vendredi 1 décembre 2017

Octobre 2017











ET CHARLUS VINT









Dimanche 1er octobre

Quatre heures et demie. – Voici un mois qui démarre sous les meilleurs auspices, puisque, lorsque minuit a sonné son inauguration, nous nous trouvions depuis déjà deux heures aux urgences de l'hôpital d'Évreux. Peu de temps avant cela, vers neuf heures, Catherine était partie se coucher en grelottant de fièvre et après avoir toussé toute la journée à peu près sans discontinuer. Grelottante, elle pouvait l'être : par le téléphone intérieur, elle m'annonçait bientôt un inquiétant 39°8, alors même qu'elle avait avalé un Doliprane une heure plus tôt. L'endocrinologue ayant vivement conseillé, en cas de fièvre importante et inopinée, le recours aux urgences, nous sautâmes dans la voiture et fonçâmes vers icelles. Nous commençons par les urgences de la clinique Pasteur, parce que Catherine a ses habitudes dans l'établissement en question. J'étais presque certain que, là-bas, on allait nous rediriger vers l'hôpital général, mais Catherine n'est guère contrariable lorsqu'elle est malade. Bien entendu, il se passa ce que j'avais prévu : direction l'hôpital, situé de l'autre côté de la ville, en pleine nature, accolé au terrain de golf. La salle d'attente était presque totalement vide, ce qui nous parut d'assez bonne perspective. De fait, Catherine fut tout de suite prise en charge (en compte, en considération, au sérieux…) par la jeune femme brune qui se tenait derrière la cloison transparente et percée de petits trous destinés à laisser passer les plaintes dans un sens, dans l'autre les recommandations, mais les postillons dans aucun. Ensuite, après avoir rempli les questionnaires d'usage, nous fûmes séparés, Catherine allant prendre place dans l'un des “box d'examen”, tandis que j'étais invité à patienter dans la salle d'attente quasi-déserte, mais où, évidemment, piaillait tout de même un écran de télévision. C'est à ce moment que je me rendis compte avec un certain effarement que, dans notre départ précipité, j'avais oublié à la maison non seulement ma pipe et mon tabac mais, encore plus grave, un livre.

Malgré tout, je survécus sans trop de dommages visibles à l'heure qui suivit. Quand l'infirmière vint me chercher, elle me trouva tout frétillant de ce que la fin de la corvée semblait en vue. Il était alors dix heures et quart. Je me trompais lourdement : on venait simplement de pratiquer la prise de sang demandée par l'urgentiste de service, il fallait maintenant en attendre les résultats, ce qui, je le savais par expérience, n'allait guère demander moins d'une heure et demie. Et, en effet, c'est au bout de deux heures que le médecin resurgit dans le box n°5 – le nôtre – pour annoncer à Catherine qu'elle avait simplement une bronchite (entretemps, la monotonie de l'attente avait été un peu rompue par la radio des poumons qu'on l'avait emmenée subir) et qu'elle pouvait rentrer chez elle ; d'autant plus que, dans l'intervalle, la fièvre était mystérieusement retombée en dessous de 38°.  Nous étions à la maison peu après une heure, plutôt contents finalement de nous en être tirés à si bon compte, surtout Catherine qui n'envisageait pas sans grand déplaisir un nouveau séjour en cet hôpital qu'elle déteste depuis celui qu'elle y fit en 2013. Il me sembla alors que cette soirée et le rôle héroïque que j'y avait joué justifiaient pleinement l'absorption d'un ou deux gin-coca (boisson que les Espagnols appellent cuba libre) avant d'aller dormir ; ce que fis.


Lundi 2 octobre

Sept heures dix. – Journée passée sans eau et sans chauffage, deux sympathiques plombiers ayant eu à cœur de nous remplacer notre vieille chaudière à fuel par une neuve chaudière à fuel. La bête est en place, l'eau a été rétablie, mais, comme le couvreur chargé de  l'évacuation par le toit de la machine en question (enfin, pas de la machine elle-même mais de ce qui est supposé sortir de ses flancs sous forme plus ou moins gazeuse), nous serons encore privés de chauffage cette nuit et probablement une bonne partie de demain. Heureusement, le temps semble vouloir se maintenir au doux ; pour l'instant. Les plus touchées par cette intrusion artisane furent Odette et Nana : le portail devant rester ouvert à cause de la camionnette à demi engagée dans la descente de garage, elles ont, pour la première fois, dû passer toute leur journée enfermées dans le très exigu enclos qui sert de narthex à leur poulailler. Elles ne semblent pas nous en avoir tenu rigueur puisque, non seulement Nana nous a gratifiés de son œuf quotidien, mais Odette a également pondu le premier des siens. Demain : omelette aux cèpes.

– Le deuxième volume du Journal de Jacques Brenner est arrivé au moment où j'en finissais avec le premier : deux pavés de 800 pages, et il y en a trois autres derrière. Il y a, dans ces pages de jeunesse, des choses tout à fait passionnantes, entrelardées d'autres assez irritantes. Mais j'y reviendrai plus longuement demain (ou un autre jour…), n'ayant pas envie, ce soir, de m'attarder ici.


