu'il ne suscite (pour le moment) aucun écho dans les "grands médias", malgré son titre pourtant très "accrocheur" et les nombreux thèmes abordés qui pourraient les "interpeller" : le service de presse des Belles Lettres ne manquerait-il pas un peu de dynamisme et d'efficacité ?  »

Pour ce qui est du paragraphe final, je ne pense pas qu'il faille reprocher quoi que ce soit au service de presse des Belles Lettres : je manque évidemment de points de comparaison, mais il me semble que Mme de Ribas s'acquitte fort bien de sa tâche ; même si, évidemment, de par la nature de l'éditeur qui l'emploie, elle est plus “rodée” à la promotion des livres d'histoire ou d'érudition pure qu'à celle des romans. De toute façon, j'ai pris le parti, pour ce qui concerne la non-vente qui se profile, de n'incriminer personne en dehors de moi, en me calant sur ce principe simpliste mais efficace : « Si on parle du roman c'est qu'il le mérite, si on n'en parle pas c'est qu'il ne le mérite pas. » Avec ça, me voilà tranquille.


Jeudi 18 février

Sept heures vingt. – Il me semble que, quand on a écrit et publié un roman dont on ne pense pas avoir à rougir, il serait préférable qu'il rencontre mille lecteurs, lecteurs attentifs et bienveillants, plutôt que dix mille acheteurs qui ne soient que cela. C'est une chose dont je crois être profondément persuadé, mais suis-je vraiment honnête ? Je puis en douter car, si je porte ce deuxième nombre à cent mille, je sens déjà s'effilocher la vertu qui me sert de plastron ; or, à cent mille ou à dix mille, l'alternative reste rigoureusement la même. L'effilochage peut partiellement s'expliquer si l'on envisage l'affaire sous son angle financier. Vendre dix mille exemplaires, cela signifie, en gros, des droits de vingt mille euros, c'est-à-dire rien ; je veux dire : rien de décisif, rien de fondamentalement différent des deux mille euros que rapporteraient mes éventuels mille “vrais lecteurs”. Avec cent mille acheteurs, on passe à une somme comprise entre deux cent et deux cent cinquante mille euros, c'est-à-dire qu'on effectue un vrai “saut qualitatif”, que l'on peut se permettre d'envisager des choses qui demeuraient impossibles avant ; effet que sont insuffisants à produire les vingt mille euros précédents. Seulement, disant cela, on n'a rien expliqué du tout, ni encore moins résolu cette contradiction initiale, à savoir celle du romancier qui fait passer la littérature avant l'argent… tant que l'argent se contente de couler en menus ruisseaux, mais qui risquerait bien d'envoyer promener ses beaux principes – qui, du coup, ne doivent pas en être –, si jamais les ruisseaux se faisaient rivières, voire fleuves en crue. Tout cela n'est évidemment que rêverie sans objet, puisque le Chef-d'œuvre ne trouvera jamais ses dix mille acheteurs, et sans doute pas même mille lecteurs. Mais enfin, il faut bien s'amuser un peu.

– J'ai fini tout-à-l'heure Les Travailleurs de la mer, lus au triple galop, notamment dans sa partie centrale, d'un invraisemblable ennui. J'avais oublié à quel point Hugo pouvait être pompeux, en même temps que pontifiant, souvent. Il me semble que, dans ce roman de presque vieillesse, ses défauts atteignent des proportions qu'elles n'avaient pas encore dans Notre-Dame de Paris (mais qui étaient déjà sensibles dans Les Misérables). Ce qui frappe le plus, c'est son incapacité à être vraiment romancier, c'est-à-dire à créer des personnages vivants. Pourtant, dans ce livre-ci, certains ne demanderaient qu'à vivre un peu ; mais dès qu'ils font mine de s'ébrouer, voilà l'auteur qui radine et, comme jaloux de ses prérogatives, les repousse dans les plis du rideau pour pérorer tout à son aise à l'avant-scène. Le résultat est que, non seulement ils sont ennuyeux à force de non-vie, mais ils sont en plus, et conséquemment, tout à fait incrédibles dans leurs réactions aux situations auquelles leur créateur tyrannique les contraints à s'affronter ; situations qui sont elles-mêmes souvent invraisemblables, comme l'était déjà la condamnation de Valjean au bagne pour avoir volé un quignon de pain, ou le renvoi de Fantine parce qu'elle allait avoir un enfant. Ici, dans ces Travailleurs de la mer, le “coup de théâtre” du roman, le seul, est fourni par un personnage, totalement mauvais et corrompu, cynique et avide, etc., mais qui s'est contraint à la vertu et à l'honnêteté la plus scrupuleuse durant trente ans, afin d'endormir son monde en attendant que se présente le “gros coup” : qui peut croire à une ânerie pareille ? Tout cela fait que, demain, je sens bien que je vais attaquer L'Homme qui rit un peu à reculons.


