jeudi 30 mars 2017

Février 2017








ESCALE À PORT-ROYAL







Mercredi 1er février

Sept heures dix. – Excellente idée qu'a eue Catherine – sans même m'en parler au préalable – de proposer à Anna et Dominique “Pluton” que nous nous rejoignions, le temps d'un week-end (qui pourrait d'ailleurs être, si je puis ainsi m'exprimer, un “week-end en semaine”), à mi-chemin de notre Normandie et de leur Provence. Dans une carte que nous avons reçue ce matin, Anna y souscrit d'enthousiasme. Du coup, cela a relancé mon envie de Berry, et plus précisément de Nohant, d'autant que la maison de la Bonne Dame se trouve justement équidistante des deux nôtres (en trichant un peu : les Pluton auront une centaine de kilomètres à parcourir en plus que nous). J'ai donc proposé à Dominique cette destination, qui semble lui agréer beaucoup, et j'y ai joint deux liens conduisant à des hôtels-restaurants, l'un à La Châtre, l'autre à Nohant, dans l'enceinte même du parc ayant appartenu à la baronne Dudevant – si j'ai bien compris. Comme Dominique est le seul de nous quatre qui travaille encore, c'était évidemment à lui de déterminer la période de notre double pérégrination : on s'achemine, aux dernière nouvelles qu'il me donne, vers la première quinzaine d'avril. L'avantage, pour Catherine et moi, est que nous pourrons en profiter pour inviter à dîner le père B., qui vit désormais tout près de là, depuis sa mésaventure lyonnaise. Nous hésiterons d'autant moins à le faire que je suis certain qu'entre les Pluton et lui la “carburation” se fera à merveille.

– N'ayant pas trop envie d'attaquer David Copperfield sitôt après avoir abandonné Oliver Twist, je flotte un peu dans mes lectures. J'ai repris tout à l'heure L'Art de raconter, de Dominique Fernandez , dont je n'avais aucun souvenir (refrain connu), alors que je dois pourtant bien l'avoir lu, après l'avoir acheté, il y a une poignée d'années (le livre date de 2006). Je tâcherai d'y revenir un de ces soirs.

– Demain, matinée levalloisienne et médicale : j'ai rendez-vous à 11 heures chez l'oculiste pour un “fond d'œil”. Comme cet examen provoque une dilatation gênante des pupilles, et empêche donc de conduire durant plusieurs heures, Catherine est contrainte de m'accompagner afin de ramener ensuite Liselotte à bon port.


Jeudi 2 février
  
Sept heures et demie. – Rien aux yeux ! C'est une chance et un soulagement car, de fait, je n'ai que deux vraies grandes terreurs, dans l'existence : la maison de retraite et la cécité ; l'abomination suprême étant, je suppose, de se retrouver aveugle et incarcéré. Pour la première de ces deux peurs, le mouroir collectif, il n'y a vraiment que peu de risques que j'y échoue un jour, dans la mesure où je suis à peu près assuré de replier le pébroque relativement jeune : au feeling, comme ça, je dirais 70 ans si tout se passe bien. Quant à la cécité – ou à l'aveuglement, pour parler comme José Saramago –, eh bien, le seul moyen de s'en prémunir (pas garanti par la faculté hélas) est de se soumettre scrupuleusement à tous les examens que prescrit l'oculiste ; laquelle a émis le souhait de me revoir dans un an et demi : elle peut compter sur moi.


Vendredi 3 février

Sept heures dix. – Pour les esprits faibles et influençables, comme le mien, certaines lectures se révèlent onéreuses ; L'Art de raconter, de Fernandez en fait assurément partie. Comme l'auteur sait parler des écrivains qu'il aime, la tentation est grande de le suivre sur ses différentes pentes ; et comme, désormais, acheter un livre se fait sans même y penser, d'une simple pression de l'index, les dégâts peuvent s'avérer redoutables. Ainsi, moi : pourquoi, à la rigueur, ne pas découvrir des écrivains connus seulement de nom, tels que Hrabal ou Istrati ou encore le Français Gustave Aimard ? D'autant que leurs livres ne sont pas si chers, finalement : allons-y ! commandons ! Mais était-il bien raisonnable d'y adjoindre les deux fort volumes du Port-Royal de Sainte-Beuve ? Sans doute que non. Pourtant, durant quelques minutes, il m'a semblé impossible de continuer à vivre, ce qui s'appelle vivre, sans avoir l'ouvrage à portée de main et d'yeux dans les meilleurs délais. Quelques minutes… Plus qu'il n'en faut pour passer le clic fatidique…

Cela dit, c'est très bien, Istrati, dont le Kyra Kyralina est arrivé ce matin et dont j'ai lu les deux tiers cet après-midi : c'est l'Orient à portée de main, on y parle grec, turc et roumain, Constantinople est à deux pas, les femmes se fardent et s'empiffrent de gâteaux sans quitter leurs lits pleins d'odeurs légères, elles sont adulées par leurs soupirants et tabassées par leurs maris et leurs fils, ce qui les oblige, après leur passage, de s'enduire tout le corps d'onguents au benjoin, etc. Et c'est encore, Panaït Istrati, un Roumain qui a écrit toute son œuvre directement en français.