Mardi 3 octobre

Dix heures et demie du matin. – J'ai beau y être plus ou moins habitué, c'est un phénomène qui me demeure curieux : cette impossibilité à travailler – sauf en cas de force vraiment majeure –, dès lors que la moindre micro-perturbation intervient dans l'ordonnancement des journées. Ainsi, depuis hier matin, j'ai la liste des cinq articles que je dois écrire pour le prochain hors-série de FD ; et même la documentation pour deux d'entre eux. Pourtant, je n'ai encore rien fait, pas même ouvert les pdf de la documentation susnommée, pour une seule raison : depuis hier aussi, les plombiers sont là (plus un couvreur ce matin), qui s'occupent de remplacer la chaudière chargée de nous fournir eau chaude et atmosphère clémente. Or, bien entendu, ils ne travaillent qu'au sous-sol (et partiellement sur le toit…), et je suis donc tout à fait tranquille dans ma Case. Malgré cela, pas moyen de me concentrer si peu que ce soit sur le travail à faire ; j'ai même du mal à lire lorsque je retourne au salon (il est vrai que le journal de Brenner m'ennuie de plus en plus, et qu'il est de moins en moins probable que je fasse l'acquisition des trois volumes qui me manquent – surtout au prix où on les trouve). Heureusement, ces jeunes gens sont censés en terminer aujourd'hui même, en début d'après-midi : la vie va pouvoir reprendre son cours normal dès demain matin…


Mercredi 4 octobre

Onze heures du matin. – Évidemment, suivant la loi qui, pour n'avoir pas de nom n'en est pas moins d'airain, la chaudière neuve, installée d'hier, était déjà en panne ce matin : radiateurs glacés et eau tiédasse au robinet. Notre plombier sauveur a promis de passer dans la journée (dans la nuit m'aurait davantage surpris).

– Après m'être accroché durant les deux cents premières pages du deuxième volume, j'ai finalement abandonné le journal de Brenner, décidément bien ennuyeux, avec ses multiples histoires de coucheries et d'amourachages homosexuels, et fort irritant à cause de son envahissement par les initiales. Cela donne, constamment, des phrases de ce type (laquelle, ici, est inventée par moi à titre d'exemple) : « Entré aux Deux-Magots avec M. Nous tombons sur Z et Cl qui veulent nous entraîner chez G où ils doivent être rejoints par A. Finalement, dîné avec N, R et Q. » Au bout d'un moment ça lasse. Je n'aurai donc pas à acheter les trois tomes suivants, ce qui représente une économie d'environ 120 €.

Sept heures dix. –  Repris le Journal de Gide, sans bien savoir pourquoi. Peut-être par manque d'envie  de commencer un livre “neuf”.


Jeudi 5 octobre

Sept heures dix. – Passé la journée à lire assez paresseusement le Journal de Gide ; plus, en milieu d'après-midi quelques dizaines de pages de l'Histoire naturelle de Pline. J'ai aussi écrit un court billet afin d'expliquer pourquoi… je n'écrivais plus de billet, ou en tout cas beaucoup moins : je crois que je suis passé au-delà. Au-delà de quoi ? C'est une question désormais secondaire, me semble-t-il. Chaque journée qui passe apporte un petit fait nouveau, allant dans la direction générale que je perçois de plus en plus nettement : celle d'un effondrement définitif de notre civilisation, contre quoi il me semblerait vain de vouloir ériger des étais au moyen d'allumettes. Naturellement, il se peut que je me trompe du tout au tout et que cette vision “crépusculaire” que j'ai ne soit rien d'autre qu'un effet de mon âge et du ratatinement spirituel allant avec. Mais quelle importance ? De toute façon, je ne serai plus là pour constater si j'avais raison ou bien tort. Et, dans un cas comme dans l'autre, cela ne peut influer en rien sur le fait que je perds rapidement tout intérêt pour ce qui n'est pas du domaine de la littérature, à commencer bien sûr par la politique et les diverses démences “sociétales” qu'elle favorise quand elle ne les engendre pas. Il me semble qu'il faut être complètement fou pour faire des enfants en ce moment. Mais, bien entendu, l'instinct de l'espèce est plus fort que n'importe quel raisonnement de ce type ; sinon, il y a beau temps que nous aurions disparu de la surface de la terre. Quand je dis “nous”, je parle des peuples civilisés, bien entendu, les autres se reproduisant sans y penser, ce qui doit bien leur faciliter les choses. Mais, au fond, je ne suis pas sûr que nous y pensions beaucoup plus qu'eux, à part l'infime minorité dont je fais partie, laquelle, de toute façon, est sans doute composée de gens qui n'auraient pas fait d'enfant même dans les circonstances les plus favorables d'apparence.