Vendredi 19 février

Sept heures vingt. – … Et, en effet, je suis entré dans le roman de Hugo sans le moindre entrain. Je n'y suis d'ailleurs entré que d'un pied, “calant” après une quarantaine de pages pour venir me réfugier dans la correspondance de Flaubert. Je referai tout de même quelques tentatives dans les jours à venir, mais j'ai l'impression que j'aurais mieux fait de consacrer les 25 ou 30 euros de ce volume à autre chose. 

– En dehors de cela, vraiment rien à noter ici, sinon que le thermostat qui déclenche et arrête la chaudière, selon la température régnant dans la maison, semble bien avoir rendu l'âme hier. Cela ne signifie nullement que nous ayons froid, puisque, au lieu de maintenir la chaudière en veille, il la fait tourner au contraire toute la journée et toute la nuit, sans aucun souci de ce que peuvent s'évertuer à lui signifier les différents thermomètres.  Mais j'imagine que tout le monde s'en moque ; moi-même, d'ailleurs… 


Samedi 20 février

Sept heures et quart. – Par quel enchaînement de circonstances, aussi stupide que néfaste, ai-je dû attendre le mois de février 2016 pour lire quelque chose de Jack London ? Et encore, sans Michel Desgranges, mon infatigable génie littéraire (qu'on ne trouve pas dans une lampe magique mais, plus généralement, dans son salon ou autour d'une table garnie de victuailles diverses), je serais encore aujourd'hui plongé dans cette dommageable ignorance. Car c'est bien lui, mon génie, qui m'a incité, la semaine dernière à lire Profession : écrivain, ensemble d'articles, de lettres, etc., de London, tournant autour de son expérience littéraire, aussi bien comme lecteur qu'en tant qu'auteur, que viennent de publier les Belles Lettres. J'ai été emballé, intéressé, amusé par la première partie du livre, celle dans laquelle London traite, avec un humour volontiers sarcastique, des “ficelles” du métier, des écueils et des bévues qui attendent l'écrivain débutant, etc. J'avoue que la suite, la partie purement critique, m'a moins convaincu. Mais ce fut suffisant pour me donner le désir de pénétrer au cœur de l'œuvre, et je commandai aussi sec Martin Eden ainsi que L'Appel de la forêt. Le second étant fort court, et racontant une histoire de chiens, c'est par lui que j'ai commencé ce matin… et fini cet après-midi : roman remarquable, où l'allégorie est renforcée par le fait que l'auteur connaît véritablement ce monde des chiens de traîneau dont il parle, que ceux-ci ne lui sont pas un simple prétexte. Catherine, quand elle l'aura lu, va l'envoyer à Gaston, son petit-fils. Mais même s'il est un enfant intelligent, éveillé et apparemment pris par le goût de la lecture, j'ai peur que ses huit ans soient encore trop peu nombreux pour lui faire aimer ce livre. Mais au fond, qu'en sais-je ? Il me semble bien me souvenir que, lorsqu'on est enfant, on n'est pas vraiment dérangé, dans les livres qu'on lit, par les parties qu'on ne comprend pas ; il y a, de ce point de vue, une sorte de fatalisme de l'enfance, période où l'on est plus ou moins habitué au fait que beaucoup de choses nous échappent, que c'est normal, qu'il n'y a pas lieu de s'en mettre martel en tête, que de toute façon on comprendra quand on sera grand. Et puis, je pense que c'est aux enfants eux-même de faire le tri dans les livres qui se présentent à eux, et certainement pas aux adultes qui les entourent et prétendent les gouverner. À peine fini celui-ci, je me suis plongé dans Martin Eden qui, dès les premières pages (les seules lues à cette heure) semble d'une toute autre facture, et pas du tout “pour enfants”. Il me semble y entendre comme un écho de Thomas Hardy, celui de Jude l'obscur. On verra si la suite de la lecture confirme cette impression – mais je crois que oui : après tout, le nom même d'Eden implique bien l'idée d'une chute.

