jeudi 29 septembre 2016

Août 2016









TERMINAL 3









Lundi 1er août

Sept heures dix. – Ça se mange très vite, une salade de pommes de terre au haddock, surtout quand tout cela a déjà été découpé en petits cubes par la cuisinière ; d'où mon arrivée ici de plus en plus tôtive, comme dirait R. Camus. J'ai, aujourd'hui, consacré un temps anormalement long à FD, pour la raison que, en plus de l'article du jour, il a fallu que je refisse presque entièrement celui d'hier, non de ma faute, mais en raison d'une mésentente entre mes Puissances, l'une voulant un papier “blanc” (mettons) et l'autre un papier “noir”. Comme le blanc m'avait été donné comme consigne dès hier par Philippe B., directeur de la rédaction, j'ai foncé bille en tête. Mais, en début d'après-midi, tout à l'heure, Françoise D., rédactrice en chef, m'a signalé, avec force excuses, que c'est le noir qui finalement devait l'emporter. Ses arguments étant sans appel, j'ai donc ressorti mes pinceaux et mes couleurs pour rebadigeonner mes six mille signes.

Entretemps, j'avais terminé le journal 2015 de Camus, décidément bien déprimant – mais il n'y est pas pour grand-chose, et loin de moi l'idée de vouloir mettre à mort le messager des nouvelles sinistres qu'il apporte –, puis j'ai repris, avec plus d'allant, L'Esprit des lettres de Jacques Laurent, qui est un recueil de ses articles parus dans les différentes revues (La Table ronde et La Parisienne, dans ce premier volume) auxquelles il a participé, voire qu'il a créées. Je vais d'ailleurs aller illico commander le tome second, malgré la promesse solennelle que je m'étais faite de ne rien acheter en août. Mais les promesses n'engagent que ceux bla bla bla.

– Je n'ai toujours aucune nouvelle de mon frère qui, au départ, devait arriver ici le 10 pour repartir le lendemain en direction de Dubaï, à qui j'ai envoyé un himmel il y a trois jours pour lui dire que nous préférions annuler leur passage (sa femme et leur fille sont en France avec lui), du fait que, horaire d'avion oblige, nous devions nous lever le lendemain vers quatre heures du matin, afin que j'emmène Catherine à Roissy. Philippe et Dominique ont toujours cette propension, parfois un peu irritante, à mettre sur pied un programme, en général assez complexe, de visites aux uns et aux autres, mais en n'avertissant ces uns et ces autres qu'une fois que tout est fixé “dans leur tête”, leurs billets d'avion pris, etc. Passe encore quand ils font ce coup-là en avril ou novembre, périodes où ils sont presque assurés de trouver leurs différents gibiers au gîte, mais il ne faudra pas qu'ils s'étonnent si, en juillet et août, leurs petits plans concoctés unilatéralement ont tendance à faire eau de toutes parts : c'est ce qui est en train de se produire, en tout cas avec nous. Je suis quand même toujours un peu étonné que l'on puisse, comme ils le font généralement, avertir les gens qu'on se présentera chez eux tel jour et pour une durée de tant, plutôt que de leur demander si la chose est envisageable ; même quand il s'agit de son propre frère. Mais j'ai l'impression de me mettre à “faire mon Camus”, depuis une minute…


Mardi 2 août

Sept heures et demie. – Depuis trois ou quatre jours, dans la pâture derrière la Case, se trouve une vache, dépendant de la ferme située à l'autre bout de ce champ (voir, sur le blog principal, la couverture de mon journal 2011). Depuis seize ans que nous vivons ici, on y a vu tantôt des chevaux, mais plus aucun depuis plusieurs années, des vaches en troupeau et des moutons, alternativement. Une vache seule, c'est la première fois et nous en fûmes intrigués ; d'autant plus que celle-ci passe des heures sans se lever jamais, broutant couchée, ne se déplaçant que d'un mètre ou deux à la fois et sans jamais qu'on ait le temps de la voir sur ses pattes. Il se dégage de cet animal pesant et immobile, comme affaissée sur lui-même, une impression de grande tristesse. Notre très vieille voisine étant venue nous apporter de petites pommes de terre nouvelles de son jardin, de celles dont il n'est nul besoin d'ôter la pelure avant de les manger, Catherine lui a parlé de notre vache solitaire et mélancolique ; et il est apparu que “mélancolique” était en dessous de la vérité. D'après elle, la voisine, la vache vient d'être opérée d'une patte et, depuis, refuse obstinément de se lever : quand les fermiers veulent la faire rentrer à l'étable, il leur faut faire donner les chiens pour qu'elle consente à se mettre debout. Catherine a d'abord compris que, suite à l'intervention vétérinaire, la station debout lui était encore pénible ; mais la vieille dame a alors ajouté : « Elle se laisse mourir. » Devant la mine dubitative de Catherine, elle a expliqué que c'était déjà arrivé, aux mêmes fermiers, avec une vache qui avait dû subir une césarienne et qui, à la suite de cette opération, s'était réellement laissée mourir, avec un complet succès. Celle-ci, d'après elle, suit le même chemin, victime de ce qu'on hésite un peu tout de même à nommer une dépression. Mais, après tout, pourquoi les bovins ne seraient-ils pas sujets, eux aussi, aux dépressions ? D'autant qu'à force de ruminer…

– Il a plu sans discontinuer depuis ce matin, si bien que je m'attends, à l'aurore de demain, à découvrir un jardin bien vert, à l'herbe vigoureusement croissante, qui m'obligera, d'ici quelques jours, à ressortir la tondeuse, que je pensais remisée jusqu'en septembre.