Vendredi 6 octobre

Dix heures du matin. – Je poursuis ma déambulation à travers le journal de Gide (alors que je ferais sans doute mieux de briser un destin ou deux pour FD…), et je suis un peu effaré par les journées que s'inflige continuellement l'écrivain. J'en prends une au hasard, semblable à presque toutes les autres de la même époque, celle du lundi 19 février 1912. On ne sait à quoi Gide a occupé sa matinée, mais elle est suivie par un déjeuner chez lui, où sont Paul Valéry, Henri Ghéon et André Ruyters. Gide note que la conversation ininterrompue l'a énormément fatigué, ce que je conçois fort bien. Seulement, dès trois heures, ce sont Paul Dukas et deux autres personnes qui se présentent chez lui, et la conversation reprend avec ceux-là. À cinq heures, Gide quitte sa maison d'Auteuil pour se rendre chez un certain Eugène, rue de Lisbonne, lequel (après longue discussion) l'accompagne jusqu'au boulevard Saint-Germain, où ils prennent une voiture pour chez Jean Schlumberger, où doit se tenir une réunion NRF. Il y retrouve Ruyters et Ghéon (avec qui il a déjeuné quelques heures plus tôt, je le rappelle), et une douzaine d'autres personnes, dont Alain-Fournier Vildrac, Gallimard et Fargue : de nouveau conversation “par petits groupes”. Sur la réunion se greffe le dîner, qui, bien sûr, ne se passe pas en silence. Et encore, ce jour-là, Gide échappe-t-il à la soirée au théâtre.

Je comprendrais à la rigueur que l'on puisse avoir un tel appétit de vie sociale vers vingt ou vingt-cinq ans ; mais, en 1912, Gide a passé la quarantaine ! Comment fait-il pour parler et entendre parler autant sans céder à des envies de suicides ou de retrait définitif à La Trappe ? Le pire est qu'il se plaint régulièrement de conversations stériles, de fatigue excessive, de temps gâché, de pages non écrites, etc. Mais, dès le lendemain, il recommence. Ou alors, il fuit et va retrouver sa femme à Cuverville. Mais, là, au bout de quelques jours, à la rigueur semaines, il commence à étouffer d'ennui et se dépêche de remettre le cap sur Paris. Et la ronde des conversations reprend de plus belle.

Sept heures vingt. – Je pensais bien, après déjeuner, remettre à demain l'article sur Cynthia Sardou (la fille de) que je dois à FD. Et puis, je me suis dit que six mille signes ce n'était vraiment pas la mer à boire, que c'était l'affaire d'une heure, que je ferais mieux de m'en débarrasser tout de suite ; et je suis venu m'assoir ici. J'avais environ un feuillet (1500 s) d'écrit, lorsque je me suis aperçu que la longueur demandée n'était pas six mille mais bien dix mille signes. Un tel travail, avant de commencer, aurait sans doute suffi à relancer mon envie de procrastination. Mais puisque j'étais en route…

Finalement, j'étais si content de moi, deux heures plus tard, que j'ai décidé de me remettre à la marche quotidienne et suis parti faire le tour du village (il faut recommencer modestement, sinon les muscles se rappellent douloureusement à votre souvenir). Et tout cela sans même la plus petite tentation d'apéro. Fort, le mec.


Dimanche 8 octobre

Sept heures dix. – S'il est une absence retentissante dans le journal de Gide – au moins jusqu'en 1935 où je suis arrêté –, c'est bien celle de Proust. Non pas par méconnaissance bien entendu ; ni de l'homme ni de l'œuvre. Mais, entre 1913 (parution de Swann) et 1922 (mort de son auteur), Gide ne relate qu'une seule conversation avec lui, et même uniquement la partie où ils abordent le thème de l'homosexualité. Ce doit être vers 1920 ou 21, j'ai la flemme de rechercher. Avant, pas un mot ; après presque rien, sinon, en trois lignes à chaque fois, des réserves. En fait, on sent que Gide n'a jamais encaissé la manière dont apparaissent les invertis dans La Recherche, lui reprochant d'en avoir fait des sortes de monstres grimaçants, au rebours, évidemment, de l'image solaire que lui n'a cessé de vouloir en promouvoir dans ses livres. Du reste, lors de la rencontre que je viens de mentionner, il en fait le reproche à Proust. Celui-ci se défend assez mollement, en expliquant que, ayant conféré toute la beauté à ses jeunes gens transfigurés en jeunes filles, il ne lui est plus resté que la laideur et le vice pour ses homosexuels. L'argument est faiblard, et on sent bien que Proust lui-même n'y croit pas, qu'il l'a “bricolé” vite fait pour éluder l'attaque de Gide.

Mais il n'y a pas que cela, que cette raison de surface, ponctuelle. Il me semble que l'irruption de Proust en 1913, et plus encore après le Goncourt de 1919, a dû représenter un séisme terrible dans l'univers de Gide. Qui était assez intelligent et bon lecteur pour s'apercevoir, ou au moins subodorer fortement, que, d'un coup, il venait de perdre toute chance d'être consacré par la postérité comme LE grand écrivain français du premier XXe siècle : Anquetil venant d'apparaître, il se retrouvait avec le maillot de Poulidor. C'était même pis que ça puisqu'il se voyait désormais coincé entre ces deux sommets : Barrès et Proust, l'un ayant alors bien plus d'influence que lui sur la jeunesse, et l'autre se révélant du premier coup un créateur de génie supérieur à lui-même. Dans cette optique, compte tenu de cette déception que l'on devine avoir été cuisante, on doit porter au crédit de Gide de n'avoir rien fait contre Proust, et même d'avoir œuvré pour que la NRF le récupère. Et aussi pour, bon gré mal gré, avoir tout de même reconnu et salué son génie.