Samedi 4 février

Sept heures vingt. – La maison Lagardère est une grande maison. Les premières factures que Catherine leur a envoyées étaient datées du 4 décembre ; lorsqu'elle avait posé la question, une personne de la DRH lui avait répondu que les factures, chez L.A., étaient payées “aux soixante jours”. Eh bien, ce matin, 4 février, Catherine a trouvé dans sa boitamel un pdf qui l'y attendait depuis 0 h 03, lui indiquant qu'un ordre de virement venait d'être émis en sa faveur, ainsi que le décompte précis des sommes qu'elle allait recevoir. Elle en était tout épatée, et moi aussi. Pour faire mon esprit fort, je lui ai tout de même fait remarquer que, du 4 décembre au 4 février, il y avait 62 jours, et que, donc, son employeur avait failli à sa parole.

– Sinon, j'ai beaucoup lu et reçu un certain nombre de livres nouveaux. Mais, je ne sais pas pourquoi, en parler maintenant me fait abondamment suer. Et puis, je suis attendu devant la télévision par Catherine et Robert Rodriguez : El Mariachi !


Dimanche  5 février

Sept heures dix. – J'ai créé hier un nouveau livre “Blurb” (non, décidément, je ne m'y ferai jamais…) afin d'y mettre mon journal de 2016, que ma mère ne manquerait pas de me réclamer si je tardais trop à le lui apporter. J'en ai terminé tout à l'heure avec le mois de janvier, un peu surpris de constater qu'il remplissait près de cinquante pages à lui seul. Je suppose que les mois suivants vont aller s'amenuisant, mais après tout je n'ai aucune certitude à ce sujet. C'est, de toute façon, sans la moindre importance, qu'il soit volumineux ou non. Pour l'instant, le titre général retenu est : Chef-d'œuvre à la mer. Et j'ai trouvé, en date du 15 janvier, la petite phrase idiote ou vide de sens que j'ai pris l'habitude d'imprimer en quatrième de couverture. Elle est brève et dit ceci : « En plus de tout ça, je suis allé à la déchetterie. » Si je trouve encore plus absurde dans la suite, je la changerai ; ou bien j'en mettrai deux : il faut savoir ne pas être prisonnier du carcan des traditions, aussi vénérables soient-elles.

– J'ai presque terminé Le Christ s'est arrêté à Éboli, excellent livre, contenant même des pages admirables, sans que l'écriture ne se départe jamais d'une grande sobriété. Par moment, l'évocation de ces paysans de Lucanie (aujourd'hui Basilicate), de leur misère toute imprégnée d'une résignation traversée par de brusques éclairs de colère, me faisait penser au documentaire réalisé dans les années trente par Buñuel, dans cette région particulièrement déshéritée d'Espagne dont le nom m'échappe pour le moment. (Je viens d'aller voir sur Wiki : la région est celle des Hurdes, en Extrémadure, et le documentaire s'appelle Terre sans pain ; en espagnol : Las Hurdes, tierra sin pan.)


Lundi 6 février

Sept heures dix. – Les Puissances tutélaires n'ayant pas jugé utile de faire appel à mes services, j'ai pu “importer” février et mars dans le livre Blurb. En effet, comme je le prévoyais, ils sont moins copieux que janvier, mais pas au point que j'aurais cru, puisque je me retrouve avec 130 pages pour les trois premiers mois. En revanche, je me suis rendu compte que, le volume 2015 s'intitulant Ma vie est un Chef-d'œuvre, je ne pouvais pas appeler 2016 Chef-d'œuvre à la mer. Pour l'instant, je me suis arrêté, non pas à Éboli, mais sur Roman à la mer : j'espère pouvoir trouver mieux en cours de relecture.

– Terminé le livre de Carlo Levi, puis lu le court volume d'Istrati qui s'intitule Mes départs, et qui, par moment, m'a rappelé Jack London, mais un London qui porterait sur ses épaules deux mille ans de civilisation méditerranéo-médio-orientale. Là-dessus, comme les deux volumes “Bouquins” venaient d'arriver par la poste, je me suis lancé dans le Port-Royal de Sainte-Beuve : je ne suis pas sûr que le frêle esquif de mon intelligence me permettre d'aller au bout de cette impressionnante traversée, sans appeler à l'aide je ne sais quels gardes-côtes. On verra. Comme je n'ai pour l'instant lu que l'introduction (intéressante, utile et sobre, bien que due à un universitaire), je me sens plein d'allant. Avec, pourtant, un premier bémol : c'est écrit bien petit, pour des yeux sexagénaires…