Mercredi 3 août

Sept heures et demie. – Himmel de mon frère à l'instant, pour me dire qu'il comprenait très bien qu'on ne puisse les recevoir le 10, si Catherine doit être très tôt le lendemain à Roissy, étant lui-même un “voyageur nerveux”. De toute façon, c'était devenu d'autant moins possible que, finalement, parce que ce départ nocturne commençait à vraiment angoisser Catherine, nous avons décidé (sur ma suggestion) que je la conduirais à l'aéroport dès le 10 en fin d'après-midi, et qu'elle dormirait dans un hôtel local. Le hasard à voulu que le plus proche de son “terminal” fût un hôtel Ibis, chaîne pour laquelle travaille Élodie, laquelle nous a obtenu un tarif tout à fait “préférentiel” (on ne pourra bientôt plus rien écrire sans encadrer chaque mot de guillemets…). Celui-ci disposant d'un vrai restaurant, nous dînerons ensemble, après quoi je rentrerai ici ; en espérant que l'autoroute 14 ne sera pas fermée.

Finalement, dans cette histoire, la vraie punie est ma mère, qui va devoir nourrir une journée de plus Philippe et ses deux femmes. Mais, après tout, c'est son fils, alors qu'il n'est que mon frère…


Jeudi 4 août

Sept heures et demie. – Terminé juste avant le dîner le second volume de L'Esprit des lettres, le recueil des articles et chroniques de Jacques Laurent parus dans les diverses revues qu'il a dirigées ou auxquelles il a collaboré. J'aime beaucoup chez lui ce côté ferrailleur, mousquetaire, que l'on sent toujours prêt à s'exprimer, contre les totems et tabous de ce temps qui – c'est le côté un peu triste – commence à apparaître presque aussi lointain que la Belle Époque, voire le Second Empire.

– Renaud Camus vient de publier sur Youtube une vidéo qui, encore maintenant, plusieurs heures après sa découverte, me laisse sans voix. On l'y découvre filmé en gros plan, devant l'un de ses tableaux, déclamer et surtout chanter ses propres tweets politiques. Chaque tweet est séparé du suivant par un chapelet de borborygmes, sons, notes isolées (je ne sais trop comment qualifier ça) ; le tout donne une atmosphère assez asilaire, dans laquelle un Ferdinand Lop voire un Mouna Aguigui ne dépareraient nullement. Dans son journal 2015, Camus ne cesse de déplorer le peu d'adhésion (et donc d'adhésions) que rencontrent ses deux partis, l'In-nocence et le NON : je doute un peu que cette nouvelle prestation soit de nature à la renforcer. D'autre part, j'aimerais voir la tête des maires de France et des conseillers généraux lorsque le candidat Camus va solliciter leurs parrainages pour l'élection présidentielle, si jamais un esprit mal intentionné leur met cette vidéo sous les yeux et dans les oreilles. À quoi peut bien correspondre cette lubie ? Du masochisme ? De l'inconscience ? À moins qu'il ne s'agisse, une fois encore, de brûler ses vaisseaux le plus sûrement possible ; un aveu d'échec politique complet en forme de pirouette ou de pied de nez. En tout cas, lui qui se plaint régulièrement de la “désertion” de ses fidèles, voire de leur “trahison”, on peut dire qu'il fait ce qu'il faut pour les susciter, et qu'il est nécessaire d'avoir la fidélité solidement arrimée pour demeurer comme je le fais un lecteur convaincu – encore que ce genre de fantaisie vocale risque de heurter bien davantage les “militants” que les lecteurs proprement dits. Pour le moment, sur le forum de l'In-nocence, on observe à ce sujet un silence parfait…


Samedi 6 août

Quatre heures et demie. – Heure un peu inhabituelle pour venir traîner par ici, j'en conviens. Mais c'est que, tout à l'heure, profitant de ce qu'elle a lieu en l'église du Plessis, Catherine se rendra à la messe, entre six heures et demie et sept heures et demie ; ce qui, en toute logique interne et conjugale, induit un apéritif, celui que je commencerai à prendre en l'attendant et auquel elle se joindra en revenant, dûment purifiée de ses éventuels péchés (ah, non : ça, c'est le boulot de la confession, pas de la messe. Mais enfin, ça doit bien purifier un peu quand même). Comme nous ne sommes pas des ivrognes compulsifs, il a été décidé que cet apéritif-là “compterait” aussi pour celui de notre dernière soirée avant son départ vers les Amériques septentrionales, lequel aura lieu mercredi. Et comme, décidément, je suis aujourd'hui la raison même, j'ai résolu ce matin que, pour mériter pleinement cette libation vespérale, il me faudrait écrire avant les douze mille signes qui m'ont été réclamés pour un septième hors-série “Destins brisés”, texte consacré à l'acteur Roland Giraud et à l'assassinat de sa fille unique, Géraldine : tout cela a été accompli entre onze heures et une heure et demie. Il ne restait qu'à mettre le riesling au frais, ce qui fut diligemment accompli. Pour passer agréablement le temps séparant la corvée de sa récompense, j'ai ouvert l'ultime roman de Jacques Laurent, Ja et la fin de tout, qui m'est opportunément arrivé ce matin ; cependant que Catherine se lançait à l'assaut de La Tour, le journal 2015 de Renaud Camus. Bref, comme disait le type tombant du cinquantième étage au moment où il passait devant le vingt-cinquième : jusqu'à présent, tout va bien.