(Je voulais aussi parler, toujours à propos de Gide, de son attristante adhésion au communisme, entre 1931 et son voyage en URSS de 1936. Mais, finalement, j'ai préféré en faire un billet de blog, que j'ai programmé pour demain matin.)


Mercredi 11 octobre

Quatre heures. – Je ne crois pas avoir signalé ici que, depuis une petite semaine, je me suis remis à la marche quotidienne, abandonnée depuis des années. Sachant bien que les muscles qui allaient être sollicités devaient être aussi réduits que la peau de chagrin de Balzac, j'ai commencé très modestement le premier jour, en me contentant du tour du village : un quart d'heure (mais à un assez bon rythme). Du côté du souffle, rien à redire ; mais, comme prévu, mes mollets (surtout le droit, bizarrement) se sont douloureusement rappelés à moi, pratiquement dès les premières enjambées. Le lendemain, même parcours plus un aller et retour au terrain de foot : vingt minutes. Le surlendemain, je ne sais plus exactement, mais la boucle s'était de nouveau un peu allongée. C'est hier que j'ai franchi un pas (si je puis dire), en renouant avec l'un de mes circuits d'il y a une quinzaine d'années. Certes, j'ai opté pour l'un des plus courts de l'époque, quarante-cinq minutes (mais il m'a paru bien long…), j'étais néanmoins fort satisfait de moi-même en constatant que la carcasse se montrait tout à fait complaisante à l'effort réclamé d'elle. Aujourd'hui, parce qu'il vente méchamment, je me suis contenté d'une demi-heure. Mais enfin, l'important est que le pli semble repris. Évidemment, le fait d'avoir une douzaine de kilos en moins, à promener par les champs et par les grèves, a bien facilité la reprise. Du coup, j'ai presque hâte de me retrouver dans le cabinet de mon cardiologue pour avoir la fierté de lui annoncer tout cela : on n'est pas plus gamin.

– Reçue hier, je me suis mis à relire la biographie de Gaston Gallimard par Pierre Assouline : lecture aimable, divertissante, écrite sans génie aucun mais dans une langue qui ne rebute nullement, qui donne l'impression de se retrouver enfin chez soi, tant on a l'impression de déjà bien connaître toutes les figures que l'on y croise.

– J'ai aussi pris le temps ce matin, profitant de ce que la femme de ménage me consignait dans la Case, d'écrire douze mille signes à propos d'Anthony Delon, qui n'avait certes pas besoin de moi pour être le triste bénéficiaire d'un destin brisé. Mais enfin, j'ai bien aidé.


Jeudi 12 octobre

Trois heures et demie. – Riche idée qu'a eue Yann Savidan, de me téléphoner hier après-midi. Le motif de cet appel était de m'informer qu'il avait mis la dernière main à son roman, et de me demander d'avisés conseils pour la suite, c'est-à-dire les mille et un moyens de trouver un éditeur complaisant (bon courage, l'ami !). Comme c'est un homme qui a du savoir-vivre, il a commencé par s'enquérir de nous et, entre autres, a voulu savoir si nous avions repris un chien depuis l'hécatombe qui, en une poignée de mois, a fauché Elstir, Swann et enfin Bergotte. Il a eu l'air surpris que nous n'en ayons rien fait, et même légèrement désapprobateur. C'est alors que j'ai eu la fatale imprudence de lui confier que cette absence complète de chien à la maison me pesait parfois. Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde, si je puis dire : une demi-heure plus tard, Catherine avait, sur internet, trouvé trois éleveurs habitant dans l'Eure, dont l'un, à Bourneville emprès Pont-Audemer; pratiquant le cocker en série, race qui nous a semblé représenter un compromis acceptable entre mes goûts (pour les grands et gros pépères) et les souhaits de Catherine, délibérément portée désormais sur le “chien de poche”. Enchaînement implacable, voire diabolique : sur la dernière portée de rouquins, disponibles à partir du 26 octobre, il restait précisément un petit mâle qui attendait encore preneur. Un quart d'heure plus tard, rendez-vous était pris pour ce matin, onze heures. Et, comme de juste, une demi-heure plus tard, nous reprenions la route vers la maison, virtuellement propriétaire d'un jeune cocker feu, dont j'ai déjà oublié le nom, ce qui est sans importance puisque nous avons décidé, surtout moi, que Charlus il serait.

Petit moment comique, lorsque l'éleveur nous a spécifié que le père de Charlus (lequel, au même moment, maculait de boue mes Weston et le bas de mon pantalon avec un bel enthousiasme) était né au Danemark. Aussitôt, Catherine, qui tenait notre futur molosse dans ses bras, s'est mise à lui parler dans cette langue de sauvages, à la grande surprise de notre interlocuteur humain.