– La journée avait pourtant fort mal commencé, en tout cas fraîchement, la chaudière mise aux arrêts de rigueur (hivernale) hier soir, pour complaire à Catherine et tenter d'éteindre ses fantasmagories d'incendie, ayant obstinément refusé de repartir ce matin. Bien entendu, comme le veut la loi non écrite mais d'airain, elle choisissait pour ce faire le samedi matin.  Eh bien, cette grosse machine orange et carrée (à peu près) en a été pour sa mauvaise humeur, car l'homme chargé de son entretien depuis déjà plusieurs années est passé dès dix heures et a eu tôt fait de la remettre dans le droit chemin de la docilité chauffagière. Les artisans, quand ils sont disponibles, ponctuels et efficaces, sont peut-être la dernière trace émergée de notre civilisation en train de couler.


Dimanche 21 février

Sept heures et demie. –  Je reçois à l'instant le commentaire d'une lectrice du Chef-d'œuvre ; comme la personne qui me le fait parvenir a titré son mail « Cela dit entre nous », je respecte son anonymat. Précisons juste qu'il s'agit de quelqu'un que je ne connais pas. Voici :

« Il m'a fallu presque une semaine pour le lire et près de 80 pages pour “rentrer dedans”. Mais après, j'étais complètement “vissée” sur le bouquin et l'ai lu pratiquement d'une traite ! Ensuite, j'ai relu le début... et alors tout est devenu clair dans ma tête, et je suis très contente de cette lecture. Je crois qu'au début je me suis noyée dans les détails ! J'ai dû rester à peu près sous l'influence de ma prof de français de seconde qui exigeait: "du précis, du concis, du raccourci"  Il y a environ 70 ans de ça ! Ça m'a redonné l'envie de lire ! »

Appréciation à la fois flatteuse et inquiétante. Car cette dame est au moins le troisième lecteur à dire qu'il a eu du mal avec les deux premiers chapitres (qui correspondent aux 80 pages indiquées). Du coup, évidemment, je m'en veux de plus en plus d'avoir été un auteur négligent, pour ne pas dire crapuleusement feignasse, et de n'avoir pas eu le courage, ayant terminé l'épilogue, de les reprendre de fond en comble, ces deux maudits. Quand je parle de paresse, je crois plutôt, en fait, qu'il s'est agi, alors, d'une sorte de peur, non seulement de ne pas parvenir à faire mieux, mais surtout de bousiller complètement ce qui me semblait malgré tout tenir debout. Réaction stupide puisque, si j'avais effectivement saboté ces deux chapitres, il m'aurait toujours été loisible de les rétablir dans leur version initiale. Quel con, mais quel con…

– Catherine semble atteinte par la maladie depuis cet après-midi : frissons, courbatures, nausée, fièvre. Comme personne ne parle d'épidémie de grippe en ce moment, et qu'en plus elle est vaccinée, j'espère que cela va passer comme c'est venu et qu'une nuit de sommeil réparera tout cela. Quant à moi, j'ai passé ma journée avec Martin Eden, qui n'est pas encore terminé.


Lundi 22 février

Quatre heures. – Peu avant midi est tombé dans ma boitamel une assez brève missive émanant d'une personne des éditions de l'Olivier – personne que je suppose être l'attaché de presse de cette maison. Elle disait ceci : 

« Cher Monsieur,

Eugène Nicole voudrait vous faire parvenir son nouveau recueil de poésies, Le silence de cartes. Pouvez-vous me communiquer votre adresse ?

Cordialement, »

Sous le coup d'une émotion aussi intense qu'inattendu, j'ai immédiatement répondu ceci :

« Monsieur,

Je suis à la fois surpris et considérablement flatté que M. Nicole, pour qui j'ai une très grande admiration, puisse avoir eu vent de mon existence !  C'est avec un réel bonheur que je lirai ce recueil, que vous pouvez m'envoyer au :

19 rue de l'Église
27120 Le Plessis-Hébert

En retour, j'aimerais beaucoup faire parvenir à M. Nicole un exemplaire du roman que j'ai fait paraître le mois dernier aux éditions des Belles Lettres : dois-je vous l'envoyer à vous ou à une autre adresse ?