Lundi 8 août

Dix heures et demie du matin. – Quand on est agacé par le désir de se mettre à un nouveau roman, le remède radical consiste à relire un journal d'écrivain : Léautaud, Jules Renard, peu importe. On y croise tellement d'auteurs dont même les noms nous sont devenus totalement inconnus, et qui pourtant semblent avoir eu du succès à l'époque où ils sévissaient, que l'on est aussitôt saisi par la puérile vanité de l'entreprise ; sauf si, bien sûr, on ne souhaite être imprimé que pour tenter d'en imposer à sa belle-mère, au voisin ou au boulanger. Mais même cette ambition minuscule reste une vanité, car il est bien rare que l'on impressionne qui que ce soit avec un livre, à moins qu'il ne vous pousse jusqu'aux plateaux de télévision, et encore.

– Nous n'avons plus, Catherine et moi, que deux jours complets à passer ensemble. Mercredi soir, nous nous quitterons pour deux semaines, devant un quelconque hôtel Ibis de l'aéroport de Roissy. Et j'ai déjà, comme les fois précédentes, commencé de me dire, hier soir, que, nous quittant en effet, ce sera peut-être la dernière fois que nous nous verrons, si jamais il arrive de mourir à l'un de nous (et, en général, je pense plutôt que c'est à moi qu'il incombera de me charger de cette formalité).

– J'attends, ce matin, un appel téléphonique d'une personne de la DRH de Lagardère, qui doit m'aider à remplir le “formulaire de demande de départ à la retraite” qu'elle m'a adressé la semaine dernière et auquel, à mon grand énervement, puis abattement, je n'ai rien compris, tant ces trois ou quatre pages sont écrites en un français qui n'est pas le mien. À l'école, pendant qu'il est encore temps, on devrait inciter les jeunes élèves à choisir comme première langue d'étude le français administratif : cela les aiderait plus souvent et mieux que l'anglais. De toute façon, comme ce rendez-vous immatériel a été pris par une tierce personne, il est probable que mon interlocutrice supposée n'appellera pas du tout. D'autant que, si j'ai bien compris, cette dame est en vacances et ne passera aujourd'hui à son bureau de Levallois que pour expédier les affaires urgentes. N'ayant pas la prétention d'être une affaire urgente…

Cinq heures. – Peu avant midi, sentant mon impatience grandir de ce coup de fil qui n'arrivait pas, j'ai pris l'initiative d'appeler cette Mme G., à la DRH. Elle s'est montrée fort aimable et, surtout, très claire dans ses explications, dont il ressort que les choses vont aller beaucoup plus vite que je ne le pensais, à condition que ma “candidature” soit retenue (ce dont je refuse de douter, sauf à être très déçu en cas contraire). En gros, si je remets mon dossier au premier septembre, j'aurai une réponse dans les dix ou quinze jours, car l'examen des candidatures va se faire à mesure qu'elles arrivent, et non, comme je le croyais, après la date de clôture, c'est-à-dire en mars prochain. Deuxième erreur de ma part : comme régulariser sa situation auprès des diverses caisses de retraites prend, de l'avis de ces caisses même, entre quatre et six mois, je pensais ne pouvoir être effectivement en retraite que six mois après l'acceptation de Lagardère. Or, pas du tout : si tout suit son cours, je le serai, en retraite, dès le premier octobre ou, au plus tard le premier novembre. Ce qui, ensuite, demande six mois c'est l'obtention du premier versement. Mais comme il sera rétroactif, je n'y perdrai rien. Et, entretemps, il nous aura suffi de prélever un peu de mes indemnités de départ. Bref, tout cela prend une excellente tournure, laquelle va justifier, tout à l'heure, un petit apéritif conjugal. Je disais à Catherine que, vu mon mode de vie depuis environ trois ou quatre mois (passés à ne plus travailler que de la maison), et pour peu que, comme il en a la ferme intention, Philippe B. puisse me faire écrire pour FD en tant que collaborateur extérieur, je n'allais voir aucune différence entre mon état de salarié et celui de retraité. À ceci près que je vais peut-être même gagner un peu plus d'argent.

– Il y a un moment, alors que nous regardions le sixième épisode de la première saison de True Detective, appel du Père B., pour nous informer qu'il s'apprête à prendre ses nouvelles fonctions en tant que prêtre d'une paroisse du centre de la France, qui est sa région natale. Du coup, cela a relancé mon envie d'aller voir Nohant qui, nous a-t-il dit, se trouvera à moins d'une heure en voiture de la petite ville où il va désormais officier. Je pense que nous irons dans le courant d'octobre, lorsque mes affaires de retraite seront réglées (enfin : j'espère qu'elles le seront…). Entre autres choses, il m'a chaudement recommandé la lecture d'une biographie de Simon Leys, qui vient de sortir.