Samedi 14 octobre

Cinq heures. – Je commence à la trouver bien agréable, cette marche d'environ trois quarts d'heure qui est devenue mon lot quotidien depuis une huitaine de jours ; même si je dois encore me botter moralement le cul pour m'extraire de mon fauteuil au moment où il s'agit de lacer les chaussures. En réalité, ce n'est pas tant la marche elle-même que je trouve gratifiante que le fait de l'avoir accomplie, que cette plage ultérieure, qui ne doit pas durer loin d'une heure, où tous les muscles se détendent progressivement, où l'on a l'impression de respirer plus large.

– Je prends tellement de plaisir, depuis hier, à relire Le Piéton de Paris de Fargue, que j'ai ressorti de leur rayonnage les trois autres livres que je possède de lui. Du coup, j'ai un peu abandonné les Cahiers de la Petite Dame. D'un autre côté – je veux dire, en arrière-plan du plaisir que j'y prends –, cette évocation de différents quartiers de Paris qui relevait déjà plus ou moins de la nostalgie au moment où Fargue les évoquait, c'est-à-dire dans la seconde moitié des années trente, voilà qui suffit à étaler un voile de tristesse, un fin brouillard de never more, sur tout ce que je lis et sur les images que les phrases font naître.


Mardi 17 octobre

Sept heures dix. – Nous avons, depuis quelques heures et pour dix jours, une pensionnaire : Mona, la très vieille chienne d'une amie de Catherine. D'après sa maîtresse, elle ne voit “plus très bien”. Je suis persuadé qu'elle est en outre complètement sourde, car elle n'a pas le moindre frémissement des oreilles quand on l'appelle par son nom, qu'elle connaît forcément. Sinon, dès son arrivée, elle a affiché une superbe indifférence envers Odette et Nana, qui, du coup, la lui ont rendue avec intérêt (rendre de l'indifférence avec intérêt est d'ailleurs une chose assez curieuse). Comme c'est une chienne habituée, chez elle, à vivre dans le jardin et au sous-sol, elle n'a même pas fait mine de vouloir monter jusqu'à la maison. Même si la pauvre semble vraiment à l'extrémité de sa vie, cela fait tout de même plaisir de revoir un chien ici.

– Je me suis, en début d'après-midi, débarrassé de mon dernier article (dix mille signes) pour le prochain hors-série “Destins brisés” ; je trouve presque vertigineux que l'on en soit déjà au numéro 13. Je suppose que, d'ici une quinzaine de jours, peut-être moins, je vais enchaîner sur le deuxième volume des hors-série “coups de foudres de stars” : pour un type qui est à la retraite depuis près d'un an (l'anniversaire sera le 31 octobre), je me trouve assez productif.

– Je n'ai pas noté ici que je m'étais replongé dans Le Côté de Guermantes, lecture qui fait mes délices, et d'autant plus que je ne relis vraiment que les longs passages où Proust enferme ses personnages dans un salon, ou une salle à manger, et prend un plaisir palpable à les faire évoluer, se frôler et s'entrechoquer devant nous. Je parcours très rapidement tout ce qui ne ressortit pas à ce genre-là, et pense que je vais, ensuite, faire de même avec Sodome et Gomorrhe, avant de sauter directement et à pieds joints dans Le Temps retrouvé.

– Si tout se passe bien, Charlus sera chez nous dans onze jours.


Samedi 21 octobre

Sept heures vingt. – Je suis très sensible aux efforts méritoires et conjoints que font Amazon et Price Minister pour m'inciter aux économies budgétaires, mais enfin, il ne faudrait pas non plus tomber dans l'excès de zèle. En début d'après-midi, je suis venu devant ce clavier pour tâcher de commander les Souvenirs inédits de Ferdinand Bac, auxquels Ghislain de Diesbach se réfère assez souvent dans sa biographie de Proust. J'ai possédé (et lu) un livre de souvenirs de Bac, que j'avais bien aimé et qui, comme de juste, a depuis disparu des rayonnages (j'espère au moins que ce n'est pas moi qui l'ai éliminé lors de ma solution finale d'il y a quelques mois…) : pas moyen de trouver rien qui ressemble à ce que je cherchais, dans l'une ni dans l'autre de ces centrales d'achat. (D'un autre côté, puisqu'il s'agit de souvenirs inédits, j'aurais dû m'y attendre, peut-être…) Deux ou trois heures plus tard, je retente ma chance, cette fois dans l'espoir d'acquérir à vil prix les mémoires de Maurice Rostand : introuvables, même à des tarifs prohibitifs. Je n'ai donc, à mon corps défendant, pas dépensé un sou aujourd'hui.

– Je ne voudrais pas passer pour le snobinard que j'espère ne pas être, mais il me semble que Proust, c'est encore mieux que je ne le pensais. Les très longs extraits que j'ai relus ces derniers jours, en tout cas, m'ont ébloui, davantage me semble-t-il que lors de mes précédentes lectures. Du coup, comme chaque fois, je ne parviens pas à rompre avec lui, si bien que, depuis avant-hier, je flâne autour de Proust : le petit livre impertinent et revigorant de Revel hier, la remarquable biographie de Diesbach aujourd'hui. Après, il va bien falloir repasser à autre chose, tout de même.