Bien à vous,

Didier Goux »

On notera que, tout confit en admiration qu'il se prétende être, le romancier débutant n'a point perdu le nord, et a immédiatement saisi l'occasion qui lui était offerte de jouer les placiers en aspirateurs afin de fourguer sa came. Il pensait, le placier, que l'auteur de L'Œuvre des mers avait eu vent de son existence par le truchement du Questionnaire de la Chouette, auquel on se souvient que j'ai répondu le mois dernier et qui fut publié sur le blog des Belles Lettres, mais que j'ai la flemme de rechercher pour le remettre en lien ici. Or, apparemment, il n'en était rien, du moins si j'en juge par la réponse qui fut faite à ma réponse : 

« Cher Monsieur,

C’est un plaisir apparemment partagé. Eugène suit votre blog qui, dans ses mots,  « ne manque jamais de rendre compte très intelligemment de mes “petits travaux” ( comme disait Robbe-Grillet) ». Vous pouvez bien sûr envoyer votre roman à l’adresse de L’Olivier à l’attention de Eugène Nicole. Je ferai suivre. »

Depuis cet échange, mes chevilles ont déjà explosé trois paires de charentaises. 


Mardi 23 février

Sept heures et quart. – Journée FD. Sur place, moi qui n'y étais pas venu depuis trois ou quatre semaines (je m'y perds un peu…), j'ai pu recueillir les dernières nouvelles concernant la vente “groupée” (Télé 7 Jours – France Dimanche – Ici Paris) : elle est repoussée aux calendes (en tout cas à 2017), le groupe Mondadori s'étant apparemment retiré des négociations. Cette mauvaise nouvelle est compensée par une excellente : avant de relancer la dite vente, Lagardère préparerait, peut-être pour la fin de cette année, un nouveau plan d'envergure pour faciliter les départs volontaires ; auquel cas, comme il est plus ou moins de règle, la direction proposerait aux salariés de leur verser davantage que leurs indemnités légales, ce qui veut dire, pour ce qui me concerne, que je franchirais alors la barre des cent mille euros : joli cadeau de départ à la retraite. Encore faut-il, évidemment, que les choses se fassent ainsi.


Mercredi 24 février

Sept heures et quart. – Journée mollassonne, déjà à demi gâchée dès son commencement par la survenue de la femme de ménage, qui est restée dans la maison de neuf heures à midi, ce qui m'a contraint à venir jouer les migrants dans la Case. Mais ce n'était encore rien par rapport à ce qui nous pend aux naseaux, et que Catherine m'a annoncé hier, à mon retour de Levallois : le peintre qui doit remettre à neuf les plafonds de la salle à manger, du salon et de la cuisine sera ici dès lundi matin, pour toute la semaine. Ce qui implique non seulement un dérangement considérable de notre existence durant cette semaine maudite qui se profile, mais, avant cela, le transbordement de tous les cadres, livres, disques, bibelots, ustensiles divers, etc., de la place qui est la leur vers des pièces autres, et notamment celles de la Case. Bref, Février va très mal finir et mars aussi mal commencer.


Jeudi 25 février

Sept heures et demie. – Le transbordement de la maison à la Case a battu son plein toute la journée, ma laissant tout de même le temps d'expédier six mille signes consacrés à Jean-Pierre Pernaut et à son épouse, puis de faire une première lecture du recueil d'Eugène Nicole arrivé ce matin dans la boîte aux lettres, Le Silence des cartes. Courts textes, en proses ou en vers dits “libres”, qui nous ramènent avec beaucoup de bonheur vers le paraclet initial, Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais j'y reviendrai sur le blog après une seconde lecture, puisqu'il paraît que je rends toujours compte “très intelligemment” des “petits travaux” de l'auteur.

Ce mince volume (un peu moins de 150 pages) aurait fort bien pu ne jamais m'arriver, car l'enveloppe était ainsi libellée : Monsieur Eugène Nicole, 19 rue de l'Église, 27120 Le Plessis-Hébert. Cette interpolation soudaine entre l'écrivain et son lecteur, l'un prenant brusquement la place de l'autre sans que ce dernier le sache, si j'étais un écrivain sud-américain des années cinquante ou soixante, j'en ferais illico le point de départ d'un roman de 800 pages.