Mardi 9 août

Onze heures du matin. – Ce mélange d'ennui et d'hilarité qui me saisit, chaque fois que je tente d'écouter Pelléas et Mélisande ; ennui engendré par la mélodie de Debussy et hilarité par les vers de Maeterlinck.


Jeudi 11 août

Dix heures du matin. –  Être de gauche, au fond, c'est vouloir que les pauvres cessent de l'être, mais que les riches le deviennent.

– Sinon, Me voilà seul, comme gémissait Aznavour au début des années soixante-dix. J'ai déposé Catherine à l'hôtel Ibis de Roissy, hier vers six heures, et suis rentré directement ici. Sans encombre, à l'aller ni au retour. À l'heure qu'il est, Catherine doit être dans l'avion, ou peu s'en faut. Quant à moi, j'ai commencé à m'emmerder à peu près dès mon lever ; lever frisquet puisque le thermomètre affichait 7,5° comme température extérieure (à six heures et demie du matin) et tout juste le double dans la maison : je suppose qu'il doit s'agit d'un effet collatéral au réchauffement climatique. Comme je n'avais pas envie de me lancer dans un livre inconnu (mon cerveau a tendance à tourner au ralenti dès que Catherine s'éloigne), j'ai repris le premier volume des Exorcismes spirituels de Muray : j'y suis pratiquement comme chez moi. Je vais tâcher, à compter d'aujourd'hui, de supprimer l'apéritif vespéral (ou au moins le réduire et me cantonner au vin blanc), afin de pouvoir regarder ensuite l'une ou l'autre des séries télévisées dont j'ai fait provision en vue de cette solitude de deux semaines. On verra ce que vaut cette excellente résolution.

Huit heures. – Eh bien voilà, c'est de pire en pire, à mesure de l'âge : première journée seul et je me suis déjà ennuyé à périr, malgré les deux derniers épisodes de True Detective regardés en début d'après-midi et les cinq mille signes écrits pour FD ensuite. Je n'ose même pas imaginer ce que vont être les deux semaines qui s'annoncent. Et ce n'est pas cet ennui plombant qui va m'aider à ne pas boire, le soir venu : l'idée de regarder la télévision, et même une série qui me tente, m'accable par le fait de la regarder seul. Moi qui disais à Catherine, un jour où nous en parlions, que j'accepterais de mourir après elle parce que l'expérience du veuvage et de sa souffrance pouvait avoir son intérêt, je me trouve parfaitement stupide, puisque je ne suis plus capable de ne pas me désagréger complètement après vingt-quatre heures sans elle. D'un autre côté, c'est peut-être justement cela, l'expérience du veuvage : se désagréger complètement. En attendant, je sirote du vin blanc en écoutant Monique Morelli chanter François Villon, et je pleurniche vaguement d'être vieux : quelle pitié !

– Néanmoins, j'ai reçu aujourd'hui la biographie de Simon Leys que le père B. m'a chaudement recommandée il y a deux ou trois jours, au téléphone. Je n'en ai pas lu assez pour en dire quoi que ce soit ce soir.


Samedi 13 août

Six heures. – Je ne sais ce qui m'a pris, ce matin, pratiquement dès le saut du lit, de me transformer, à mon intense stupéfaction, en véritable petite fourmi industrieuse. J'ai commencé, dès la dernière gorgée du premier café avalée, par aller arroser le jardin de Catherine – ses plants de tomates pour être précis –, profitant de ce que le soleil n'y donnait point. De là, j'ai bondi au sous-sol et me suis rué sur la machine à laver pour y mettre une fournée de “blanc”. Après avoir sauté dans la douche, j'ai fait la même chose dans la voiture afin de descendre à Pacy chercher du pain. De retour, il a encore fallu aller mettre le linge propre sur la corde, que j'irai dépendre dès que j'aurai quitté ce journal. Comme cela ne suffisait encore pas, j'ai résolument ouvert mon “dossier retraite” afin d'en cocher les petites cases et noircir certaines lignes : à ma grande surprise, j'ai compris toutes les questions qu'on me posait et j'ai même été capable d'y apporter des réponses. Pour que l'affaire soit complète et expédiable à la Carsat, il me faut encore quelques photocopies ou impressions de pdf, choses qui seront accomplies jeudi, puisque je dois ce jour-là me rendre à Levallois, où j'ai rendez-vous avec la personne de la DRH qui s'occupe des départs volontaires.

– Le reste des heures fut nettement plus calme, fait de lecture (alternativement la biographie de Simon Leys et le deuxième tome des Exorcismes spirituels de Muray) et de télévision : j'ai regardé, en blu-ray, L'Aurore de Murnau, film étonnant, et même extraordinaire, de 1927, qui démarre comme un drame, bascule soudain vers la comédie et même le burlesque (une scène avec un porcelet ivre mort, qui fait penser à Milou lapant le whisky du capitaine Haddock), mais avec tout de même une tension toujours là, en dessous, avant de se remétamorphoser en tragédie pour finir sur un happy end. À son retour, je vais inciter fortement Catherine à le revoir, avec peu de chances de succès vu ses appétences très faibles pour le cinéma muet.