– Mona, la vieille chienne que nous avons en pension jusqu'à samedi prochain, est d'un naturel fort paisible. Elle ignore aussi bien le chat que les poules, vit l'essentiel de sa journée dans le jardin et dort la nuit au sous-sol, car c'est ainsi qu'elle a été habituée chez elle. (Mais je ne comprendrai jamais ces gens qui veulent un chien et, ensuite, quand ils l'ont, lui interdisent de franchir le seuil de leur maison : quel intérêt, aussi bien pour lui que pour eux ?) Nous aimerions bien, surtout Catherine, qu'elle passe du temps avec nous, à l'intérieur, mais dès qu'elle s'y trouve, il n'y a plus moyen de la faire tenir en place : elle ne cesse de parcourir les pièces en tous sens, et comme ses griffes cliquètent méchamment sur le faux parquet (bien fait, salaud de pauvre, tu n'avais qu'à t'en payer du vrai !), cela devient très vite horripilant, surtout si l'on essaie au même moment de démêler l'écheveau des phrases proustiennes (lesquelles, d'ailleurs, ne sont longues qu'à certains moment, essentiellement dans les passages descriptifs ou de réflexion : dans toutes les scènes “balzaciennes”, Proust a un style rapide, vif, et sait parfaitement manier la phrase courte et fusante).


Lundi 23 octobre

Cinq heures. – Décidément, ce journal a de plus en plus tendance à partir en quenouille (mais j'ai déjà déclaré cela vingt fois…). Hier, n'ayant pas le courage d'y écrire rien après le dîner, j'ai noté devant le clavier les deux ou trois choses que j'avais dans l'idée, en me promettant d'y revenir aujourd'hui, mais plus tôt dans la journée. Naturellement, pris dans mes lectures proustiennes, je n'en ai rien fait. (De ma place, je vois Mona, la vieille chienne percluse, sur la terrasse, Odette et Nana grattant furieusement l'herbe en bordure de l'allée menant au portail ; et, telles deux vigies jumelles, un couple de tourterelles les observant depuis le faîte du toit.)

Du reste, c'est précisément de Proust que je voulais parler. D'abord pour dire que, de ses trois biographies les plus exhaustives, les plus fournies, c'est vraiment celle de Ghislain de Diesbach que je recommanderais avec le plus de chaleur, si jamais je connaissais quelqu'un qui ait envie de lire une biographie de Proust, et si mon avis l'intéressait. Celle de Painter, la plus ancienne des trois, est loin d'être sans mérite. Mais d'une part il est un peu pénible, avec cette obstination de vouloir à tout prix que Proust ait eu des aventures féminines, ce qui ne tient pas debout, et d'autre part, ses explications de ceci ou de cela sont vraiment trop entachées de psychanalyse pour être recevables : partant d'un sujet riche, ondoyant, complexe, elle n'aboutissent qu'à des pauvretés, soit évidentes, soit absurdes. Celle de Jean-Yves Tadié (l'homme qui a réussi à faire passer À la recherche du temps perdu de trois volumes moyens de La Pléiade à quatre gros, sans que Proust ait ajouté une seule ligne à son texte…) sent évidemment son universitaire, même si elle est d'un universitaire sachant écrire sans jargonner, ce qui est déjà beaucoup. Mais, bien entendu, comme il est en quelque sorte the spécialiste de Proust en France, il passe beaucoup trop de temps à parler de l'œuvre, à la décortiquer, l'observer sous tous les éclairages possibles, alors que ce qu'on demande à une biographie c'est avant tout de nous raconter la vie du personnage pris pour cible, ce qui ne semble pas passionner beaucoup M. Tadié. De plus, son gros volume donne plus l'impression d'un vaste fourre-tout que d'un livre vraiment construit, pensé, écrit.

Diesbach échappe à tous ces défauts. Non seulement il sait sa langue, comme on disait jadis et jusqu'à naguère, mais il connaît admirablement la société de cette époque, et particulièrement ce qu'il est convenu d'appeler le monde. Il a l'art des enchaînements habiles, il est pétri d'un humour fin et toujours discret, lequel ne s'exprime jamais mieux que dans les nombreux “médaillons” qu'il donne à lire, chaque fois qu'apparaît dans son récit un personnage destiné à jouer un rôle plus ou moins important dans la vie de son personnage éponyme (pas fâché de pouvoir le placer à bon escient, celui-là, tiens !) : s'il n'atteint pas à la virtuosité rageuse de Saint-Simon, ni à la vachardise tonitruante de Léon Daudet, ses portraits sont tout de même constamment savoureux.