Vendredi 26 février

Sept heures dix. – J'ai la nette impression que le bel optimisme de Catherine, concernant le foudroyant succès du Chef-d'œuvre qu'elle tenait pour presque assuré, est en train de se lézarder dangereusement (en ce qui me concerne, il y a déjà un moment qu'il est en miettes au fond de ma poche avec mon mouchoir par-dessus). Ce matin, à je ne sais plus quel propos, elle s'est mise à soupirer qu'on était déjà fin février et qu'il n'y avait toujours rien eu dans la presse, à deux exceptions près. Bref, elle commence à comprendre que l'affaire est pliée. J'ai eu beau jeu de lui faire observer que c'est le sort commun à 95% des romans qui paraissent chaque année, et qu'il n'y avait donc pas lieu de s'émouvoir. Dire que cela m'encourage à m'attaquer à un autre livre serait cependant très exagéré. Évidemment, si j'avais 30 ans, je pourrais – et devrais – me dire que je suis sur la première marche de l'escalier et qu'arriver au sommet dudit ne sera qu'une affaire d'un peu de talent et de beaucoup d'opiniâtreté. Je me planterais alors devant mon miroir et, tel le client malchanceux dans Palace, lui lancerais : « Je les aurai, un jour, je les aurai ! » Mais il se trouve que j'ai le double de cet âge, que ma vie est presque entièrement derrière moi, et que se lancer dans une “carrière littéraire” maintenant, alors que je n'en ai rien fait durant quarante ans, serait du plus haut ridicule. Il est donc fort probable que j'en reste là. Et puis, je n'ai pas vocation particulière à faire perdre son argent à mon éditeur.

– Demain, nous aurons Rémi à déjeuner : penser à mettre du vin à fraîchir…


Lundi 29 février

Onze heures du matin. – Voici ce que j'écrivais, il y a quatre ans, le 29 février : « Pas grand-chose à noter ici, mais il ne s'agissait pas de manquer la date. Lorsqu'elle reviendra j'aurai presque soixante ans. J'espère bien être en retraite ou sur le point de l'être, mais rien n'est moins sûr. J'espère aussi ne pas être mort, mais rien n'est moins sûr non plus. Combien me reste-t-il de 29 février, d'ailleurs ? Un ? Deux ? Trois ? À coup sûr pas davantage, en tout cas – et trois me semble déjà une hypothèse optimiste. »

Donc, je ne suis pas mort, premier point. Secondement, je ne suis pas en retraite non plus, et la date semble s'en éloigner quelque peu. En dehors de cela, il me tarde d'être à samedi prochain, lorsque le peintre qui a envahi la maison pour en refaire les plafonds aura terminé sa besogne. D'ici là, nous sommes confinés dans la Case, Catherine, Bergotte et moi, ma chambre est un tel capharnaüm de meubles et d'objet divers que j'ai peine à atteindre mon lit quand vient l'heure de s'y rendre. Afin de réduire un peu la durée du supplice, nous venons de décider d'aller passer deux jours dans le Cotentin (demain et mercredi) ; encore faut-il que mes Puissances tutélaires daignent se passer de mes services durant ce laps de temps : pour l'instant, personne n'a encore répondu à mon mail suppliant.

Ce que je trouve de pis, dans cette histoire de peintre, c'est que non content que son intrusion ne me pourrisse la vie, comme tout ce qui bouscule aussi peu que soit ma routine, elle va en outre me coûter approximativement un demi-bras. Et, ensuite, il faudra encore tout remettre en place, pour que la maison reprenne un aspect vivable. Alors que, je dois le dire, les écaillures au plafond ne me gênaient en rien. Saloperie d'année bissextile, tiens !

Huit heures – Je m'aperçois que je n'ai pas dit, ce matin, l'essentiel : que nous allons fuir ce peintre maudit, vers le Cotentin. Nous avons d'abord décidé que notre fuite durerait deux jours, dans la mesure où j'étais persuadé d'avoir scanner jeudi. Or, non : vendredi. J'ai donc rappelé l'hôtel de Valognes pour demander s'ils pouvaient nous prolonger d'une nuit : ils pouvaient. Nous ne rentrerons donc ici que jeudi soir. Et je m'en trouve presque primesautier, ce qui est parfaitement stupide – mais ainsi.

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