Pour les quelques heures qui me séparent encore du coucher (le mien, pas celui du soleil), je pense qu'un modeste apéritif musical, suivi d'un sandwich hâtif et d'un ou deux épisodes d'American horror story (saison 4) sont tout à fait envisageables.


Mardi 16 août

Six heures. – Que viendrais-je faire en ce journal, alors que, depuis le départ de Catherine, je passe l'essentiel de chaque journée à attendre qu'elle se termine ? Évidemment, je tâche d'emplir plus ou moins intelligemment les heures, mais j'ai l'impression constante que ça ne marche pas ; que je joue un rôle qui ne trompe personne, comme un acteur de théâtre qui, face au public, fait semblant de lire un livre pour laisser le temps au protagoniste prévu par l'auteur de la pièce d'entrer en scène. Sauf que, mon protagoniste à moi, il n'entrera en scène que dans huit jours révolus, et que, en attendant, je me fais l'effet d'un piteux imbécile ; ou d'une âme en peine qui n'aurait pas de peine et pas beaucoup d'âme non plus.

Ce matin, par exemple, j'avais vaguement dans l'idée d'écrire un billet sur le blog, à propos de 2001 L'Odyssée de l'espace, que j'ai revu hier soir ; ou au moins d'en parler ici. Eh bien, le temps de venir de la maison à la Case, et l'envie – déjà faiblarde au départ – s'était envolée.

Le point positif est que mes apéritifs du soir sont on ne peut plus raisonnables. Mais je n'y ai pas grand mérite : je les abrège uniquement parce que je réussis désormais à me fatiguer de ma propre personne, dans ces moments de tête à tête avec moi-même que j'ai pourtant toujours aimés. Seulement, pour demeurer précieux, ou simplement agréables, il faut qu'ils fassent un peu contraste avec le reste de la journée, qu'ils s'inscrivent entre deux parenthèses dûment tracées – quand Catherine va assister à une messe du soir, par exemple. Là, le tête-à-tête intervient au moment où, depuis le matin, l'unique débatteur est déjà amplement fatigué de lui-même.

Well… Au bout du compte, voilà qui me fait toujours une “entrée”.


Mercredi 17 août

Six heures. – Il y a une semaine tout juste, je m'apprêtais à passer ma première soirée en solitaire ; ce qui veut dire que me voici au milieu du gué. Demain, précieuse distraction : j'ai rendez-vous à midi avec Mme Véronique G. la personne de la DRH qui est chargée de collecter les dossiers en vue d'un départ volontaire. Comme le dépôt officiel de ces dossiers ne commence que le premier septembre au matin, le mien sera donc officiellement reçu à cette date, c'est-à-dire dans les tout premiers, si ce n'est le premier, chose importante puisque, selon les préceptes qui nous ont été communiqués, les premiers arrivés seront les premiers servis. Bien que, évidemment, il y ait d'autres critères pour entrer en ligne de compte, des avoués et probablement des inavoués. Logiquement, d'après Mme G., je devrais avoir une réponse d'acceptation ou de refus aux alentours du 15 septembre.

– Je profiterai d'être à FD demain pour photocopier un certain nombre de documents (carte d'identité, livret de famille, dernier avis d'imposition…) afin de les joindre à mon dossier de demande de retraite au régime général, lequel dossier sera alors complet (tu rêves, mon vieil ami, tu rêves !) et pourra être envoyé. Comme un bienheureux hasard m'a fait recevoir ce matin l'autre dossier à remplir, celui pour demander mes retraites complémentaires (AGIRC et ARRCO, les deux jumeaux maléfiques, plus terrifiants encore que Fasolt et Fafner), j'en serai quitte pour faire deux fois chaque photocopie et boucler aussi cette affaire-là. Ensuite, il n'y aura plus qu'à attendre, espérer, prier, picoler.

– Au milieu de ma paperasse de futur retraité, j'ai tout de même pris le temps d'expédier cinq mille signes à propos d'un certain Élie Semoun, qui gagne, m'a-t-on assuré, sa vie en faisant rire ses contemporains : on se demande qui est le plus à plaindre dans cet attelage, du comique ou des contemporains. Et j'ai poursuivi la lecture de la biographie de Simon Leys, livre tout à fait remarquable, dont il faudrait bien que je parle sur le blog, mais je manque un peu trop d'allant pour le faire vraiment. On verra à partir de demain, que la température diurne est censée redescendre assez franchement.