Mardi 7 février

Sept heures dix. – C'est un très bel écrivain que Sainte-Beuve, et les cent premières pages de son Port-Royal sont superbes. Pour l'instant, par la maîtrise du style et le déploiement de son sujet, il me fait penser à Taine, celui des Origines de la France contemporaine (ce qui est peut-être une ânerie, mais qui viendra me démentir ?) Ce qui semble remarquable (j'ai lu à peine un quinzième de l'ensemble…), c'est que, bien que suivant un plan apparemment rigoureux, il donne tout de même une belle impression de liberté, presque de vagabondage, en introduisant dans son récit certaines digressions qui doivent lui tenir à cœur, sous des prétextes somme toute assez minces ; comme, dans le livre premier, à propos de la fameuse Journée du Guichet, qui vit l'affrontement entre la toute jeune Mère Angélique (17 ans) et son père, chef de la famille Arnauld, lorsqu'il se lance avec une vraie gourmandise dans un parallèle de plusieurs pages serrées avec le Polyeucte de Corneille, au travers notamment de la belle figure de Pauline, l'épouse du personnage éponyme. Je ne sais pas si j'irai au bout de ces quelque mille cinq cents pages, mais, pour l'instant, je suis tout excité de les avoir devant moi ; et je remercie Dominique Fernandez de m'avoir incité à cet achat.


Vendredi 10 février

Cinq heures. – J'ai terminé hier le transport de mon journal 2016 dans le logiciel Blurb. J'ai été surpris de constater que j'avais davantage écrit l'année dernière que les deux précédentes : 356 pages contre un peu moins de 300 pour 2014 et nettement moins en 2015. Tout à l'heure, avec le secours de Catherine, nous avons finalisé l'opération, ce qui consiste à bien faire attention de cocher les petites cases “couverture souple” et “impression noir et blanc”, sous peine de se retrouver avec des livres coûtant leur poids en pépites d'or fin. Nous sommes arrivés à un volume de 12 € tétécé, plus le port bien entendu. Pour les éventuels acheteurs, j'ai ajouté cinq euros, car il est moral que l'auteur d'un livre gagne de l'argent avec icelui, dût-il n'en vendre qu'un seul. Enfin, nous avons comme d'habitude passé commande de deux exemplaires, l'un pour nos archives conjugales et l'autre pour ma mère.

D'ici une heure, nous serons installés au salon devant un modeste apéritif, lequel aura une double justification. La première est que Catherine a fini de repeindre entièrement la salle de bain, dans laquelle plus personne n'osera désormais se laver tant elle rutile et étincelle ; l'autre est que les premiers sous venant de Lagardère sont enfin arrivés sur le compte “dédié” de Catherine, mon valeureux micro-entrepreneur, dont l'emploi est aussi fictif que celui d'une Pénélope au carré. Comme la même a décrété qu'il nous fallait désormais dépenser  à mesure l'argent qui commençait d'affluer, nous avons décidé, sur sa suggestion, de nous offrir une courte escapades chaque mois. Pour le mois de mars, nous appuyant sur la visite que nous voulions faire à André et Béa, à Strasbourg, nous partirons vingt-quatre heures plus tôt afin de bivouaquer à Colmar ; ou, plus précisément, à Kaysersberg, où se trouve Le Chambard. En avril, la promenade nous conduira à Nohant, où nous aurons le plaisir de retrouver Anna et Dominique “Pluton”, dans cette auberge qui, à ma grande stupéfaction, a pour nom La Petite Fadette. (Je viens de m'apercevoir que, ce journal devant être publié fin mars, le voyage alsacien ne sera déjà plus qu'un souvenir lorsque mes dizaines de milliers de lecteurs en prendront connaissance.) Enfin, en mai, nous cinglerons droit sur l'Atlantique, Catherine ayant une tenace envie de découvrir Guérande depuis qu'elle a lu la Beatrix de Balzac. Nous logerons à quelques kilomètres, au Castel Marie-Louise de La Baule. À propos de La Baule, d'ailleurs, je suis presque sûr de connaître quelqu'un qui a des accointances là-bas, mais pas moyen de me rappeler qui. Je pencherais pour Matthieu Woland, mais sans la moindre assurance. Pour juin, rien n'est encore décidé ; et il est à prévoir que nous ferons relâche en juillet et août, ne tenant aucunement à côtoyer des hordes d'imbéciles cousus d'enfants. Et puis, c'est en juillet et août que je risque d'avoir le plus d'articles en commande de la part de FD : il faudrait voir à faire tourner la machine à son plein, ne serait-ce que pour financer avec largesse les petits séjours ultérieurs.

Sept heures et demie. – J'ai oublié (pas étonnant, on va le comprendre…) de signaler un incident, à propos du livre “Blurb”. C'est que, après l'avoir finalisé, inspecté dans ses moindres détails, après avoir reniflé à deux tous les pièges possibles, puis l'avoir enfin commandé, je me suis soudain aperçu – les écailles me tombant des yeux, comme on dit – que nous venions de commander (et payer…) un livre, dont le recto était au verso et réciproquement. Soudain devenue économe, Catherine me dit : « On s'en fout : c'est juste pour nous et pour ta mère ! » Sa position se défendait, c'est vrai : ma mère, si on lui avait présenter la chose comme une bourde monumentale de son fils aîné, en aurait ri et aurait lu le livre tout pareillement. Mais c'est que, moi, ça ne m'allait pas du tout, ce “devant derrière” ! Heureusement, nous avons trouvé tout de suite le moyen d'annuler notre commande. Il ne me restait plus qu'à réparer le dégât provoqué par mon cerveau en miettes, renommer le “projet” et passer commande du nouveau livre qui, revu par saint Éloi comme la culotte de Dagobert, se présentait désormais à l'endroit.