Proust a dit à plusieurs reprises en quelle piètre estime il tenait ce qu'on appelle l'amitié, quelle valeur, proche du zéro, il accordait à ce sentiment. Lorsqu'on lit ses biographes, et aussi, d'ailleurs, sa correspondance, on se rend compte qu'il ne sait absolument pas de quoi il parle lorsqu'il prononce ce mot : amitié, faisant partie de ces gens totalement inaptes à sa pratique. J'en ai connu deux ou trois, des comme lui (dont un ces dernières années) ; de ces gens pour qui l'amitié n'est qu'une longue chaîne de brouilles successives provoquées par leur inaptitude même. Avec eux, vous ne savez jamais ce qui est le plus pénible, des périodes de fâcherie ou de celles de beau fixe. Car, durant celles-ci, vous devez supporter tout le poids d'une présence et d'une sollicitude hautement accaparantes, auxquelles il n'est pas question que vous vous soustrayez, sous peine de retomber aussitôt dans une nouvelle brouille, généralement précédée de récriminations et de reproches en chapelets aux grains serrés. Les périodes de “froid” (qui ne peut jamais être, avec eux, autre que glacial) ne sont pas plus agréables, dans la mesure où, généralement, ces hommes incapables d'une amitié normale (pour faire bref) font aussi partie de ceux dont vous n'avez pas envie qu'ils disparaissent complètement de votre existence. Je crois qu'il faut les prendre, ces périodes de froid, pour des plages de repos. À noter aussi que l'orientation sexuelle n'entre sans doute que fort peu en ligne de compte : mes inaptes à moi étaient tous des hétéros de stricte obédience. Mais je suppose que l'homosexualité doit devenir facilement un facteur aggravant, à cause de son côté “brouilleur de frontières”. (Je parle des hommes, non pas au sens d'êtres humains mais bien à celui de mâles de l'espèce, l'amitié avec les femmes (quand on est un homme) m'ayant toujours semblé relever du rêve ou du vœu pieux. Quant à l'amitié entre femmes, je n'en connais rien du tout et ne suis même pas certain que cela existe ; à vrai dire, j'ai même assez fortement le soupçon du contraire.)


Mardi 24 octobre

Sept heures vingt. – Vers trois heures cet après-midi, quasiment d'une minute sur l'autre, Catherine s'est mise à “voir” une grosse tache filamenteuse sur le côté de son œil droit. Elle a déjà, depuis plusieurs mois, deux petits points obscurs dans l'autre, dont elle avait parlé au Dr R., notre mirettologue de Levallois ; laquelle, après examen, lui avait affirmé que ce n'était rien, mais que si de nouvelles taches apparaissaient, il fallait la consulter sans tarder, car il pourrait alors s'agir d'un décollement de la rétine : plus facile à dire qu'à réaliser, quand on sait que la fameuse désertification médicale des campagnes a largement commencé à toucher les grandes villes. De fait, par téléphone, le Dr R. annonça à Catherine, par la voix de sa secrétaire, qu'elle était dans l'impossibilité de la recevoir aujourd'hui, pas davantage demain, et qu'il lui fallait donc se rendre aux urgences les plus proches. Nous voilà donc partis. Nous nous attendions à y passer des heures comme la dernière fois (voir mon journal de je ne sais plus quand). Mais la réceptionniste des urgences (qui doit sans doute avoir une autre “raison sociale”) nous aiguilla tout de suite vers la consultation d'ophtalmologie, où l'on assura à Catherine qu'un médecin allait la voir “entre deux rendez-vous”. Comme me souffla Catherine dès que nous fûmes assis sur les inconfortables chaises du hall d'attente : « Le tout est de savoir s'il va me recevoir entre les deux prochains rendez-vous ou entre les deux derniers de sa journée… » Eh bien, contre toute attente (!), ce fut entre les deux suivants ; et, environ une heure après y être entrés, nous quittions l'hôpital d'Évreux, contents du diagnostic fort apaisant du spécialiste (lequel, à nos yeux de vieillards, ne semblait pas avoir plus de 17 ou 18 ans, ce qui produisait un effet étrange). Afin que notre bonheur soit tout de même un peu bémolisé, pour nous rappeler que la perfection ne saurait être de ce monde, il eut tout de même à cœur de déceler à sa patiente un début de cataracte, mot qui me fait toujours irrésistiblement penser à de mini-chutes de Niagara se déversant soudain dans la cavité oculaire.


Mercredi 25 octobre

Cinq heures. – Bref aller-retour (trois heures tout de même) à Levallois-Plage, où Catherine avait rendez-vous avec son ORL. Miraculeusement, le Dr D. était à l'heure ou peu s'en est fallu. Voilà tout de même un petit voyage qui va nous coûter cher car, si la visite d'aujourd'hui sera bien sûr remboursée intégralement, il n'en ira pas de même pour les petits appareils que Mme Amplifon (fon, fon, les petites marionnettes) va coller dans les oreilles fatiguées de ma chère épouse, lesquels coûtent chacun un bras et sont aussi mal remboursés, voire pis, que les soins dentaires. Mais enfin, si je veux continuer à me faire entendre dans cette maison…

– Dans son Journal d'un attaché d'ambassade (commencé tout à l'heure à la terrasse ensoleillée de la levalloisienne brasserie des Fontaines), Paul Morand note, en octobre 1916, que le nouveau ministre des Affaires étrangères russe se nomme Protopopov. C'est presque trop beau.


Samedi 28 octobre

Sept heures dix. – Va-et-vient canin : en fin de matinée aujourd'hui, nous avons rendu la vieille Mona à sa maîtresse légitime (si je puis ainsi dire) ; demain, à peu près à la même heure, nous irons à Pont-Audemer prendre livraison du très jeune Charlus, lequel sera, le soir même, baptisé au sancerre ou au pouilly fumé (et peut-être aux deux, selon la forme de son nouveau maître…).