Vendredi 19 août

Cinq heures. – Ma petite virée à Levallois d'hier n'a pas été inutile, puisque me voilà désormais très officiellement candidat au départ, dossier remis à la DRH, etc. En principe, je devrais recevoir la semaine prochaine une estimation chiffrée du chèque censé m'inciter au départ. J'ai également fait toutes les photocopies qu'il fallait pour pouvoir expédier mes deux enveloppes dûment garnies, en direction des caisses de retraite, générale et complémentaire. Je me suis d'ailleurs peut-être un peu précipité pour cette dernière opération : la personne qui m'a reçu, Mme G., a trouvé que j'étais “gonflé” d'avoir fait ma demande de retraite avant d'avoir l'accord de la DRH. Elle n'a pas tort en effet ; mais c'est que tout ce petit monde avait l'air si pressé… Elle a d'ailleurs soulevé une objection qui ne manque pas de pertinence. Même en cas d'accord de la direction de L.A., si celui-ci survient aux alentours du 10 septembre, comment pourrais-je être en retraite au premier octobre, ainsi que je l'ai officiellement demandé, alors que la loi m'oblige à un mois de préavis ? Il y a là, certes, un semblant d'impossibilité, à quoi je vois deux remèdes : 1) la DRH antidate son accord au premier septembre, auquel cas le dit mois devient celui de mon préavis ; 2) je contacte les caisses pour repousser ma retraite au premier novembre. Cela ne m'a pas empêché, me réveillant au milieu de la nuit sans raison particulière, d'élaborer aussitôt le scénario catastrophique suivant : d'une part les caisses de retraite refuseront tout changement à ce que j'ai signé, et d'autre part la DRH, sachant que j'ai déjà demandé ma retraite, me dira tout gentiment qu'elle n'a plus aucune raison de me verser le moindre centime, mon départ de l'entreprise étant d'ores et déjà “acté”. J'ai tout de même réussi à me rendormir… mais il subsistait malgré tout, au réveil véritable, un voile d'inquiétude.

– Ce matin, sitôt mon premier café bu, j'ai décidé que j'en avais assez de voir ces ridicules et longues fleurs jaunes proliférer insolemment dans le jardin et, après avoir ramassé les merdes de Bergotte, j'ai empoigné la tondeuse. Je n'ai pas mal fait car, dès onze heures il s'est mis à pleuvoir et ça n'a guère cessé depuis. En dehors des trois quarts d'heure passés à écrire cinq mille signes à propos d'un animateur télé quelconque, j'ai consacré mon temps à la biographie de Simon Leys, dont je viens d'ailleurs de tirer un billet de blog. Et, malgré son prix assez élevé, je me suis enfin décidé à commander, d'occasion, l'épais volume des Deux Étendards de Rebatet, roman que j'avais essayé de lire en vain il y a 25 ou 30 ans : c'est le bien qu'en dit Simon Leys, justement, qui m'a donné envie de retenter ma chance. Et puis, quand on est nauséabond, il s'agit de fréquenter les bons auteurs.

– Catherine et sa petite smala sont parties aujourd'hui pour les fins fonds du bois canadien ; elle ne sera donc plus joignable, selon toute vraisemblance, avant lundi. Ensuite, il ne restera plus que deux jours avant son retour.


Lundi 22 août

Trois heures. – Je commence à trouver le temps vraiment long, mais cela ne me surprend nullement, dans la mesure où il s'était produit à peu près la même chose lors des précédentes absences prolongées de Catherine : les trois premiers jours sont pénibles (impression que chaque journée s'étire comme de la guimauve de fête foraine et qu'on ne viendra jamais à bout de leur total) ; puis, malgré tout, une sorte de nouvelle routine se met en place, les heures se recontractent un peu, des semblants de repères se laissent discerner ; enfin, l'imminence du retour fait voler cet équilibre fragile en éclats, l'âne sentant de plus en plus proche le picotin se remet à ruer et à braire d'impatience, ce qui a évidemment pour conséquence de faire se rallonger les heures. Si, en plus, une recrudescence de chaleur s'en mêle…

– Je ne sais pas si je l'ai noté mais, fait assez étrange, depuis le départ de Catherine je n'ai pas rempli une seule grille de mots croisés, alors que, en toute logique, mon désœuvrement aurait dû me pousser à les multiplier (phrase assez incertaine).

– En tout cas, je me félicite tous les soirs d'avoir pris la précaution d'acheter ce gros coffret de blu-ray contenant les quatre premières saisons d'American horror story, car, sans cela, je me demande ce que j'aurais fait de mes soirées (sans doute les aurais-je noyées dans l'alcool, alors que, là, je ne bois quasiment rien : mes apéritifs sont plus symboliques qu'autre chose). Je ne parviens d'ailleurs pas à comprendre pour quelle raison Catherine et moi avions laissé tomber la première saison dès le deuxième épisode, alors qu'elle avait tout pour nous plaire. Je n'en dirai pas autant des trois suivantes, pour ce qui concerne Catherine, car leur côté assez malsain ne lui plairait pas, je pense. Mais, malsaine, la première saison ne l'est pas du tout, pas gore non plus, et c'est une histoire somme toute classique de fantômes et de maison hantée, originale, rythmée et avec ce qu'il faut de surprises et de rebondissements. On ne devait pas être dans un bon soir…


Jeudi 25 août

Deux heures et demie. – J'ai franchi les portes coulissantes du terminal 3 de Roissy, à dix heures ce matin, au moment précis où Catherine apparaissait avec son chariot à bagages. Le retour ici s'est passé sans encombres, malgré mes craintes : une demi-heure plus tôt, à l'aller, j'avais pu voir l'autoroute 86 presque entièrement bouchée, entre le stade de France et l'autoroute 14. Une fois arrivés – il était midi –, nous nous sommes autorisé un petit apéritif de retrouvailles, lequel a envoyé Catherine directement au lit, vu qu'elle n'a dormi qu'une heure dans l'avion. J'ai pour consigne de la réveiller à quatre heures et demie ; ce sera fait… si je ne suis pas moi-même endormi d'ici là.