Dimanche 12 février

Sept heures dix. – Rien de notable à inscrire ici, ni hier, ni aujourd'hui : je n'ai pas bougé de la maison, n'ai rien écrit, et me suis contenté d'avancer, assez lentement, dans le Port-Royal de M. Sainte-Beuve. J'en suis à la mort de Saint-Cyran – soit aux alentours de la page 350, sur 1500 –, on vient de me présenter Guez de Balzac, on décortique pour moi l'Augustinus du camarade Jansenius (ce qui ne constitue pas la partie la plus enthousiasmante de l'ouvrage, assez loin s'en faut), et je sens que Blaise Pascal ne va pas tarder à débouler des coulisses. Son arrivée ne devrait d'ailleurs pas accélérer ma lecture, ayant plus ou moins prévu, à mesure qu'il en serait question, de relire une à une ses Provinciales. (Non, pas de relire, cessons de plastronner : de lire. Car, jusqu'à maintenant, et encore il y a longtemps, je n'ai guère fait plus qu'en survoler deux ou trois, de ces fausses lettres.) Dans le himmel qu'il m'adressait il y a deux ou trois jours, Michel Desgranges m'adjurait de ne pas céder aux séductions  (et aux erreurs, ajoutait-il) de Sainte-Beuve, à propos de ceux qu'il nomme (Desgranges, pas Sainte-Beuve) les “hérétiques de Port-Royal”. Je lui ai répondu que le risque d'y succomber était fort mesuré, dans la mesure où ces personnages, Saint-Cyran en tête, me semblent être de foutus drôles, pas drôles du tout justement, et marqués par une assez nette propension à la tyrannie morale, vu le peu d'appétence qu'ils semblent avoir pour la liberté et le libre arbitre de l'homme.  Par ailleurs, je suppose que n'est pas étranger à la détestation de Michel à leur endroit le fait que beaucoup de jansénistes, au siècle suivant celui dont je suis occupé pour le moment, se sont montrés très en faveur de la Révolution française (témoin l'abbé Grégoire), de la liste civile du clergé, etc. ; je reconnais que cela, à mes yeux non plus, ne témoigne guère en leur faveur. Il ne devrait pas être impossible de montrer que les jansénistes ont continué d'exister au XXe siècle, où on a pris l'habitude de les appeler communistes. L'un des effets amusants de cette lecture au long cours, c'est que, par contrecoup, je trouve les jésuites de plus en plus sympathiques. Il est vrai que je n'ai jamais rien eu contre eux, ces braves jésuites, qui ont tout de même réussi, à peu près à la grande époque de Port-Royal d'ailleurs, à avoir le voluptueux et énigmatique Aramis pour général. Alors que les jansénistes me feraient plutôt penser à Robespierre et consort, évocation nettement moins plaisante : on sent qu'il n'y a pas très loin, de Saint-Cyran à Saint-Just.

Pour rester dans le même environnement spirituel, et sur les conseils du même Michel Desgranges, j'ai commandé tout à l'heure De l'Église gallicane (ce n'est pas le titre complet) de Joseph de Maistre. Ce qui m'a fait songer que je possède depuis plusieurs années, du même, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, en un gros volume “Bouquins”, et que je n'ai jamais dû qu'en feuilleter les premières pages, je me demande bien pourquoi.

– Hier soir, pour tenter d'amortir la redevance que l'on nous contraints à payer, j'ai voulu laisser un peu tomber les séries enregistrées pour regarder un film passant sur de nos chaînes payantes (payantes en plus de la redevance, et que nous ne regardons quasiment plus…), en l'occurrence L'Évangile selon saint Matthieu de Pasolini. Catherine à tenu trois quarts d'heure, et moi un de plus : c'est ennuyeux à périr. Et pourtant, il commençait bien : la confrontation de Joseph avec Marie enceinte est une belle scène, par exemple. C'est dès que Jésus, le Jésus adulte, se met à dispenser sa parole que le film se casse la figure, me semble-t-il. Bref, ce soir, on va revenir à The Shield.


Lundi 13 février

Sept heures cinq. – Journée bornée de lectures, en amont celle de Sainte-Beuve, en aval de Panaït Istrati, dont j'ai reçu le premier volume des œuvres complètes ce matin. J'aurai l'occasion, je pense, de revenir sur le Roumain (mais écrivain français, puisque s'exprimant dans cette langue). Quant au premier, me voilà rendu à près de cinq cents pages de son Port-Royal : lecture parfois ennuyeuse, au moins pour moi, notamment lorsqu'il disserte sur les épais volumes écrits et publiés par ses grands fâcheux, mais beaucoup plus intéressante lorsqu'il retrouve le déroulé de l'histoire, parsemé de portraits et même d'anecdotes, dont certaines fort savoureuses.