– Ayant accepté d'écrire une nouvelle critique de livre pour le prochain bulletin paroissiale (collaboration bénévole qui s'était interrompue quelques mois, je ne sais plus pourquoi), j'ai feuilleté rapidement les trois biographies que nous possédons de saint François d'Assise : celle de Julien Green, celle de G.K. Chesterton et celle d'un historien italien, Franco Cardini, fort bien traduite par le père Hervé Benoît. Demain après-midi, pendant que Catherine gâtifiera au salon avec le nouvel arrivant à longues oreilles, je tâcherai de mixer cette trilogie sur environ deux mille signes. En dehors de cela, j'ai poursuivi ma déambulation proustienne, cette fois à travers les massifs compacts de La Prisonnière.

– J'ai également reçu la commande de trois articles pour un prochain hors-série “coup de foudre” de FD, laquelle m'a trouvé admirablement disposée à son endroit puisque, quelques heures plus tôt, à minuit très exactement, les services comptables du Bossu avaient viré 3300 euros sur le compte professionnel de Catherine : on a beau ne pas être vénal pour deux sous (mais qui aurait la stupidité de se montrer vénal pour une somme aussi ridicule ?), c'est une chose qui reste fortement incitative.


Lundi 30 octobre

Dix heures du matin. – Nous fûmes donc, hier matin, chercher le jeune Charlus, dans son village natal, voisin de Pont-Audemer : l'affaire menaça assez vite de virer au cauchemar. À notre arrivée – 11 heures, ponctuels en diable –, un couple formé d'une mère et de sa fille se trouvait déjà là, pour prendre livraison de l'une des sœurs de Charlus. Heureusement, elles étaient sur le départ ; mais l'éleveur faisant partie de cette catégorie de bavards qui n'hésitent pas à répéter trois fois les mêmes choses, avec de légères variations dans le vocabulaire, c'est un “sur le départ” qui prit bien dix minutes. C'était le temps qu'il fallait à deux autres couples pour arriver de leur région parisienne, eux aussi venant chercher leurs chiots respectifs. Les hommes étaient deux avocats qui se connaissaient déjà, tout ce petit monde semblait ravi de se retrouver là ; et, surtout, nul ne paraissait pressé d'en repartir. Au moment où, alors que je commençais à frémir, tant d'agacement que d'impatience, l'éleveur annonça avec des mines gourmandes qu'il allait nous tenir sa petite conférence “ d'une demi-heure”, pour nous expliquer tout ce que nous savions déjà sur les chiens, je me suis dit que c'était là une perspective impossible et qu'il fallait faire quelque chose. C'est à ce même instant que Catherine fit la pleine démonstration de son génie, lequel, à l'instar de celui des grands capitaines, ne se révèle jamais mieux que quand la bataille semble perdue. Avec un naturel confondant, elle servit à notre éleveur de cockers un déjeuner fictif chez ma mère, laquelle, étant une vieille dame, ne supportait pas que l'on arrive en retard chez elle. « Midi, c'est midi ! », l'appuyai-je un peu niaisement. Conséquemment, Catherine sollicita que nous pussions bénéficier d'une entrevue non seulement particulière, mais en outre violemment écourtée. Et c'est ce qui se produisit : arrivés à onze heures, nous remontions dans la voiture à la demie. Avec un chiot dégageant une telle odeur que, au bout de quelques kilomètres, nous étions certains d'avoir en fait adopté un putois (Catherine est actuellement occupée à lui faire un shampooing dans l'évier de la cuisine…).

Pour le reste, tout s'est déroulé au mieux : Charlus est du genre pot de colle, ce qui est bien normal à son âge, nous avons pu constater ce matin, en l'emmenant avec nous, qu'il restait d'un calme olympien en voiture. D'autre part, il semble trouver beaucoup de charme et d'intérêt à la présence de Golo, ce qui n'est pas encore entièrement réciproque. Avec les poules, c'est une sorte d'indifférence tout juste polie qui paraît prévaloir. Ce matin, me levant le premier, j'ai pu renouer avec les joies du ramassage de merdes et de l'épongeage de pisse, dans la salle à manger où le panier de la bête a été installé et garni de couvertures bien moelleuses ; opérations auxquelles, les prenant pour un nouveau jeu, Charlus a eu à cœur de participer, ce qui ne les a rendues ni plus rapides ni plus simples.


Mardi 31 octobre

Sept heures vingt. –  Rien à noter de particulier, si ce n'est que j'en ai terminé (pour cette fois…) tout à l'heure de mes déambulations proustiennes, et qu'il va bien falloir, le mois prochain matin, passer à autre chose, qui va forcément me paraître fade. Sinon, tous les animaux semblent se porter à merveille, Charlus maîtrise déjà parfaitement l'escalier extérieur (mais seulement à la montée), et dresse l'oreille à l'appel de son nom. Nous avons, en attendant des jours meilleurs, disposé des rouleaux de Sopalin un peu dans toutes les pièces où il est susceptible de se rendre, et donc de s'y soulager : c'est étonnant la quantité de matière et de liquide que peut évacuer en vingt-quatre heures un être aussi petit. Et cette profonde pensée me semble tout à fait digne de clore ce mois d'octobre.

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