Vendredi 26 août

Six heures. – J'ai reçu cet après-midi, par mail, de la part d'un membre de la DRH dont j'ignorais l'existence (ce qui ne l'empêche pas de commencer son himmel par “Cher Didier”, comme si on avait gardé les salariés ensemble dans notre prime jeunesse), le relevé de ce que je toucherai en cas d'acceptation de ma candidature au départ volontaire (il me semble, par ailleurs, qu'une candidature au départ involontaire aurait été beaucoup plus amusante). C'est à la fois encourageant et décevant. Encourageant parce que j'avais tablé, sans compter le “petit bonus” que l'on nous a fait miroiter, sur une somme d'environ 90 000 euros. Or, d'après le compte reçu, nous sommes déjà à 93 500, alors que n'y sont inclus ni le mois de préavis, ni le treizième mois ni les congés payés ; de plus, comme je m'y attendais plus ou moins, n'a pas été prise en compte l'année 2000, durant laquelle j'ai été pigiste à temps plein de mars à décembre.J'ai donc répondu aussitôt pour demander des précisions et exposer mes objections. Et surtout m'enquérir de ce fameux, mais bien flou, “petit bonus”. Je suppose que j'aurai une réponse en début de semaine prochaine. En tout état de cause, même si on en restait là (93 500 € à quoi s'ajouteront environ deux mois et demi de salaire brut pour les raisons que j'ai dites, c'est-à-dire à un total d'environ 105 000 €), ce serait déjà un assez joli cadeau de départ.

– Continué la lecture des Deux Étendards de Rebatet, nauséabond d'exception,  et je suis passé, avec Muray, du troisième au quatrième volume de ses Exorcismes spirituels.


Lundi 29 août

Sept heures vingt. – Nous avons, depuis hier, retrouvé un rythme normal de vie, après les perturbations (opération + Québec) de ces quatre derniers mois. Non seulement nous sommes revenus à un régime strictement analcoolique, mais, Catherine pouvant de nouveau conduire Liselotte, me voici de nouveau dispensé des diverses corvées, ravitailleuses ou kinésithérapeutiques.

– Après ne m'y être risqué que du bout des orteils, j'ai finalement, aujourd'hui, plongé totalement dans Les Deux Étendards de Lucien Rebatet, roman torrentiel, souvent prodigieux, parfois ennuyeux, mais dont l'ennui fait en quelque sorte partie du prodige. De même que le côté profondément irritant de certains de ses personnages (Régis notamment, mais aussi Anne-Marie par moment) participe à la vie qui les anime. J'en ai lu près de 400 pages : arriverai-je sans me lasser au bout des 1300 ? c'est une autre histoire. Du coup, ou plutôt du contrecoup, j'ai tout à l'heure tiré de son étagère l'Histoire de la musique du même Rebatet. Heureusement qu'aucun progressiste vigilant ne vient jamais traîner ses sourcils inquisiteurs dans ce journal, car alors mon compte serait bon, avec d'aussi méphitiques lectures.


Mardi 30 août

Sept heures vingt. – Marco Polo a la gentillesse de me dire qu'il a trouvé mon journal de juillet, publié ce matin, meilleur que les livraisons précédentes. Je lui ai répondu que, fort heureusement, août rétablirait une saine moyenne en étant plus mauvais (en tout cas largement plus vide) que les dites livraisons ordinaires ; ce dont je suis persuadé, bien que n'ayant encore rien relu. Mais c'est ainsi : quand Catherine est absente, ce qu'elle a été une grosse moitié du mois, je ne suis vraiment bon à rien.

– Reçu ce matin au courrier la confirmation écrite de la Carsat, la caisse de retraite du “régime général”, comme quoi mon dossier était bel et bien “dans les tuyaux” (l'expression est de moi, pas d'eux ; pas encore…). Et un mail il y a deux heures me demandant si je pouvais envoyer les pièces manquantes (mes bulletins de paie de l'année en cours) par retour de mail – ce que je ne puis faire, n'ayant pas d'imprimante pour les scanner. J'en ai profité pour expliquer à ma correspondante que je m'étais un peu précipité pour demander ma retraite au premier octobre (parce qu'assez mal conseillé par la DRH) et que celle-ci ne pourrait finalement pas être effective avant le premier novembre, voire le premier décembre. On verra bien ce qu'elle va me répondre demain.

Cette dame, en charge de mon modeste cas, s'appelle Claudine L. J'ignorais qu'il y eut encore des parents pour prénommer leurs filles ainsi, ce qui est finalement une bonne nouvelle. En tout cas, elle m'a ravi : j'ai eu l'impression de sauter à pieds joints dans un roman de Colette et de me retrouver au cœur de la Puisaye, vers la fin du 19e siècle.