C'est le cas lorsque apparaît – à la page 400 très précisément –, pour un bref tour de piste, M. de La Petitière. Si l'on en croit Pierre Thomas Du Fossé, l'un des illustres solitaires de la maison, ce gentilhomme poitevin passait pour la meilleure épée de France, au point que Richelieu aimait l'avoir à son côté pour assurer sa sécurité. Bretteur sanguin aux yeux de feu, toujours prêt à se lancer dans les plus folles équipées, aimant chercher et vider querelles, etc. Or, le voilà un jour touché par la grâce du repentir, décidé à s'abîmer dans la solitude et la prière “pour se punir à proportion de ses crimes et pour s'humilier à proportion de son orgueil”, précise dans ses mémoires le jeune Du Fossé. La Petitière est le héros d'une saynète contée par un autre contemporain, le père Rapin :

« Il étoit si vaillant que menant un jour l'âne du monastère au moulin, au retour son âne et sa farine furent pris par trois soldats, dont la campagne étoit alors infestée pendant la seconde guerre de Paris. Comme il fut de retour au logis, on lui demanda comment il s'étoit laissé dévaliser de la sorte : “Est-il permis de se défendre à un chrétien dans notre morale ?” dit-il. – “Pourquoi non ?” lui répondit-on. À même temps il prend un bâton à deux bouts, qu'il trouva par hasard en son chemin, court après les soldats qui l'avoient volé, les désarme et les amène les poings liés derrière le dos à Port-Royal où, les ayant conduits à l'église pour faire amende honorable devant le Saint-Sacrement, il leur fit une espèce de réprimande charitable mêlée d'instruction et les renvoya avec une aumône. »

Est-ce qu'on ne se croirait pas au cœur d'un roman de Dumas ? C'est qu'il y a du mousquetaire, dans ce La Petitière, et même de trois ! On lui voit l'impétuosité un peu brouillonne du jeune d'Artagnan, quand il s'agit de rattraper et maîtriser ses voleurs ; la naïveté enfantine de Porthos (“Comment ? On a le droit de se défendre ? Ah, morbleu, j'y cours !”) ; et l'équanimité dans le pardon et la largesse d'un Athos, plutôt celui de Vingt ans après que du roman initial. Finalement, le seul qui paraisse n'avoir prêté aucun trait à notre moine bretteur c'est Aramis, bien qu'il fût le seul d'Église.

– Pour que cette entrée ne soit pas entièrement littéraire, je préciserai qu'entre Sainte-Beuve et Istrati j'ai expédié, dans les deux sens du terme, six mille signes à propos de Mme Carla Bruni épouse Sarkozy ; ce qui, en une heure et demie, m'a largement remboursé l'achat des deux auteurs qui meubleront encore ma journée de demain, et plusieurs autres ensuite : la vie est assez bien faite.


Mardi 14 février

Sept heures vingt. –  Journée rigoureusement semblable à celle d'hier : Sainte-Beuve le matin, Istrati l'après-midi. Seule différence : pas de FD entre les deux. Je ne vois pas ce que je pourrais ajouter à cela.


Mercredi 15 février

Neuf heures et demie du matin. – Au fond, le seul résultat vraiment notable (pour l'instant) d'une fréquentation aussi assidue que la mienne depuis une semaine des Saint-Cyran, Arnauld, d'Andilly, et autre Saci ou Le Maître, de Port-Royal, pour ne rien dire de Blaise Pascal, c'est une envie à peine résistible d'aller respirer une brise plus fraîche et de se détendre un peu avec Montaigne ; conséquence paradoxale, puisque Montaigne fait justement partie de ces écrivains que, malgré plusieurs tentatives, je n'ai jamais pu lire au long : au bout d'une cinquantaine de pages, que je prenne ses Essais à leur commencement ou bien n'importe où, mon esprit se met à battre la campagne, mes paupières ensuite s'alourdissent et, finalement, le livre me tombe sur les genoux. Mais, après ces grandes lampées de jansénisme, ce sera peut-être le moment de retenter ma chance avec lui.

– Si je viens dans ce journal à une heure aussi inhabituelle, c'est que notre voisin, M. H., et son épouse qui lui sert de “petite main” occupent la maison, où ils changent la porte-fenêtre du salon : activité réfrigérante et bruyante, qui m'a d'autant plus incité à venir me réfugier ici que les deux sont du genre fort communicatif – surtout elle –, et que les conversations sur les diverses entourloupes dont se rendent généralement coupables les assureurs ont tendance à me lasser assez vite. J'ai donc mis Sainte-Beuve sous mon bras, un gobelet de café dans l'autre main et ma pipe au bec, pour venir me réfugier en cette oasis annexe. Avec l'espoir que la pose de la nouvelle porte ne durera pas la journée entière (pour l'instant “on” vient d'en terminer avec la dépose de l'ancienne).

(Et tandis que j'écris cela, je vois mes duettistes revenir de leur camionnette vers la maison, avec la porte neuve…)


Dimanche 19 février

Sept heures dix. – Journée chez les Desgranges, hier, semblable à ce que sont toutes les journées que je passe chez eux depuis quelques années (combien, d'ailleurs ? Trois ? Quatre ? Cinq ? Au moins quatre, je pense). Vu mes lectures actuelles et celles de Michel, il fut beaucoup parlé de jansénisme et de quiétisme. Mais aussi, bien sûr, de films, muets et sonores, et de séries américaines. Quant au trajet, il fut un peu pénible à l'aller : l'épais brouillard qui régnait ne s'est dissipé qu'entre Verneuil-sur-Avre et La Ferté-Vidame ; au retour, en revanche, grand soleil ; mais, comme il était couchant, il avait tendance à m'éblouir par l'intermédiaire de l'un ou l'autre des rétroviseurs de Liselotte. Conséquence financière habituelle de cette visite : j'ai, ce matin, commandé trois séries en DVD ainsi qu'un livre de Joseph de Maistre, Du Pape, suivi de De l'Église gallicane, que Michel aimerait beaucoup que je lise. Je l'ai trouvé dans une édition de 1870 qui m'a coûté plus cher qu'un volume neuf de la Pléiade, mais qui était tout de même ce que j'ai trouvé de meilleur marché : lire les bons auteurs réactionnaires se mérite.

– Demain, nous allons derechef nous faire matutinalement virer de la maison, par le poseur de parquet et de sols divers : il va cette fois s'attaquer au salon de télévision puis à la salle de bain, dont Catherine a repeint les carreaux muraux en début de semaine. Cela ne devrait pas lui prendre plus que la matinée.


Lundi 20 février

Sept heures dix. – J'en ai plus qu'un peu assez, depuis quelque temps, de ce journal (un quelconque “effet retraite” ?), de cette sorte d'astreinte à y venir, chaque soir ou presque, entre dîner et télévision, pour y noter sans envie des faits de plus en plus ténus, et rien d'autre. Ce n'est d'ailleurs pas qu'il se passe moins de choses, mais plutôt que s'amenuise l'envie de les examiner, avant de les relater : ce n'est pas l'existence qui s'appauvrit et se resserre (quoiqu'un petit peu tout de même) : c'est moi qui me dessèche. Par exemple, il y a encore quelques mois, j'aurais évidemment consacré un paragraphe ou deux à Knut Hamsun, écrivain que je ne connaissais jusqu'à présent que de nom et dont je découvre les romans depuis quelques jours (La Faim d'abord, puis, en ce moment même, Mystères). J'en aurais parlé, c'est sûr ; j'aurais sans doute tenté de discerner mieux pour quelles raisons ils m'ont tout de suite fait penser à Dostoïevski ; je me serais peut-être efforcé de voir, puis de dire, en quoi ils étaient par ailleurs différents ; etc. Là : rien. Je n'ai tout simplement pas envie.

– Sinon, rassurons les foules impatientes et angoissées : le poseur de sols était bien au rendez-vous ce matin et, à une heure et demie, il en avait terminé du salon télé et de la salle de bain.


Jeudi 23 février

Cinq heures et quart. – Catherine est évidemment partie trop tôt de la maison, pour aller chercher sa sœur à la gare d'Évreux, laquelle (la sœur, pas la gare d'Évreux) nous arrive de son Jura d'adoption pour passer la soirée et la nuit ici, en attendant le rendez-vous qu'elle a demain à Paris – rendez-vous dont j'ai totalement oublié les tenants et aboutissants. Elle vient de m'appeler pour me signaler que le train est parti avec vingt minutes de retard de Saint-Lazare, ce qui lui fait presque une heure à attendre dans la voiture. Conclusion de l'intéressée, un peu marrie : « Heureusement que j'ai emporté mon sudoku ! » C'est une chance, en effet.

– Poursuivi mes lectures, selon un mode et un rythme désormais entré dans les mœurs : Sainte-Beuve le matin et un romancier l'après-midi (depuis hier, abandon provisoire d'Hamsun et retour à Istrati). Quant à Port-Royal, Sainte-Beuve et moi en avons terminé avec Pascal et nous acheminons tranquillement vers Pierre Nicole puis Jean Racine, lequel clora cette épopée de 1500 pages serrées (j'en suis à 850). Après cela, pour changer radicalement de point de vue, je donnerai la parole à Joseph de Maistre, arrivé hier : Du Pape, suivi de De l'Église gallicane ; encore un pavé, mais tout de même moins imposant. Encore ensuite, j'ouvrirai sans doute les deux volumes de l'histoire des jésuites dont j'ignorais que Jean Lacouture l'eût commise. Après quoi, je pense que j'en serai quitte avec religion et religieux pour un bon moment.