– Continué la lecture des Deux Étendard de Rebatet (page 400 et quelques). Il y a tout de même des moments où on a envie de le secouer un peu, ce Michel Croz, personnage principal, et de le sommer d'aller une bonne fois pour toutes dépuceler son Anne-Marie sans faire autant d'histoire. (J'ai l'air de me moquer, comme ça, mais c'est vraiment un roman étonnant et riche, même si, parfois, durant une dizaine de pages, on s'y ennuie un peu. Comme dans la vie, en somme.)

– J'ai reçu, toujours au courrier de ce matin, un recueil de nouvelles de Lu Xun, écrivain chinois du début du XXe siècle, dont Simon Leys dit le plus grand bien. Pas ouvert encore.


Mercredi 31 août

Sept heures dix. – Cet après-midi, sous le billet par lequel j'annonçais la mise en ligne de mon journal de juillet, M. Arié m'a laissé le commentaire suivant :

« Il y a quand même quelque chose de tout à fait remarquable (je n'en serais personnellement pas capable), mais aussi de mystérieux, dans le fait de publier votre journal et de le mettre en ligne pour qu'il soit lu par des inconnus.

J'aimerais bien savoir pourquoi vous le faites; car, si vous ne nous dites évidemment pas tout ( par exemple : de quoi rêvez-vous ?), tout ce que vous nous dites semble vrai - ou, en tous cas, vraisemblable; du moins, assez vraisemblable pour que nous soyons nombreux à le lire et à y prendre plaisir, alors que nous ne vous connaissons pas vraiment.

Vous-même: savez-vous pourquoi vous le faites ? »

Il n'a pas tort : pourquoi fait-on cela ? Pourquoi est-ce que, moi, je le fais ? Le besoin, ou plus simplement l'envie, de tenir un journal m'a occupé dès ma vingtième année, environ. Depuis cette époque, j'en ai commencé un certain nombre (notamment lorsque s'est produite la révélation, en 1984, que Philippe Bernalin allait mourir rapidement de son cancer) : ils se sont tous ensablés, au bout de quelques semaines, à la rigueur quelques mois. Ce qui semblerait prouver que mon envie n'était pas bien forte et le besoin à peu près inexistant. Si je m'y suis remis à la fin de juillet 2009, c'est parce que nous allions passer un mois à Plieux, et que je trouvais amusant, piquant, de tenir un journal – moi, le châtelain intérimaire –, en ce lieu où le légitime propriétaire en écrivait un, tout à fait imposant à mon sens. J'ai d'ailleurs arrêté dès que nous sommes rentrés chez nous, à la fin d'août. Pourquoi m'y suis-je remis vers la mi-octobre ? Je ne saurais pas le dire avec certitude. Là encore, ce fut de l'ordre de l'envie vague. Non,pas tout à fait : il y avait aussi que je voulais cesser de raconter certaines choses sous forme de billets de blog, que j'éprouvais la nécessité d'avoir à ma disposition deux formes d'écriture différentes. Et, cette fois-ci, contrairement à toutes les précédentes, j'ai senti que “ça accrochait” ; que je prenais intérêt et plaisir à ce rendez-vous d'après-dîner. Néanmoins, il me manquait quelque chose : un lecteur. C'est pourquoi j'ai commencé, après quelque temps, je ne sais plus combien, à le faire lire à Catherine. Et, bientôt, l'idée d'élargir le cercle s'est imposée, très naturellement, sans que j'aie eu à y réfléchir beaucoup. Sans doute parce que, de par le blog, je m'étais accoutumé à avoir un public, aussi restreint fût-il, et que je ne voyais pas de raison de ne pas continuer dans cette voie avec le journal. J'ai été tout de suite conscient de ce que la publication allait forcément me contraindre à certaine autocensure, pour des raisons évidentes de discrétion vis-à-vis des personnes, ou du moins de certaines d'entre elles. Mais, le journal quotidien étant rédigé sur un blog où nul n'a accès que moi, rien ne m'empêchait d'écrire tout ce que je voulais, puis d'élaguer au moment de passer en mode “blog public”. Je crois d'ailleurs que Julien Green, par exemple, a toujours procédé de cette manière (moins les blogs…).

Cela dit, je me rends bien compte que ce qui précède laisse à peu près entière la question de M. Arié : « Savez-vous pourquoi vous le faites ? » Eh bien, non, au fond, je n'en sais rien. Et je ne suis pas très disposé à me chercher à toute force des raisons profondes, craignant, si je le faisais, de tuer la poule aux œufs d'or – même si ma poule à moi ne pond que des œufs ordinaires, et parfois à la limite du consommable.

– Sinon, c'est avec le même plaisir que toutes les années précédentes que j'accueille la perspective de quitter août pour septembre. Peut-être parce que, enfant, j'ai toujours aimé la rentrée des classes, et cette amorce des jours déclinants qui conduit vers l'hiver. De plus, cette année, d'une manière ou d'une autre, ce mois de septembre devrait susciter des changements dans notre existence. Car on aura beau dire et faire le malin : passer du stade d'actif (si peu, si peu ! comme chantait Marcel Amont sur un 45 tours de mon enfance) à celui de retraité, ce n'est pas tout à fait rien.

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