– Je ne sais si je l'ai déjà noté ou non, mais je suis quasiment décidé à ne voter pour personne à la prochaine consultation électorale. Je sais bien que le vote consiste souvent à choisir le “moins pire”, mais enfin il faut tout de même que ce moins pire ne le soit pas encore trop, pire ; or, là, ils le sont tous. Ce qui fait que, après une parenthèse “citoyenne” finalement assez courte, je vais redevenir l'abstentionniste que j'ai très longtemps été. Je crois que le coup grâce a été, hier, de voir ce lugubre guignol de François Bayrou courir se vautrer dans la gamelle Macron, dont il disait pis que pendre avant-hier, lorsqu'il espérait encore pouvoir lui chiper sa portion de rata. Il semble tellement inenvisageable qu'un aussi pitoyable attelage parvienne au sommet de l'État, qu'ils vont sûrement y arriver. Ce jeu de dupes se jouera donc sans moi, ce qui ne changera d'ailleurs rien.


Vendredi 24 février

Sept heures dix. – La soirée avec Nathalie a été plutôt longue, mais agréable, et assez nettement alcoolisée ; trop, en tout cas, pour ce que sont devenues mes capacités de résistance et de récupération : j'ai passé la journée à me traîner sans goût pour rien ; jusqu'à ce que, tout à fait par hasard, je retombe sur un recueil de chroniques de Bernard Frank (Vingt ans avant, Grasset), si savoureuses qu'elles ont enfin réussi à me réveiller un tant soit peu. J'ai aussi regardé les deux premiers épisodes d'Une nuit en enfer, la série que Robert Rodriguez a tirée de son propre film éponyme : très décevante pour le moment ; j'espère que tout cela va s'animer un peu lorsqu'on arrivera dans le bar à vampires. Pour le moment, j'ai l'impression qu'on s'est contenté d'étiré sur huit heures un film de deux, en gardant la même histoire, sans l'enrichir de petits épisodes adventices ; d'où une multiplication de longs dialogues ne menant nulle part, l'une des plus fâcheuses tendances de Tarantino (auteur du scénario original et originel).

– FD m'a passé commande de cinq mille signes sur Céline Dion, après m'avoir laissé toute la semaine en jachère. À cette occasion, Florian m'a confirmé que Philippe B. voulait (c'est-à-dire avait reçu consigne de) faire des économies et que lui, Florian, devait quasiment “se mettre à genoux et supplier” lorsqu'il voulait que l'on me confiât un article. En somme, tout se passe exactement comme je l'avais prévu dès le départ de cette collaboration.


Samedi 25 février

Sept heures dix. – Ce qu'est l'esprit de contradiction, voire d'auto-contradiction : je passe mon temps, depuis plusieurs semaines, à acheter livre sur livre, lesquels, arrivant plus vite que je ne saurais les lire, s'entassent sur ma petite desserte salonnière en piles incertaines ; cela ne m'a nullement empêché, une partie d'hier et tout aujourd'hui, de ne pas quitter les Vingt ans avant de Bernard Frank, livre déjà lu à sa sortie et qui ne me demandait rien, tranquillement allongé qu'il était sur son rayonnage, en la compagnie de Léautaud (à qui d'ailleurs il ressemble par certains côtés) et celle de Louis-Sébastien Mercier. Et la perspective agréable est qu'il m'en reste encore quelques dizaines de pages pour demain matin. Après quoi, il faudra tout de même que je fasse mine de m'intéresser à Mme Dion Céline. Ensuite, Frank lu et Dion exécutée, on aura l'esprit libre pour revenir à Sainte-Beuve ou à Istrati. Et je profite de la tribune qui m'est offerte pour renouveler solennellement le serment que je me suis fait il y a une semaine, tout aussi solennellement, et que je me suis empressé d'enfreindre dès que j'ai eu le dos tourné, celui de ne plus acheter le moindre livre avant un mois minimum ; ou, disons, tant que les piles n'auront pas perdu moitié de leur hauteur actuelle. [Note du 7 mars : serment évidemment pulvérisé dès les jours suivants…]


Lundi 27 février

Onze heures du matin. – Je suis, ce matin, passé des chroniques de Bernard Frank aux Croquis de mémoire de Jean Cau, déjà lus eux aussi ; ce qui est une manière de faire se tenir vertical le fléau de ma balance idéologique, entre sa gauche et sa droite. Ils sont souvent très bien, ces portraits dont Cau nous gratifie ; souvent mais pas toujours : parfois on sent que le personnage qui pose devant lui l'inspire moins, et c'est là qu'il se met à en faire un peu trop, à noyer sous une pâte stylistique un peu trop épaisse, aux couleurs trop appuyées, trop volontaires, l'inspiration médiocre que lui communique son modèle. Mais enfin, dans l'ensemble, c'est une lecture savoureuse. Et puis, il a connu tout le monde, Cau : c'est l'avantage d'avoir été d'abord secrétaire de Sartre puis une “plume” de Paris-Match, à l'époque où cet hebdomadaire ne les avait pas toutes perdues.

– Depuis ce matin (et peut-être même avant, comment savoir ?), il règne ici un vrai hiver normand : 10° et une pluie continuelle, lourde, lente comme les jeunes femmes d'Hardellet.

Sept heures et demie. – Mise en ligne ce matin du journal de janvier. Comme d'habitude, j'ai une poignée de commentaires. Mais aucun, comme je m'y attendais plus ou moins, sur ce qui est pour moi le “pic” de ces trente-et-un jours, à savoir le mail d'Eugène Nicole, dont j'ai pourtant fait le titre de cette “livraison” mensuelle. En un sens c'est normal puisque, à part Suzanne (laquelle a disparu de mon radar personnel depuis déjà quelques mois), je n'ai évidemment réussi à intéresser personne à cet écrivain. Parce que j'ai un goût de chiotte et qu'il est, en réalité, fort mauvais ? C'est toujours possible, évidemment (et je vois bien le petit sourire en coin de Michel Desgranges, sitôt qu'il est question de mes préférences littéraires…). Mais, en réalité, je crois que tout le monde ou presque se fout bien de la littérature, des livres et de ceux qui tentent de les écrire. Je suppose que c'est une vérité première, que tous ceux qui publient des livres connaissent. Mais, pour moi, elle est toute récente, et donc neuve, et donc tout à fait fascinante, puisque je n'ai rien publié avant En territoire ennemi, en 2014, soit à 58 ans. Et je continue à être fasciné par ce complet désintérêt que les deux livres ont suscité ; non pas auprès des lecteurs, des journalistes, etc., mais auprès de gens qui me connaissent depuis des années, qui m'aiment bien pour la plupart, que je fréquentais pour certains tous les jours, et dont certains étaient (me semblaient être, soyons désormais prudent) de vrais lecteurs. Je ne voudrais pas avoir l'air de radoter, mais enfin, si je le fais, c'est que je ne comprends toujours pas par quelle espèce de miracle, ou de malédiction, un certain nombre de personnes, averties de la publication de mes livres, se sont comportées exactement comme s'il ne s'était rien produit.

Bien sûr, j'admets volontiers que, au fond, du point de vue de la littérature, il ne s'est rien passé. Et c'est bien parce que je l'admets que je n'écrirai probablement plus rien : pourquoi ajouter un livre inutile à l'effrayante montagne des livres inutiles qui paraissent chaque siècle, voire chaque décennie ? Mais enfin, de leur point de vue à eux, ces gens dont on pouvait penser que certains liens nous unissaient, même ténus, même factices, il se passait tout de même un petit quelque chose : leur voisin de bureau, leur compagnon de restaurant, leur ancien ami d'adolescence, etc. publiait un livre. Il me semble bien (mais je puis évidemment me tromper complètement) que, dans la situation inverse, et même si leur livre avait été aussi inutile que le sont les deux miens, j'aurais fait en sorte de leur dire que je l'avais lu ; ou que, au moins,j'étais au courant de son existence et la saluais. J'ai beau tourner l'affaire dans tous les sens, je ne parviens pas à comprendre le silence de quelques-uns. Bien entendu, j'ai cherché des explications ; et j'en ai trouvé, forcément. La plus simple, et la plus conforme à mon caractère, était de penser qu'en effet ils m'avaient lu, mais, que, mal à l'aise face à la nullité des ouvrages, ils avaient préféré “faire le mort”, oublier le faux pas, rester sur une bonne impression, quelque chose dans ce genre. Mais, en réalité, ce n'est pas suffisant. Car si je sais que mes écrits ne valent pas grand-chose (j'étais lecteur avant d'écrire, tout de même !), je sais aussi qu'ils ne sont pas indignes ; et que, en se forçant un peu, on pouvait m'en dire des choses gentilles. Moi-même, si un ami à moi avait écrit Le Chef-d'œuvre de Michel Houellebecq, je vois assez bien comment j'aurais pu lui en parler, en grossissant ce qui ne me semblait “pas trop mal” et en balayant plus ou moins sous le tapis ce qui était tout à fait raté. (D'ailleurs, y pensant, il me semble que je pourrais bien faire un billet de blog sous cette forme : la critique “indulgente” d'un ami, à propos de ce roman qu'il a trouvé sans grand intérêt : ce pourrait être amusant…)

Je crois que, à la fin des fins, comme disait de Gaulle, la vérité est que personne ne s'intéresse aux livres, sauf, éventuellement, s'il n'ont rien à voir avec la littérature. Publier un livre revient à ne rien faire, sauf si, par extraordinaire, il vous conduit vers des sommets de vente ou dans des émissions de télévision ; c'est-à-dire quand il vous arrache au livre lui-même. C'est pourquoi je ne déduis nullement de leur absolu désintérêt que les gens de FD, par exemple, ne m'aiment pas ou ne se sont jamais intéressés à moi. Je suis presque sûr que si, demain, j'assassinais Catherine à coups de couteau de cuisine mal affûté, ils seraient tout prêts à venir me soutenir au tribunal ; mais c'est parce que, alors, il m'arriverait quelque chose. Alors que publier un livre, ce n'est, à la lettre, rien.


Mardi 28 février

Quatre heures. – Mais enfin, qu'est-ce qui m'a pris, hier soir, de venir pleurnicher comme je l'ai fait ? Je sais bien que nous avions pris quelques verres de vin avant le dîner, mais tout de même ! C'est parfaitement ridicule et, si je laisse ce pavé, c'est à seule fin de me mortifier un peu, me punir de l'avoir écrit. 

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